Pierre Rondeau: «Les sociétés font régulièrement faillite, les clubs de foot, c’est plus rare»

Ils étaient trois clubs dans le monde à pouvoir se l’offrir et ce sont les Anglais de Manchester City qui ont décroché la palme. En s’offrant les services de l’attaquant Norvégien Erling Haaland, les multipropriétaires émiratis du probable futur champion d’Angleterre ont rappelé que le monde du football était plus que jamais morcelé. Et échappait bien souvent à la plus élémentaire logique d’entreprise. On essaie d’y voir plus clair avec Pierre Rondeau, économiste du sport. Le transfert d’Erling Haaland en direction de Manchester City pour une enveloppe globale, salaire annuel compris, de quelque 230 millions d’euros confirme que les finances des grands clubs en font aujourd’hui des ovnis économiques dans le milieu de l’entreprise. Mais les grands clubs peuvent-ils vraiment être considéré comme des entreprises lambda ? A mes yeux, ils n’ont jamais été considérés comme des entreprises à part entière. D’ailleurs, si vous faites la même opération que Manchester City avec Erling Haaland dans n’importe quelle entreprise cotée en bourse, cela ne fonctionnera jamais. Ce qui rend cela possible à l’échelle du football, c’est qu’il n’y a pas d’objectif clair de rentabilité. C’est d’abord juste un intérêt sportif. Avec l’espoir d’un retour sur investissement qui pourra par la suite générer des profits. Un club de football n’est pas une entreprise parce qu’il tire sa particularité de sa renommée, de sa visibilité et de compétences comptables différentes d’une entreprise classique. C’est un élément de productivité différent. Dans un club de foot, l’élément déficitaire ne sera pas pris en compte. Pour la simple et bonne raison que le bilan est lié à la perspective sportive et au fait que l’argent qu’un club dépense, il ne l’a pas forcément en fonds propres. Cet argent-là est sujet à caution. C’est ce qui explique qu’un club comme le FC Barcelone puisse s’offrir contre 55 millions d’euros les services de l’Espagnol Ferran Torres, acheté à Manchester City en janvier dernier, malgré un surendettement dépassant le milliard d’euros ? C’est là encore la différence entre un club de football et une entreprise, oui. Concrètement, on accepte de prêter de l’argent à une entreprise si elle a d’intéressantes projections de croissance ou si sa comptabilité est à l’équilibre. Mais on ne prêtera pas d’argent à des sociétés rencontrant des difficultés managériales. Ce raisonnement monétaire n’existe pas dans le football. Quand une banque prête de l’argent au Barça, elle le fait parce qu’elle est consciente de l’immense valeur non monétaire du club. En l’occurrence, on a affaire à l’un des plus grands clubs de l’histoire. Valorisable dans le monde entier par sa marque. Pour une banque cela n’a pas de prix. Parce qu’elle est consciente que la durée de vie d’un club de foot est souvent bien plus élevée que celle de la majorité des entreprises. Les sociétés font régulièrement faillite, les clubs de foot, c’est plus rare. Ils sont cette capacité d’émettre plus de dettes, mais de toujours se faire prêter de l’argent pour ce qu’il représente, par exemple médiatiquement. Comprendre qu’il y aura toujours des gens pour sauver le Barça, mais qu’il y aura probablement moins de monde le jour où il faudra sauver une entreprise comme Danone. Parce qu’elle n’a pas la même valeur sentimentale. Si les clubs de football sont avant tout des marques et des marqueurs sociaux importants, doivent-ils pour autant être intouchables ? A l’heure actuelle, c’est le cas. Naïvement, on continue de renier l’idée de Super Ligue européenne. C’est très hypocrite. Le système actuel maintien et renforce les inégalités dans le football. Le transfert de Haaland à City est le dernier exemple en date. Les plus gros sont de plus en plus gros, les plus petits de plus en plus petits. Le risque, c’est que cela finisse par lasser les supporters et conduise à un désintérêt pour le foot. Les Américains ont été moins retors avec le fonctionnement de la NBA ou de la NFL. En quoi une ligue fermée, comme aux Etats-Unis, résoudrait durablement le problème ? Cela aurait au moins le mérite de la clarté. Et d’offrir au vu et au su de tous un combat entre puissants avec salary cap , budget plafonné et égalité des dotations. Pour que tout se joue sur le terrain. Quelque part, c’est le retour à la puissance sportive et non monétaire. En tant qu’Européen et défenseur de la méritocratie, je m’y oppose, mais d’un point de vue pragmatique, une Super Ligue serait plus raisonnable. Il ne faut pas se voiler la face. D’un point de vue économique, soit on régule et on installe des plafonds salariaux pour sanctionner les dérives, soit on dit adieu à l’idée même de méritocratie dans le sport. Le fair-play financier (FPF) devait veiller à l’équilibre financier de clubs censés logiquement ne pas pouvoir dépenser plus qu’ils ne gagnent. Est-il officiellement mort ? Le covid a participé à sa destruction et la menace lancée par ce projet de Super Ligue a été le coup de pression de trop. En gros, les gros clubs ont dit à l’UEFA : « Soit on crée notre Super Ligue sans vous, soit on reste avec vous pour la Ligue des champions, mais en échange vous allégez considérablement le FPF. » Aujourd’hui, l’UEFA a doublé le déficit autorisé sur trois ans mais obligé les clubs à limiter leur masse salariale à 90 % de leurs revenus en 2023-2024, puis 80 % et enfin 70 % à partir de la saison 2025-2026. Avec ça et là des possibilités de compensations. C’est une victoire des grands clubs évidemment. [scald=29093006:sdl_editor_representation] En Belgique, la volonté du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) de restreindre très fortement la publicité liée aux paris sportifs passe mal auprès de clubs de D1A qui dépendent pour treize d’entre eux de cette importante manne budgétaire. Est-ce à dire qu’il existe encore un levier pour influer sur les financements des clubs ? Soit on résonne d’un point de vue libéral et on dit stop, soit on met des gardes de fous pour protéger les clubs de manière plus globale. Je pense qu’il faut trouver des solutions au-delà du cadre économique pour limiter la trop grande dépendance des clubs à ces instituts. Cela paraît indispensable. Et c’est bien la preuve qu’on peut encore altérer les finances des clubs, oui. Mais attention à ne pas déplacer le problème. Si on sanctionne financièrement les clubs, cela ouvre d’autres portes. Cela les rend plus fragiles, plus corruptibles aussi. [scald=29093004:sdl_editor_representation]

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