«Je resterai à jamais DJ Pierre du Fuse»

DJ Pierre est une légende. Pourtant, personne ne le connaît. Pendant vingt-cinq ans, il s’est placé derrière les platines du temple belge de la techno. Le son du Fuse, c’est lui. Le 28e anniversaire du club des Marolles est une belle occasion de faire connaissance. C’est par une belle après-midi de printemps que Pierre Noisiez nous reçoit chez lui, à Saint-Gilles. Avant de nous inviter à nous installer dans un petit jardin à l’abri du brouhaha de la rue, il nous offre à boire : « Qu’est-ce que je te sers ? Un café ou un pastis ? » L’entretien peut commencer. Vous avez commencé à mixer alors que c’était la folie new beat en Belgique… Oui, mais ce n’était pas trop mon truc. J’étais plutôt dans le funk et le disco. J’ai dû aller une fois ou deux au Boccaccio. Le début de la new beat était intéressant. En bref, c’était de la house de Chicago passée au ralenti. Mais ça a rapidement dégénéré quand tout le monde s’est mis à faire son disque new beat. Je me souviens du disquaire du coin à Tournai qui était tout fier de nous faire écouter son maxi à lui. On y entendait aboyer son chien. Je me disais : « C’est pas possible ! » Comment êtes-vous devenu DJ au Fuse ? Je me suis d’abord retrouvé à mixer régulièrement dans un petit bar de Courtrai qui s’appelait le Zanzibar et qui avait comme client un certain Peter Decuypere, qui allait plus tard ouvrir le Fuse et créer I Love Techno. Avant le Fuse, il avait un club qui s’appelait le 55, avec un DJ qui mixait toute la nuit chaque semaine. En général, vers 6 heures du matin, il me demandait de prendre le relais. Et le jour de fermeture du 55, il y a eu mon nom sur un flyer pour la première fois. Ils m’ont demandé comment je voulais m’appeler. J’ai dit DJ Pierre, vu que c’est mon nom. Quand le Fuse a ouvert, en avril 1994, Peter m’a donné la salle du haut. [scald=29022760:sdl_editor_representation] Comment est-on passé de la new beat à la techno en Belgique ? Entre les deux, il y a eu une grosse période house hollandaise, Dimitri, Marcello, tous ces trucs un peu cheesy . A l’époque, la techno arrivait et on en passait un peu au milieu de ces trucs festifs. Moi, spontanément, je virais vers ces sons-là. Quand Peter ouvre le Fuse, il pressentait que la techno allait prendre de l’ampleur. Mais ça a pris plus de temps que prévu. Pour beaucoup, ce nouveau son était agressif et rébarbatif. Si bien que les gens préféraient la salle du dessus, qui était plus cosy et relax. Résultat, vous avez défini le son du Fuse : un son techno, mais moins agressif qu’à Berlin, par exemple. Le truc, c’est qu’après un moment, j’ai commencé à jouer dans la salle du bas des choses un peu plus dures. J’allais de toute manière dans cette direction. Les DJ invités, c’était assez nouveau à l’époque, il y avait un côté découverte et toujours le risque que les gens soient déçus. Moi, j’étais le côté rassurant. Le fil rouge du club. C’est le rôle du DJ résident. Comment définiriez-vous l’évolution du Fuse ? Le club a su s’adapter. C’est obligé, même si la ligne éditoriale de la grande salle, ça reste la techno. Dans les années 90, les gens avaient tendance à aller dans le même club. Il y avait un aspect social, tu retrouvais tes potes sans qu’il y ait besoin de le dire. C’est quelque chose qui a changé avec les réseaux sociaux. Maintenant, tout est planifié, tu changes d’endroit chaque week-end, ce qui a modifié beaucoup de choses dans la gestion d’un club. Il faut proposer des trucs différents tout en ayant une image bien définie. Les réseaux sociaux ont-ils tué la club culture ? Non. Par contre, il y a deux mondes qui s’opposent. Tu as le côté mainstream et gros business. C’est le système du DJ influenceur dont l’image compte autant que ce qu’il joue. A l’opposé, tu