Trois regards sur les États-Unis, ses territoires, ses frontières

Le paysage américain fascine depuis longtemps : plaines à perte de vue, montagnes rocheuses, canyons, highways, fleuves passant d’un état à l’autre… Toutes ces images, on les a vues et revues, dans la peinture, la photographie, le cinéma avec ses couchers de soleil, ses westerns et ses road-movies. C’est une vision très différente que livre Lucy Raven, Zoe Leonard et Oussama Tabti à travers trois expositions à Bruxelles et Luxembourg. Si le dernier n’a jamais mis un pied aux États-Unis (lire ci-contre), les deux autres y sont nées et l’arpentent depuis de nombreuses années. Explosions et béton Au Wiels, Lucy Raven occupe tout le troisième étage (et la petite salle du quatrième pour ses photographies) avec deux grandes installations. La vidéo est au cœur du projet, mais tout le dispositif de projection et de vision en fait intimement partie avec sa dimension technique que l’artiste dévoile comme elle le fait de certains aspects méconnus du paysage américain. Dans la première salle, on découvre Demolition of a Wall (Album 2), pièce de 2022 présentée ici pour la première fois. Pour celle-ci, Lucy Raven s’est rendue au Nouveau-Mexique à Socorro, région où ont été effectués de nombreux essais nucléaires et servant aujourd’hui à des expérimentations de charges explosives et d’armes hypersoniques. Difficile d’imaginer cela au vu des paysages paisibles et majestueux filmés par l’artiste en plan fixe. Quelques secondes… puis un bruit énorme et une image étrange remplaçant le paysage. À chaque fois, il s’agit des conséquences d’une explosion. Lucy Raven ne filme pas celle-ci. Avec la participation du Balistic Research Center de l’université du Nouveau-Mexique, elle utilise des caméras à très haute vitesse lui permettant de capter les ondes de choc générées par l’explosion mais invisibles à l’œil nu. Celles-ci apparaissent à l’écran comme sur un graphique mouvant avant de céder la place à un autre lieu, un autre choc, d’autres ondes. On retrouve le même principe, en image fixe cette fois, au quatrième étage avec une série de shadowgraphie, permettant de capter les ondes de choc affectant différentes matières lors d’une explosion. Avec Ready Mix, présenté sur un grand écran incurvé comme les films en cinémascope, elle nous entraîne dans le cycle complet de fabrication du béton. Tout le processus est capté en plongée par des drones évoluant à la même vitesse que les camions, les pelleteuses, les tapis roulants transportant le gravier. Bien qu’extérieur et à distance, le regard évolue donc parallèlement aux choses filmées créant un effet hypnotique où certaines images deviennent quasiment abstraites. À travers le mouvement et le son, Lucy Raven invite ainsi à reconsidérer le paysage américain, son utilisation par l’homme et la violence qui lui est faite, mais aussi à explorer la manière dont les images sont produites et restituées sous nos yeux. Le long du fleuve Au Mudam, à Luxembourg, Zoe Leonard nous entraîne pour sa part du côté du Rio Grande (selon son appellation US) ou Rio Bravo (côté mexicain). Depuis 2016, elle a parcouru durant plusieurs années les 2.000 kilomètres du fleuve délimitant la frontière entre les deux pays, photographiant inlassablement avec un appareil argentique tenu à la main. Jamais elle ne cherche l’image définitive, préférant saisir une succession de moments dans divers endroits, montrant de nombreux ponts, routes, murs, sites industriels, champs… Un coup d’œil rapide donne l’impression d’avoir tout vu en trente secondes. Il faut pour entrer dans son univers suivre le parcours qu’elle nous propose, alignant des centaines de photographies qui, par le biais de notre regard défilant devant elles, se muent en une sorte de long récit où le moindre détail raconte quelque chose, suscite le questionnement… On découvre ainsi toute une activité bien loin des images habituelles de la frontière : homme à cheval sous un pont de béton, zone marécageuse, gorges sauvages, construction d’un mur, famille nageant à deux pas d’un site industriel, petite église au bout d’un champ, troupeau de chèvres, trains défilant sur les ponts, hélicoptères tournoyant au-dessus de la forêt, flics patrouillant à pied au bord de l’eau, ferry passant du Mexique aux États-Unis… D’image en image, on plonge au cœur des paysages mais aussi des activités qui s’y déroulent au jour le jour, reflétant les contradictions et la complexité de ce fleuve à la fois réservoir d’eau, lieu pittoresque et frontière entre deux pays. Lucy Raven : Another Dull Day Jusqu’au 14 août au Wiels, avenue van Volxem 354, www.wiels.org Zoe Leonard : Al rio/To the River Jusqu’au 6 juin au Mudam, 3 park Dräi Eechelen, Luxembourg, www.mudam.lu

Votre compte

Trois regards sur les États-Unis, ses territoires, ses frontières

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Arts plastiques

Arts plastiques: retrouvez toutes nos critiques d’expos

Michel Vanden Eeckhoudt, Teen Spirit...: les 5 expos à ne pas manquer cette semaine

Critique Portraits de femmes, de la préhistoire à nos jours

Critique L’aventure sculpturale de Charles Ray: le temps, l’espace et la matière

Critique L’art aborigène au présent à la galerie Lin Deletaille

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Variole du singe: un quatrième cas confirmé en Belgique, le conseil de Marc Van Ranst à la population

Plus de 120.000 personnes à la parade de la Belgian Pride à Bruxelles (photos et vidéo)

Reine Elisabeth: la Belge Stéphanie Huang en finale

Reportage Conséquence de la guerre en Ukraine, l’Inde, grenier à blé, protège sa production

Guerre en Ukraine: l’exigence du président Erdogan pour accepter la Suède dans l’Otan

Le sport à l’œil, ou presque: le fragile privilège des Belges

« Nos collaborateurs sont des empereurs, les clients sont rois »

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« Nous donnons de la valeur aux idées et encourageons à les transformer en projets concrets »

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel