Ce que cache l’«allée des milliardaires» à Londres, lieu de prédilection d’oligarques russes

Belles résidences situées dans l’allée des milliardaires cherche acheteurs pour vente rapide » : pareille petite annonce aurait pu être rédigée par l’agence immobilière haut de gamme Knight Frank entre l’invasion de l’Ukraine et le gel par le Royaume-Uni des avoirs immobiliers des oligarques russes basés à Londres, proches de Vladimir Poutine, et de leur famille. [scald=29001862:sdl_editor_representation] Faisons une visite – non guidée – de cette voie royale légèrement inclinée, bordée d’arbres, chère aux super-riches russes frappés de plein fouet par les sanctions. Premier arrêt, le numéro 16. La majestueuse demeure couleur crème, impeccablement entretenue a été achetée en 2011 par Roman Abramovitch pour 90 millions de livres (108 millions d’euros). L’immeuble de style victorien a de quoi faire fantasmer, affichant sans complexe le mode de vie de l’endroit : quatre salles de réception, quinze chambres à coucher, neuf salles de bains, un garage pour huit limousines, etc. Une bonne trentaine de domestiques sont nécessaires pour assurer la bonne marche de la maison de l’un des principaux hommes liges du maître du Kremlin. [scald=29001863:sdl_editor_representation] Selon le registre de la mairie de Kensington & Chelsea, la propriété appartient à une société chypriote dont les bureaux londoniens sont situés dans le club de foot de Chelsea mis en vente par l’oligarque. Autre présence poutinienne, le numéro 8, un immeuble de verre et d’acier jouxtant l’ambassade russe. L’appartement du rez-de-chaussée appartient à Polina Kovaleva, la belle-fille du ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov. Elle a acheté le bien en 2016 en payant cash – 4,4 millions de livres – sans que personne ne pose de questions sur l’origine des espèces. Enregistré à son nom, le logement est « gelé ». Enfin, des oligarques non identifiés, dont certains sont soumis aux sanctions, possèdent des appartements dans les immeubles de brique rouge de Palace Green situés sur le versant ouest de la rue. Le snobisme veut qu’il faut vivre côté est, face au parc, ce qui est le cas du 8 et du 16, plutôt que de l’autre côté. «Billionnaires’ Row» (l’allée des milliardaires) est une oasis de verdure et de calme qui loge une communauté très, très riche. Son code postal « W8 4QP » est le plus recherché du royaume. L’endroit peut se targuer du mètre carré résidentiel le plus cher à Londres, loin devant New York, Monaco, Genève ou Newport, qui se posent en rivales. A sa manière, KPG cristallise le conflit en Ukraine. Les ambassades de Russie, d’Israël et de Finlande sont situées dans cette artère. Le palais de Kensington qui jouxte l’héliport réservé aux vols royaux, abrite le prince Michael de Kent, rémunéré par Vladimir Poutine pour faciliter l’entrisme des oligarques dans l’establishment britannique. Depuis sa construction en 1843, cette enclave située en plein centre-ville, encastrée entre deux arrondissements cossus de la capitale, appartient au Crown Estate, le domaine foncier de la Couronne d’Angleterre. Résultat, un investissement immobilier sur KPG ne vous donne droit qu’à l’usufruit du terrain, pas à sa propriété. En effet, en vertu d’une loi ancestrale, les propriétaires perpétuels (freeholders) récupèrent en général, après 99 ou 125 ans, les immeubles vendus à des propriétaires temporaires (leaseholders). Les sanctions « made in England » ont privé la couronne d’importants revenus fonciers provenant du « loyer » sur le terrain réglé par les oligarques russes. Autre péril en la demeure, il s’agit d’une zone historique, classée, surveillée de très près par la vénérable société de défense du patrimoine anglais, English Heritage, très attentive en matière de préservation et de restauration. [scald=29001715:sdl_editor_representation] [scald=29001861:sdl_editor_representation] Pourquoi, dans ces conditions, les nouveaux riches russes ont-ils acheté à prix d’or ces demeures des mille et une nuits ? Question de prestige d’abord. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ces immenses hôtels particuliers appartenaient à de vieilles et élégantes familles aristocratiques du royaume – les Wellesley, Marlborough et Cholmondeley – auxquelles s’étaient adjointes les nouvelles dynasties financières du XIXe siècle telles que les Rothschild. « Kensington Palace Gardens est tout simplement l’adresse la plus recherchée de la capitale en raison de la présence de grandes maisons dotées de parkings. La demande pour ce type d’habitation dans un endroit très sécurisé est tout simplement insatiable », souligne un porte-parole de KnightFrankà propos du havre de paix des nomades de luxe qui se partagent entre leurs adresses suisses, américaines, antillaises ou de la Côte d'Azur. Plus que discrets, soucieux de faire parler d’eux le moins possible, leurs sorties londoniennes se limitaient à ouvrir le portefeuille à l’occasion de galas philanthropiques, en particulier les bonnes œuvres de la famille royale. Chacun gardait jalousement son quant-à-soi et respectait celui de l’autre. L’îlot qu’est KPG n’est pas barricadé par un dispositif de sécurité impressionnant. La voie est certes fermée à la circulation automobile par des barrières actionnées depuis deux petits chalets d’un vert profond placés aux entrées. Cyclistes et piétons peuvent librement l’emprunter. Mais le « village » est protégé par des sas hermétiques, l’œil des caméras et des vigiles. Les grosses fortunes sont obsédées par leur sécurité ou la crainte des enlèvements et des attentats. Une seule ombre au tableau. Le bonheur des uns ne fait pas nécessairement le bonheur des autres, comme le rappelle avec fracas l’association Kensington Against Dirty Money (Kensington contre l’argent sale) qui milite en faveur de la saisie des biens immobiliers des oligarques basés à Londres pour les céder aux sans-abris. Ce à quoi le satiriste William Thackeray, auteur de Vanity Fair (la Foire aux Vanités), qui avait habité Kensington Palace Gardens en 1854, aurait sans doute répondu, d’un revers de main : « Trêve de misérabilisme. » [scald=29001952:sdl_editor_representation]

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