as toujours l’underground qui est là, qui creuse, qui cherche à réinventer les choses, quitte à fouiller dans le passé. Pour l’instant, par exemple, c’est clair que le son qui en sort est une réinterprétation du son des années 90. Contrairement à beaucoup de DJ, vous n’avez jamais sorti vos propres productions… Ce n’est pas tout à fait vrai. Au-dessus de chez mon disquaire, il y avait un studio où bossait Luc Devriese (producteur de musique électronique, NDLR). Son truc, c’était de sortir des sons similaires à ce qui marchait. Un jour, j’écoute une copie de Three O Three, de Public Energy, et j’entends ce que les gars essaient de faire. Dans ma tête, j’ai une idée claire. J’ai dit : « Je vais faire un remix. » On a fait ça pendant quatre heures et le titre ( Acid Creak – Pierre’s Reconstruction Mix, de Spokesman, NDLR) est toujours joué par Nina Kraviz aujourd’hui. Mais peu de gens savent que c’est moi. Je l’ai fait parce que c’était évident, mais c’est vrai que je n’ai pas cherché à réitérer l’expérience. Je préfère être DJ. C’est quoi un DJ ? Si j’ai fait ça à la base, c’est dans un but de transmission. Et c’est une façon d’échanger avec les gens. Quand tu joues en boîte, tu vas absorber l’énergie de la foule et la redistribuer. Et quand tu te retrouves devant 8.000 personnes qui réagissent au quart de tour à ce que tu joues, c’est quelque chose de vraiment spécial. Outre le Fuse, où avez-vous ressenti le plus cette énergie ? Les soirées les plus folles que j’ai faites, c’est en Russie. C’est le moment d’en parler, tiens… Vers 2005, j’ai créé un label (Lessizmore) qui m’a permis d’avoir un contact avec les gens du club Arma 17, à Moscou. Ils avaient un concept incroyable : à la fin de la soirée, ils détruisaient l’installation. Ça veut dire que si tu n’as pas connu le moment, c’est trop tard. Et ça, ça te motive vraiment à ne pas en rater une. Ces gens ont organisé des soirées incroyables jusqu’à ce qu’ils dérangent un peu trop. Un jour, les flics ont débarqué et ça a été le début de la fin. Aujourd’hui, ils ont tous quitté le pays. A Kiev aussi, il y avait des soirées démesurées. J’y étais en septembre 2019. C’était une ville vivante avec une scène clubbing très dynamique. Il ne doit malheureusement pas en rester grand-chose… On a vu pendant la pandémie que les clubs n’étaient pas considérés comme des lieux culturels. Quel est votre point de vue sur la question ? La ligne est fine. Il y a différentes démarches selon les clubs. Si tu fais venir Charlotte Dewitte pour faire un maximum de fric, est-ce que tu fais avancer la culture ? A contrario, si tu bookes de petits artistes et que tu as du mal à en vivre, tu donnes de la visibilité à des gens qui n’en auraient pas. Tu mérites peut-être des subventions culturelles. Il y a une vraie discussion à avoir. Mais quand tu viens de l’underground, est-ce que tu as vraiment envie de faire partie de la culture institutionnelle ? Pendant la pandémie, le Fuse a fait son exposition. C’était la seule chose qu’il pouvait faire. Il y a eu des milliers d’entrées. Ça lui a permis de garder la tête hors de l’eau et je pense que ça a permis de considérer le club comme un véritable lieu culturel. Aujourd’hui, vous n’êtes plus DJ résident du Fuse, mais invité régulier. Ça vous fait quelque chose ? Il y a une nouvelle équipe, c’était le moment pour moi de passer à autre chose. Mais je reste attaché au club. J’y mixe encore une fois par mois, donc ça ne change pas fondamentalement les choses. Et puis, je pense que pour beaucoup de gens, je resterai à jamais Pierre du Fuse. Et c’est très bien ainsi. Fuse 28Y Birthday les 15 et 16 avril avec DJ Pierre, DC Salas, Mall Grab, Sonja Moonear, KI/KI… Infos et réservations : www.fuse.be

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