Erik Orsenna à propos des «Mots immigrés»: «Pas le grand remplacement: le grand enrichissement»

Depuis La Grammaire est une chanson douce, Erik Orsenna utilise le conte pour célébrer la langue française, comme La fabrique des mots, La révolte des accents, Les chevaliers du subjonctif, L’amitié des mots. Voilà maintenant Les Mots immigrés. Et ce n’est pas un simple amusement linguistique autour du français. Ce livre est vraiment le bienvenu dans une période où, en France mais ailleurs aussi, la question de l’identité suscite des débats de plus en plus violents. Les mots immigrés sont nombreux dans la langue française. Normal, une langue ne cesse de se nourrir d’apports extérieurs. Voulant défendre ces mots, dont on ne se rappelle même plus l’origine, Erik Orsenna a fait appel à la science du linguiste Bernard Cerquiglini et à sa propre imagination. Et si tous ces mots immigrés décidaient un jour de se mettre en grève ? Et bien, ce jour-là, les apôtres de cette illusoire pureté nationale deviendraient muets. Plus question de porter la moustache, c’est italien ; ni d’utiliser des chiffres et des algorithmes, c’est arabe ; de voter un budget, c’est anglais ; d’écouter du jazz, c’est américain ; ni de se penser blanc, c’est un mot germanique amené par les Francs… Le conte est savoureux, instructif et politique. S’il pouvait clore le bec aux thuriféraires de la pureté… Le conte, est-ce la plus efficace des manières pour parler des mots et de la langue ? Oui, parce que la langue touche tout le monde, et le conte aussi. Parce que le conte, c’est de 7 à 77 ans. J’ai toujours adoré les contes. J’avais écrit La grammaire pour une raison très simple : à cause du jargon, je ne comprenais plus les questions qu’on posait à mes enfants en français. Alors j’ai écrit un conte. Mon éditeur m’avait averti : surtout ne mets pas « grammaire » dans le titre. Un million d’exemplaires ! Et dans toutes les classes. De tous les bonheurs que j’ai pu avoir, le plus grand c’est quand un petit garçon ou une petite fille vient me voir et les yeux dans les yeux, me dit « Merci Msieur, c’est grâce à toi que j’aime lire ». Je n’avais pas encore écrit sur tous les éléments de la langue. Et comme il y avait notre Vladimir Zemmour, j’ai voulu raconter le grand enrichissement à la place du grand remplacement. Je connaissais Bernard Cerquiglini et on s’est dit qu’on allait écrire ça ensemble. De plus en plus j’aime écrire avec d’autres : eux m’apportent le savoir, moi je trouve l’histoire. L’histoire m’est venue assez simplement. Au deuxième tour des élections présidentielles françaises, la représentante de l’extrême droite, qui n’arrête pas de taper sur les immigrés, n’a soudain plus de mots parce que les mots immigrés se mettent en grève. Bernard m’a appris des tas de choses. Surtout le fait que français, en fait, c’est allemand. La France c’est le pays des Francs, qui viennent de l’est. Au fond, nous devons notre nom à notre ennemi. C’est donc un bouquin très politique. En effet. Je n’en pouvais plus d’entendre le Zemmour. Il a une façon formidable de faire croire qu’il connaît, alors qu’il manipule. C’est vrai que ce livre-là est le plus politique de tous les livres que j’ai écrits, c’est clair. Vous croyez pouvoir ainsi convaincre des gens ? En tout cas, ça va dans les écoles et c’est le principal. Je ne surévalue pas l’efficacité, mais simplement, je préfère ça à d’autres actions qui ne sont pas du tout entendues. Et puis, ça fait un peu marrer aussi. Vous savez, La grammaire a été traduite dans 15 langues, même le chinois. C’est 100.000 exemplaires tous les ans. Donc ça va dans des classes, des milliers de classes… Malgré votre ardeur à recevoir les mots immigrés, vous condamnez le globish, cet anglais qui nous appauvrit. On va me dire : c’est contradictoire, vous adorez les mots qui arrivent et vous refusez ces mots-là. Les mots dont je parle dans le livre viennent de civilisations entières, qui nous ont nourris. Le globish, par contre, c’est 400 mots qui sont ceux des gens qui sont juste là pour gagner plus de fric. Si on me disait : tu n’as plus de langue française, mais on te donne de l’anglais, du russe, de l’espagnol, je perds un univers et j’en gagne un autre. Mais si on me dit : je n’ai plus de langue française et en échange on te donne 400 mots de globish, ce « money pidgin », c’est comme si on me disait : il n’y a plus de gastronomie, tu ne bouffes que des pilules, et on passe de la vie à la survie. [scald=28968917:sdl_editor_representation]

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