Adeline Fleury: «Je crois à la féminité absolue, qui fait peur»

Adeline Fleury a été longtemps journaliste « société » au Journal du dimanche et cheffe du service Culture du Parsisien du week-end. Mais depuis 2014, elle se consacre essentiellement à l’écriture. « Je vis de ma plume », dit-elle. « Mais pas que de mes livres à moi. J’écris pour des personnalités et des livres de témoignages pour d’autres. Je suis une ghost writer. » Et une écrivaine particulière. Dans ses quatre romans, dont celui-ci, et ses trois essais, dont Petit éloge de la jouissance féminine (Les Pérégrines), elle explore le corps et l’intimité des femmes. Les frénétiques, ce sont Ada et Eva. Ada se rend sur l’île d’Ischia, au large de Naples, avec son jeune fils Nino. Le soleil, la mer, les embruns, les paysages réveillent son corps, endormi par des mois de travail et d’abstinence sexuelle. Une jeune rousse, Eva, à la beauté fascinante, la trouble complètement. Même la présence de Nino, même l’assiduité à la séduire de Guido ne parviennent pas à l’écarter du chemin de passion qu’elle prend. Et qui se terminera dans le drame, pouvait-on espérer autre chose sur cette terre surmontée par ce volcan menaçant ? On n’imagine pas cette histoire d’amour sensuelle ailleurs que sur cette île. Parce que le volcan attise à la fois la passion et la menace. C’est ce lieu, que je connais bien, qui m’a donné envie d’écrire cette histoire. Et puis moi-même, j’ai éprouvé un émoi pour une jeune femme là-bas, de manière très furtive, ça n’a pas abouti sur une histoire, et je l’ai complètement fantasmée. Ischia est un personnage à part entière des Frénétiques. Les frénétiques, c’est Ada et Eva, mais aussi l’île. J’ai voulu que le tellurisme de la région soit en écho avec le bouillonnement intérieur que vit Ada, avec l’éruption du corps de cette femme prête à exploser de désir. Il n’y a quasiment pas de place pour la raison chez Ada, ou de moins en moins. Son enfant, Nino, la ramène aux choses de la vie, à l’essentiel, à la raison, au départ. Mais rapidement, Ada tombe en amour, en passion et en folie. La raison occupe très peu de place dans une relation passionnelle. Dans ce roman, les hommes sont soit inoffensifs, soit machos, comme Guido. Je suis féministe, mais je n’ai pas du tout envie de renverser une domination pour la remplacer par une autre : l’idée est d’être égalitaire. Mais c’est vrai que, dans ce texte, Ada est dégoûtée de ces hommes du passé, elle en a trop consommé, je pense. Elle repart de zéro, elle s’est nettoyée de toutes ces histoires et elle laisse la place au féminin. C’est vraiment une ode à la féminité, au féminin tout-puissant. Vous avez introduit une dimension de thriller dans le roman. Pourquoi ? Je voulais qu’il y ait un duel entre l’amour et la mort, entre Eros et Thanatos. J’ai envie de creuser une littérature blanche, on va dire classique, très littéraire, mais avec derrière quelque chose qui tienne le lecteur en haleine, un suspense, un fil narratif, une menace. Je pense que c’était totalement compatible avec cette histoire passionnelle. L’écriture est très belle. C’est le produit d’un long travail ? C’est du peaufinement. J’ai un premier jet assez facile, un flot qui sort, une fois que je suis embarqué par une histoire. Ensuite, je travaille énormément, je coupe, je taille, je taille beaucoup. J’ai un vrai souci du mot juste, de la sonorité, je travaille beaucoup la langue. Je me lis à voix haute, et tout ce qui dissone, ce qui est en trop, j’enlève. Vous faites votre Flaubert. A mon humble niveau. Les prénoms de votre roman ne sont pas innocents. Nino, c’est l’enfant, en effet. Ada, c’est Ada ou L’ardeur de Nabokov, le livre est dans ma bibliothèque à côté de mon lit. Je regarde cette couverture régulièrement et ça a dû me travailler inconsciemment. Et puis Ada, c’est aussi proche de mon prénom. Je voulais des prénoms très courts. Et Eva, évidemment, c’est la tentatrice, le fruit défendu, la transgression. Et elle est rousse. Le feu, la passion. Pour moi, la femme rousse, c’est la féminité absolue, la séductrice, la chevelure, quelque chose de diabolique. Quelque chose de la sorcière ? Je crois à la puissance du féminin, à la féminité absolue, qui englobe tout, qui enveloppe, qui fait peur. On a brûlé les sorcières. Quasiment toutes les cultures tentent de taire le féminin, parce qu’on a le pouvoir de donner la vie. C’est un super-pouvoir. Peut-être que Dieu est une femme. [scald=29098024:sdl_editor_representation]

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