Heino Falcke, le Helmut Newton des trous noirs

Il s’en souviendra toute sa vie. Quand l’obscurité se fit dans la salle de presse de la Commission européenne, à Bruxelles, le 10 avril 2019. Il allait révéler au public européen la première photographie d’un trou noir. Un scoop obtenu grâce à la participation d’un réseau mondial d’observatoires. L’image montrait un anneau orangé flottant dans la nuit cosmique. Une preuve pour le grand public que les calculs de savants peuvent parfois prendre une forme visible. « Jusqu’à ce jour, on l’avait théorisé, et même dessiné, mais on ne le voyait pas », résume l’astrophysicien allemand Heino Falcke. « Soudain, il a surgi, et il était parfaitement conforme aux simulations, aussi banal que possible, mais bien vivant. » [scald=29035900:sdl_editor_representation] [scald=29035901:sdl_editor_representation] Il en va des photographes du ciel comme des paparazzis. Ces derniers traquent les mannequins éphémères, ces étoiles filantes de la presse people. Les astronomes font la même chose, avec une patience qui se mesure en années, et non en jours. Ils chassent avec leurs immenses téléobjectifs des événements interstellaires que personne n’a jamais vus, ils épinglent sur leurs écrans électroniques des monstres de matières, mais à la différence des stars sur papier glacé, ces étoiles de l’Univers sont indifférentes à tout ce qu’on peut dire d’elles. Heino Falcke est l’un de ces chasseurs d’images : il est le Helmut Newton des trous noirs. [scald=29035898:sdl_editor_representation] Il a une silhouette svelte de quinquagénaire aux cheveux blancs, et il aime jouer les représentants de commerce d’une profession qu’en Europe, hélas, on ne célèbre pas autant qu’à Hollywood. C’est au pays de la conquête spatiale qu’on produit les films qui célèbrent les astronomes incompris, comme Leonardo DiCaprio dans la comédie Don’t look up , produite il y a six mois sur Netflix et qui a rencontré un succès viral. Or, c’est en racontant les aventures de l’humanité à la découverte de l’infiniment grand que naissent les vocations scientifiques, et que les financements des projets de recherche affluent. « On ne peut pas prouver Dieu » Heino Falcke en est convaincu, et il aimerait qu’il en aille de même entre Bruxelles et Varsovie. Ce fut le cas le 10 avril 2019, quand l’image du trou noir M87 de la galaxie Andromède a été présentée aux journalistes scientifiques du monde entier. Cet abysse de la taille de notre système solaire (100 milliards de kilomètres) n’a été pris en photo que grâce à la collaboration des équipes disséminées aux quatre coins de la planète, qui chacune ont apporté leur bout d’image afin de reconstituer la silhouette exacte. « Quand j’ai commencé le métier, on écrivait des papiers à deux ou trois ; maintenant, on est en moyenne trente ou quarante, et parfois jusqu’à mille », nous raconte Falcke, que rien ne prédestinait à devenir scrutateur de ces masses introverties. « Mon grand-père était fermier, l’autre avocat, ma mère, professeur, mon père, médecin, et tout petit, j’ai commencé par rêver de conduire les camions poubelles dans ma rue, puis je me suis passionné pour la programmation d’ordinateurs. Ce fut très utile quand le métier d’astronome s’est informatisé. Et puis, finalement, j’ai rencontré des camions poubelle cosmiques : j’ai fait la connaissance des trous noirs. » [scald=29035886:sdl_editor_representation] Mais il y a autre chose chez Heino Falcke. Chrétien affirmé, il est diacre de l’Eglise protestante près de Cologne, où il vit avec son épouse et ses enfants. Depuis qu’il a 25 ans, il prêche, il célèbre les mariages et les enterrements, donne des cours de catéchisme. « C’est sans doute assez rare dans ma profession, sauf à l’observatoire du Vatican. » Récemment, le livre Dieu, la science, les preuves (Guy Trédaniel Editeur) a agité le Landerneau de l’astrophysique en prétendant démontrer l’existence de Dieu par cent ans d’observation du ciel et de physique quantique. Heino Falcke n’est pas convaincu : « Je ne pense pas qu’on puisse prouver Dieu, et un Dieu qu’on pourrait prouver me décevrait beaucoup. Fondamentalement, je crois au mystère du Dieu caché, par-delà le monde physique ; s’il était démontré, il ne serait qu’un ordinateur. » Il nous montre alors sur son téléphone la photo d’un graphique du big bang dessiné sur un papier jauni par l’abbé Georges Lemaître. Au début des années 1930, ce grand physicien belge démontra, contre Einstein lui-même, que l’univers avait un commencement, et qu’il était en expansion. « A la fin de sa vie, Lemaître écrivit que nous devrions être heureux que la physique ne puisse pas décrire l’acte de la création », raconte Falcke. Les trous noirs sont d’ailleurs des enfants du big bang : « La physique s’effondre face aux singularités que sont le big bang et les trous noirs, car les lois du temps et de l’espace ne peuvent pas les décrire. C’est ce qui explique leur place à part, et presque mythique », ajoute Falcke. « La radioastronomie s’est réinventée » En 1998, les Américains lui ont proposé de travailler sur le futur remplaçant du télescope orbital Hubble. Le James Webb Space Telescope a finalement été mis en orbite en décembre dernier. Falcke préféra rester en Europe et se spécialiser en radioastronomie : « Cette discipline était passée de mode, mais pendant que le James Webb prenait quinze ans de retard, la radioastronomie s’est réinventée. » Le James Webb n’aurait d’ailleurs jamais pu photographier M87 : « Il aurait fallu qu’il soit mille fois plus gros. » Falcke raconte cette aventure unique dans Lumière dans l’obscurité (Editions Buchet-Chastel). Tout a commencé par un programme de recherche européen : « Les Américains sont habitués à être meneurs sur les projets. Et quand on leur demande un partenariat d’égal à égal, comme c’était le cas, ils n’aiment pas trop ça. Ils sont habitués à ce que l’Europe soit suiveuse, pas meneuse. » Pas rancuniers, les Etats-Unis lui ont finalement décerné la prestigieuse médaille de l’Académie des sciences. Aujourd’hui, Falcke s’est mis en chasse d’un nouveau trou noir, plus petit, et au centre de notre galaxie : « Il nous faut une deuxième photo pour que le miracle de la première devienne une vérité pour la science », sourit-il.

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