La F1 à Miami: «Les jeunes Américains se lèvent désormais à 6 heures du matin pour suivre les Grands Prix»

Installé depuis plus de 35 ans aux États-Unis, où il a notamment remporté les 24H de Daytona (1998 et 2002), les 12H de Sebring (1998) ou encore disputé les 500 Miles d’Indianapolis à trois reprises (11e en 1990), Didier Theys (65 ans) conserve outre-Atlantique de très nombreuses activités dans le monde de la course : ambassadeur pour Ferrari North America et Michelin, il coache des pilotes et est commissaire sportif dans le « Ferrari Challenge » ainsi que dans les endurances de l’IMSA. Quand nous l’avions interrogé il y a une demi-douzaine d’années en marge du Grand Prix d’Austin qui avait du mal à décoller, comme tant d’autres GP américains avant celui-là, le « Nivellois de Phoenix » partageait notre pessimisme à voir un jour la F1 briller de mille feux au pays de l’Oncle Sam. Un sentiment fatalement inverse domine aujourd’hui, à quelques heures du premier Grand Prix de Miami qui promet d’attirer la grande foule, et alors qu’à partir de 2023, Las Vegas s’ajoutera à ce triptyque d’épreuves américaines où brillent strass et de paillettes… [scald=29074325:sdl_editor_representation] Quand nous nous étions entendus fin 2016, Liberty Media venait de reprendre la F1… Et il faut bien admettre que les Américains ont fait du bon boulot depuis ! En fait, là où Bernie Ecclestone était très politique et prenait un plaisir énorme à intriguer autour de l’organisation des Grands Prix, les Américains, eux, ne sont animés que par une seule chose : le billet vert ! Et le show ! Comme on le perçoit au travers de la série Netflix qui explique en partie aujourd’hui le nouvel engouement que connaît la F1… L’effet que cela a eu sur les jeunes est incroyable ! Ma plus jeune fille qui n’en avait pas grand-chose à faire des courses de voitures avant cela, est devenue complètement « addict », comme ses potes qui ont entre 27 et 32 ans, et qui se lèvent à 6 heures du matin pour vibrer ensemble devant les GP ! Le succès d’une telle série – dont la légitimité commence à être critiquée au sein du paddock – peut cependant se démentir aussi vite qu’il a grandi ? C’est vrai, mais même si « Drive to survive » venait à disparaître, toute une génération de fans aura eu le temps de se créer autour de la F1 qui, par ailleurs, passionne davantage les foules qu’il y a quelques années. Je ne vais pas citer les chiffres un peu dingues qui ont circulé ici, mais parmi les 400.000 personnes qui ont été recensées en trois jours, l’an dernier à Austin, il y avait un très grand pourcentage de novices, qui ont assisté à un Grand Prix pour la première fois de leur vie. Ça parle… Après les multiples va-et-vient qui ont jalonné l’histoire de la F1 avec les Etats-Unis, serait-on sur le point de voir la F1 s’installer durablement outre-Atlantique cette fois ? À voir, car ce qu’il manque encore et toujours, c’est un pilote américain en F1. Pourquoi ? Parce que tout est en place ici pour que ça se passe bien. Si un jeune commence à performer en Nascar, il ne va pas essayer de faire autre chose car il sera parti pour 20 ans au moins en Nascar, et il gagnera trois fois plus d’argent que s’il fait 10 ans en F1. Une situation qui n’est pas près de changer ? Il y a de bons pilotes ici. Mais en avoir un assez bon pour briller en F1, c’est autre chose. Pour ça, il faut accepter d’aller se faire doucher en Angleterre pour disputer un championnat de F4, au pied de la pyramide supposée mener vers la F1, mais avec tellement de contrariétés ! Quel gamin de 16 ans va faire ça, alors qu’il a tout ici, soleil compris ! En fait, la vie est trop belle ici. C’était le problème de Michael Andretti : une fois le GP terminé, il sautait dans le premier avion venu pour revenir chez lui à Nazareth plutôt que de rester avec l’équipe, comme le faisaient Senna ou Schumacher par exemple. Et la fédé américaine, pas tentée de créer une filière ou quelque chose comme ça ? Red Bull l’a fait, puis a laissé tomber. Relever le défi d’aller en F1 est une question de motivation personnelle. Et de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est la différence entre le Sud-américain et l’Américain. Le premier sera prêt à tous les sacrifices pour améliorer son statut social, tandis que l’autre se dira qu’il aura toujours un steak dans son assiette, car la vie est sans doute un peu plus facile ici. L’écurie de Gene Haas a tenté au début de permettre à quelques Américains de mettre le pied à l’étrier, et puis ? Comme tous les patrons de team, Gene Haas veut des pilotes rapides, et la nationalité passe au second plan. Le protectionnisme américain auquel j’ai été confronté en débarquant ici à la fin des années 80 a disparu. D’ailleurs, que ce soit en Indy ou en IMSA, il y a plein de nationalités différentes. Les bonnes voitures réservées aux Américains, c’est fini : les teams veulent gagner, et ils se foutent de savoir si c’est un Américain au volant. À propos du GP de Miami, on a moins vu le circuit que tout ce qui tourne autour. Bref, le show avant tout ? Ah bien sûr, mais c’est comme ça que ça marche ici ! On vient de vivre le plus bel exemple à Sebring le mois dernier : le vendredi se déroulaient les 1000 Miles de Sebring, manche d’ouverture du championnat du monde d’Endurance (WEC). Et le samedi avaient lieu les emblématiques 12 Heures de Sebring. Moralité : le vendredi, on pouvait compter les quelques dizaines de spectateurs dans les tribunes, et le lendemain, ils étaient au moins 50.000 fans à faire la fête ! La F1 va-t-elle se faire à cette autre philosophie ? En fait, le plan, c’est qu’en allant du côté de Miami, les promoteurs de la F1 vont dans les coins où il y a le plus de Latinos. Ceux-ci sont bien plus orientés F1 qu’IMSA ou NASCAR. En plus, ils ont de l’argent, et donc les moyens d’aller dans les tribunes à 3000 dollars. Même chose à Las Vegas l’an prochain ? Là, ce sont les hôtels qui vont faire le bizness : ils vont vendre à prix d’or les chambres avec terrasses donnant sur le circuit. Quand un hôtel tourne à Las Vegas, surtout après le covid, ça se chiffre en milliards de dollars ! Ces nouveaux GP américains, on en parle beaucoup là-bas ? Comme d’un événement parmi d’autres. Rien à voir avec les 500 Miles d’Indianapolis qui sont une véritable institution en plus de se disputer le week-end du Memorial Day. Quant aux autres grandes courses américaines, comme Daytona ou Laguna Seca par exemple, elles passionnent un public de connaisseurs. Pas le même que celui que l’on croisera ce week-end à Miami. Là, on aura plutôt affaire au nouveau riche Latino qui viendra avec sa « Trophy Girlfriend » et qui dépensera plein de pognon pour être dans les suites : un marché qui intéresse très fort les grandes marques de luxe qui ont vu arriver ce Grand Prix avec enthousiasme. Le même public que celui qu’on voit se déployer autour des Grands Prix organisés au Moyen-Orient ? Non, quand même pas ! Je pense que ce sera mieux. Les Latinos se passionnent pour la course en général, et pour la monoplace en particulier. Et ils seront très nombreux. À Abou Dhabi ou Djeddah, il n’y a personne en dehors des VIP et du public rassemblé dans la grande tribune, la seule du circuit…

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