Zep: «Quel est notre projet humain?»

Dans un futur proche, l’homo sapiens n’ira plus à l’école. Un petit implant dans le cerveau lui permettra de télécharger la mémoire du monde et de parler toutes les langues. A condition d’en avoir les moyens. Dans le futur selon Zep, rien de tout cela n’est gratuit et l’énergie indispensable au bon fonctionnement de ces cerveaux omniscients est tout simplement colossale. La fracture numérique est devenue une réalité. Ceux qui ne peuvent pas se connecter au Data Brain Center vivent comme des parias. Mais gare aux hackers capables de vider le cerveau des privilégiés… Vous êtes un adepte du transhumanisme de la Silicon Valley ? Pas du tout ! Une amie a fait un reportage sur les rassemblements de chercheurs transhumanistes à la Silicon Valley, ce qui m’a permis de constater que les projets scientifiques y côtoient les fabricants d’élixir du Docteur Doxey ! L’inspiration de cet album vient surtout d’un reportage radio sur Human Brain, le projet de cerveau numérique confié à une université de Genève et dont le budget avoisine le milliard de dollars. Dans les financements, une part vient de compagnies privées, dont certaines sont liées au transhumanisme. A partir des fantasmes qui tournent autour de ce Human Brain, j’ai imaginé le récit de ce cerveau sur lequel on pourrait télécharger toutes les connaissances… Vous avez rencontré Pierre Magistretti, un neuroscientifique impliqué dans ce projet. Comme Hergé l’avait fait, en son temps, avec Alexandre Ananoff pour « Objectif Lune ». Il vous a pris au sérieux ? Les scientifiques connaissent mieux la BD aujourd’hui qu’à l’époque d’Hergé. Ils ont généralement conscience que c’est devenu un moyen de vulgarisation intéressant. Pierre Magistretti est confiant dans le fait qu’on sera capable, d’ici à 2024, de proposer une réplique du cerveau humain avec son imaginaire, son inconscient… Nous avons fait des réunions Skype tout au long de la conception de l‘album. L’idée de déléguer les fonctions de notre cerveau à une machine est fascinante mais avec ce danger que plus notre cerveau est assisté, moins il va travailler… Ce projet risque, par conséquent, de fragiliser notre humanité. Aurons-nous réellement deux cerveaux ou est-ce que l’un des deux cerveaux ne fera plus rien du tout ? Le transhumanisme postule qu’on pourra faire des choses formidables en étant assisté par des machines, physiquement et intellectuellement. J’ai bâti un conte futuriste à partir de là… Deux cerveaux mais pour quoi faire ? Vos personnages semblent principalement les utiliser pour se distraire… Actuellement, l’hyper-technologie est principalement au service du divertissement. Mais quand on passe ses journées dans le monde virtuel, on peut vivre des expériences traumatiques. La frontière de la réalité est de plus en plus confuse. Ce peut être hyper désespérant pour l’avenir de l’humanité, si la technologie est là uniquement pour éviter que l’homme ne s’ennuie et dépérisse. Ce serait la fin de quelque chose dans le projet humain. Il faut se reconnecter au reste du vivant, dont on s’est coupé depuis des millénaires. J’en parle, parce que le divertissement à la pelle ne peut être notre seul futur. Il y a autre chose à faire, que de créer un monde virtuel pour recommencer les mêmes choses, refaire les mêmes erreurs, les mêmes guerres… Si l’on coupe la prise de ce cerveau numérique, que restera-t-il de nous ? On se retrouverait soudain avec les capacités d’un enfant de deux ans. Pierre Magistretti m’a aussi mis sur la piste du coût énergétique. Il faudra l’énergie d’une ville pour faire fonctionner un seul de ces cerveaux numériques car cela représente des milliards de connexions. C’est une caricature de notre société. Le cerveau numérique ne pourra concerner qu’une toute petite élite financière. J’ai donc imaginé une société à deux vitesses, où toute l’énergie de la planète serait accaparée par les quelques personnes vivant dans des technopoles… Si le cerveau devient numérique, on pourrait aussi se le faire voler ? Tout comme les hackers volent déjà les photos, les souvenirs des gens… Le progrès technologique soulève toujours des questions éthiques et philosophiques auxquelles la science n’apporte pas elle-même de réponses… On en revient à la question fondamentale soulevée par ce livre : quel est notre projet humain ? Dans la génération actuelle, il y a des jeunes qui ne veulent plus d’enfants, tant l’avenir de la planète leur semble compromis. Ce sont des signaux de fin de civilisation ou d’espèce. Qu’est-ce qu’on va faire demain ? Un nouveau Gaston ? [scald=28969582:sdl_editor_representation]

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