Peter Geye, «Au nord du nord»: l’âme brûlante de ceux qui ont survécu

Dans l’arbre généalogique de la famille Eide, Odd Einar est le premier de la lignée, qui a donné son nom à six générations d’Eide, installées à Gunflint, dans le Minnesota. A Harry, personnage du quatrième roman de Peter Geye, L’homme de l’hiver, et son fils Gus. Et à Greta, sur l’avant-dernière branche, installée avec son mari comme toute la lignée à Gunflint. En 2017, plus personne ne connaît le lien originel avec la Norvège, terre des ancêtres, gravée dans le patronyme que tous portent. Odd Einar, et par ricochet toute la smala, est un survivant. Quand il refait surface dans le petit port de pêche d’Hammerfest, des semaines après avoir abordé pour une expédition vers le Spitzberg, plus au nord, tout le monde croit voir revenir un fantôme. Odd Einar n’était déjà plus qu’un souvenir, pour son épouse qui avait déjà fait son deuil, et enterré avec lui une vie d’amour et de précarité, dans une petite chambre à l’étage d’une boulangerie. Amaigri, affaibli, il est pourtant là, riche de son incroyable périple dans les glaciers et d’une aventure extrême, pour retisser les fils. Ceux de son couple, lourdement abîmé par l’épreuve, une de plus après avoir vu partir leur seule enfant, Théa, vers le Minnesota et dont ils sont sans nouvelles. Ceux aussi de son récit de survie, puisqu’un journaliste ambitionne d’en faire la narration dans le détail – dans un article, d’abord, un livre dans un second temps. Foi dans la neige Puis, il y a Greta, 120 ans plus tard. Engluée dans un mariage où la passion s’est éteinte, elle profite de l’absence de son mari pour faire le périple vers Hammerfest, 1.900 kilomètres, ou 24 heures de route, au nord d’Oslo. En quête de sens, en quête de racines, en quête de la personne qu’elle voudrait être et qu’elle exhume, entre les bras de Stig, musicien, marin, qui rallume en elle des incendies. Au cimetière d’Hammerfest, le hasard la conduit devant la tombe d’un Odd Einar Eide. Le maillon manquant, l’ancêtre devenu, après la publication du récit de son expédition miraculeuse dans le Spitzberg, une légende locale, sorte de héros populaire. La voix d’Odd Einar raconte comment il a résisté à l’hiver glacial et sauvage du Spitzberg, survécu à l’attaque d’un ours blanc, erré à l’inconnu, guidé par l’instinct. Se créant une nouvelle foi après avoir renoncé à l’idée de Dieu : « J’ai suivi la côte du fjord, à travers la neige, jusqu’au front du glacier. Ce n’était pas facile de déterminer où finissait le ciel et où commençait la terre. Et je dois vous confier une chose, Herr Granerud : alors que je marchais dans cette vallée de glace, à la recherche d’un passage qui ne soit pas sillonné de crevasses, ni ponctué de moulins, je me sentais incroyablement léger. Comme si, délivré de ma foi, je pouvais avancer plus vite. Et, de fait, j’ai atteint ce premier glacier dans le Fonn. Etais-je pour autant à l’abri des dangers ? La neige était-elle mon salut ? Quoi qu’il en soit, elle aussi m’a porté ce jour-là. » Par bribes L’homme de l’hiver, le précédent roman de l’écrivain américain Peter Geye, réactivait déjà la mémoire d’un disparu de la lignée des Eide. On aurait tort de voir uniquement dans Au nord du nord la simple épopée d’un survivant façon Leonardo Di Caprio dans le film d’Alejandro González Iñárritu, qui n’est livrée ici que par bribes, à mesure qu’Odd Einar la livre au journaliste Granerud, celui qui façonne la légende. Le roman raconte aussi l’écriture de cette histoire, comment la mémoire se réactive et comment l’épisode bouleverse l’existence d’un homme de condition miséreuse. Avec, en parallèle, la renaissance intime et existentielle d’une femme réconciliée avec ses racines. Irriguées de neige, de froid, portées par la passion, deux figures d’aventuriers proprement fabuleuses. [scald=29097967:sdl_editor_representation]

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