Grèce: Kostas Vaxevanis, un journaliste à rude épreuve

Kostas Vaxevanis est, sans doute, devenu le journaliste grec le plus connu hors des frontières du pays. Le rapport publié par le Centre européen pour la liberté des médias et la presse (ECPMF) lui accorde même une place centrale. Pourquoi ? « En Grèce, les journalistes continuent également de faire l’objet de poursuites pénales liées à leur travail », précise le rapport intitulé Contrôler le message : les défis pour le journalisme indépendant en Grèce. Kostas Vaxevanis est l’emblème de cette situation. Il est l’un des journalistes les plus attaqués dans le pays. [scald=28988833:sdl_editor_representation] Depuis le 11 mars, cet homme trapu né en 1966 sur l’île de Lesbos est sur le banc des accusés au tribunal d’Athènes. Tout remonte à 2015. Dans son journal, Kostas Vaxevanis révèle le scandale Novartis en Grèce : le laboratoire pharmaceutique suisse aurait versé des pots-de-vin à des personnalités politiques et des médecins pour augmenter le prix de médicaments dont les vertus curatives seraient, de surcroît, discutables. Comme des personnalités politiques sont impliquées, c’est, selon la Constitution grecque, à une commission spéciale de la Vouli, le parlement, d’enquêter sur ses pairs mis en accusation. « Je leur ai dit que j’acceptais d’être auditionné », précise le journaliste au Soir . « Un gang » Mais en janvier 2022, la commission spéciale du parlement, compétente pour enquêter sur les personnalités politiques mises en accusation, a conclu à l’innocence de tous les responsables politiques et l’affaire a été classée. Le Premier ministre a salué ce verdict et promis que « les auteurs de ce complot » rendraient des comptes devant la justice. « Ce ne sont pas des journalistes, mais un gang. Ce n’est pas la liberté de la presse, mais la liberté d’assassiner des personnalités politiques », a martelé Kyriakos Mitsotakis. L’affaire est alors renvoyée devant le tribunal. Comme une autre journaliste grecque, Ianna Papadakou, qui a également enquêté sur ce scandale, Kostas Vaxevanis est poursuivi pour « manquement à son devoir », « participation à une organisation criminelle » et « participation à un complot ». Ces délits sont passibles de vingt ans de prison. « Je suis accusé de complot. Mais dans cette affaire, certains ont fourni de faux témoignages et ne sont pas condamnés. Certains ministres ont été impliqués, mais ils ne sont pas poursuivis », explique Kostas Vaxevanis. Les faits, pourtant, sont têtus et corroborent les propos de Kostas Vaxevanis. Attaqué par le ministère américain de la Justice, le groupe pharmaceutique suisse a reconnu avoir effectué des paiements illégaux aux prestataires de soins de santé et aux fonctionnaires grecs, mais sans révéler les personnalités impliquées dans l’affaire. Pour mettre fin aux poursuites, il a accepté de verser près de 350 millions de dollars (325 millions d’euros) au ministère américain de la Justice. « Mais ce sont les journalistes qui ont écrit ceci, en Grèce, qui doivent répondre de leur publication ! » « Un climat pesant » La quête de vérité, au cœur du métier de journaliste, passerait-elle donc après le « contrôle du message », comme l’analyse le rapport du ECPMF ? Kostas Vaxevanis en avait déjà fait les frais en 2012. En plein cœur de la crise financière et économique qui sévissait en Grèce, il a été poursuivi pour avoir publié la liste Lagarde, qui comportait les noms des riches fortunes grecques réalisant de l’évasion fiscale en Suisse. Une liste que les parlementaires de la majorité affirmaient avoir perdue… Relaxé en novembre 2013, il poursuit son travail d’investigation et pourrait se vanter d’avoir révélé, avec l’équipe de journalistes de son magazine, Documento, un bon nombre de scandales dans le pays. [scald=28988834:sdl_editor_representation] Mais les entraves se multiplient. Un « climat pesant pour le journalisme indépendant en Grèce », une « situation alarmante », des « pressions » sur les journalistes, voire des « menaces » à leur encontre… : voilà ce que dénonce le rapport. La situation s’est détériorée depuis le retour du parti de droite Nouvelle Démocratie au pouvoir, en juillet 2019. La première loi votée par le parti de droite, en juillet 2019, consiste ainsi à faire passer l’agence de presse nationale et les radios et télévisions publiques sous le contrôle direct du Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis. Un arsenal juridique est adopté, qui restreint la liberté de la presse. Même au sein de la majorité, certains s’inquiètent. C’est le cas du député européen Giorgos Kyrtsos. « J’ai indiqué au gouvernement qu’il se trompait de cible dans l’affaire Novartis. J’ai aussi critiqué les pressions faites sur les médias grecs par le gouvernement, notamment des pressions financières. J’ai été exclu du parti », explique-t-il. Il ajoute : « Mon cas personnel prouve que le gouvernement essaie de contrôler les médias, jusqu’à la parole des parlementaires de son bord ! C’est de pire en pire. » Une aggravation que confirme le chercheur Nikos Smyrnaios : « Le rapport dessine en creux une tendance globale en Europe à la contraction et au raidissement des conditions d’exercice de la liberté d’expression et du métier de journaliste. C’est exacerbé en Grèce, qui est à la limite de l’illibéralisme du Hongrois Viktor Orbán. » Dans le berceau de la démocratie qu’est la Grèce, c’est un pan des libertés publiques, la liberté de presse, qui est attaqué et les journalistes indépendants sont les premiers à subir les coups. Jusqu’à risquer vingt ans de prison.

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