Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie

Je ne serais pas devenu qui je suis si… Je crois que je suis devenu qui je suis aujourd’hui grâce à une forte conviction en mes racines. Des racines qui ont été inspirées par la famille. Par mon éducation. Et par mon métier, qui implique de rencontrer énormément de gens avec différentes racines, différentes identités, différentes cultures. J’ai appris à comprendre le mot empathie, à avoir une ouverture d’esprit envers l’autre, à toujours faire partie d’une grande communauté avec une harmonie et une compréhension. [scald=28970805:sdl_editor_representation] L’importance des racines croît-elle avec le temps ? Je crois qu’il faut faire la distinction entre les vraies racines et la nourriture que l’on reçoit. Je sais où l’arbre a été planté. Mais l’endroit où je trouve mon énergie, la nourriture, peut aller très loin. Je crois que mes racines sont très étendues (comme un arbre qui a de très grandes racines). Je sais que mon identité est très influencée par les rencontres que j’ai faites. J’étais peut-être beaucoup trop rigide quand j’étais jeune. J’avais des convictions que j’avais apprises de mes parents. Maintenant, j’ai appris de mon empathie. Je crois que sur le positionnement qu’on a envers les artistes russes, par exemple, il faut avoir beaucoup d’empathie. Parce qu’on ne peut jamais être dans leur situation. C’est très facile de juger, mais eux aussi ont leurs racines, et leurs racines sont aussi liées à leur culture. C’est très dangereux de juger. Ce que j’ai appris, c’est l’empathie. C’est peut-être un mot que je ne connaissais pas il y a 15 ans. Dans vos Racines en 2016, vous parliez justement de votre amour pour la Russie. Comment vous sentez-vous actuellement ? Est-ce que quelque chose en vous est « tiraillé » ? Il y a quelque chose de tiraillé dans le sens où ce qui se passe aujourd’hui était en effet prévisible. Et on n’a pas pris au sérieux les signaux que l’on a reçus. Sans doute pour des raisons politiques ou économiques. Parce qu’on ne peut pas croire au pire. Mais en effet, l’histoire se répète. C’est là où, pour moi, le bât blesse le plus. On est tous en train d’aller vers quelque chose qui est dans le défensif. On n’est plus en train de travailler sur l’offensif, donc sur l’émancipation (empowerment) des personnes. Et je crois que nous avons de plus en plus besoin de ça. Parce qu’aujourd’hui, on parle d’investissement militaire, d’investissement défensif, de comment on va se protéger. Mais je crois que l’offensivité est tout à fait nécessaire. Il faut retravailler la culture. Je ne parle pas là de projets artistiques, mais bien de culture. Une grande offensive culturelle est absolument nécessaire. Une conviction culturelle qui commence par l’éducation. Parce que c’est le pilier le plus important. Je crois que je connais plus l’âme russe que la Russie. Je ne connais pas assez l’Histoire. Je vois juste qu’il y a des choses qui se répètent, des choses que l’on voit dans les opéras, dans la littérature, dans les films. Quand je regarde aujourd’hui Le cuirassé Potemkine (film de Sergueï Eisenstein qui retrace un épisode de la Révolution russe de 1905 – NDLR), qui a été partiellement filmé à Odessa, les photos sont les mêmes aujourd’hui devant le théâtre d’Odessa. C’est la même situation. C’est là que je crois qu’il y a un manque de passage de génération en génération. Je crois qu’un vrai projet culturel et éducatif peut permettre de se comprendre mieux. Boycotter la culture russe n’est donc pas une solution selon vous. Notre secteur est le seul où on peut encore créer des ponts. Il faut trouver l’harmonie totale, sinon notre projet ne fonctionne pas. Cette idée de boycotter la culture russe n’est donc pas du tout possible. Evidemment, c’est clair que l’on doit prendre nos distances par rapport aux gens qui s’expriment en faveur d’un régime dictatorial. Je crois que tout le monde s’exprime sur le sujet, mais pas en public. Et je crois qu’il faut faire cette distinction. Ce n’est pas de la trahison quand on a peur pour sa famille. [scald=28970812:sdl_editor_representation] Le répertoire qu’on annonce pour la saison prochaine à La Monnaie est un répertoire de compositeurs qui ont souffert de la même chose (Chostakovitch et Tchaïkovski – NDLR). Ils ont été poursuivis par les régimes russes. On ne peut pas les punir une deuxième fois. Ils étaient sous la censure, ils ne pouvaient pas vivre leur vie. L’homosexualité de Tchaïkovski n’était clairement pas permise. Chostakovitch devait s’adapter – pour autant, il est même devenu membre du parti. Donc, je ne crois pas qu’on peut punir les artistes russes, les compositeurs. Il faut juste créer les ponts. Un message de vie à partager ? Je suis un éternel optimiste. J’essaie toujours de voir les choses de manière positive. De trouver le rayon de soleil même dans les choses négatives. Un message que je me rappelle sans cesse à moi-même, c’est de ne jamais perdre de vue mes racines. Et de juger les choses avec une ouverture totale, mais toujours avec un fond moral qui doit rester fort. Je suis quelqu’un qui est un éternel chercheur d’harmonie. Je suis, par exemple, un objecteur de conscience. Aujourd’hui, si on parle d’armes, ça me fait énormément mal. Parce que ce n’est pas avec les armes qu’on trouve des solutions. Cette idée d’harmonie est donc très importante. C’est mon modèle à moi. Quand je sens qu’il y a un potentiel de conflit, j’essaie toujours de désamorcer les choses. Parce que je ne trouve pas ça nécessaire. Dans un métier comme le mien, il y a un grand potentiel de conflit. Le challenge, c’est de le désamorcer. [scald=28970806:sdl_editor_representation]

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