Festival de Cannes: pour Dirk Impens, «Félix Van Groeningen et Lukas Dhont sont exceptionnels»

Depuis 1999 et la Palme d’or pour Rosetta, les frères Dardenne ont emmené chacun de leurs films en compétition avec une constance sans faille. Cette année, Tori et Lokita, leur douzième long-métrage, sera leur neuvième sélection pour la Palme d’or (projection officielle le 24 mai). Une fierté pour la Fédération Wallonie-Bruxelles car peu de cinéastes dans le monde peuvent s’enorgueillir d’une telle présence dans le plus grand festival de cinéma. [scald=29106650:sdl_editor_representation] L’édition 2022, c’est aussi l’arrivée en force de cinéastes flamands dans la compétition. Pas un, pas deux, mais trois. Dès le 18 mai, le Flamand Félix Van Groeningen et sa compagne Charlotte Vandermeesch présenteront Les huit montagnes, coproduction avec l’Italie. Et le 26 mai, c’est le jeune Lukas Dhont, Caméra d’or en 2018 avec Girl, qui dévoilera son deuxième film très attendu, Close. On peut ajouter Adil El Arbi and Bilall Fallah, en sélection officielle, séance de minuit, avec Rebel. De cette présence flamande exceptionnelle, nous en avons parlé avec le producteur Dirk Impens, qui a marqué le cinéma belge avec des films comme Daens, The Broken Circle Breakdown (Alabama Monroe), La Merditude des Choses et Girl. Dans son écurie, dès le début des années 90, on trouve Robbe De Hert, Stijn Coninx, Frank Van Passel, Dominique Deruddere, Jeroen Krabbé, des cinéastes phares du cinéma flamand. Dans les années 2000, il produit des séries télévisées à succès, Jan Verheyen, Félix Van Groeningen et le jeune Lukas Dhont. En 2022, le voici à Cannes pour la quatrième fois. Il accompagne Close de Lukas Dhont. Cannes 2022 a quelque chose d’historique pour le cinéma belge, notamment avec la sélection en compétition de Lukas Dhont et Félix Van Groeningen. Qu’est-ce que cela dit du cinéma flamand ? Tout le monde est prêt à dire que ce n’est pas un hasard ; moi, je ne dirais pas que c’est symptomatique de quelque chose. Cela prouve avant tout le talent exceptionnel des metteurs en scène en question. Les frères Dardenne avec un neuvième film en compétition, avec déjà deux Palmes d’or et d’autres prix, c’est aussi exceptionnel. Leur cinéma est particulier, très personnel et de qualité. Je dirais la même chose pour Félix et Lukas. Je connais bien Félix, on a travaillé ensemble pendant vingt ans. On a fait cinq films ensemble. Ensuite, il est parti aux Etats-Unis. Félix est un talent exceptionnel. Dans tous ses films, il y a le même thème : la famille. Il a le cœur large quand il parle de la famille. Lukas, qui parle de l’identité, n’est qu’à son deuxième film mais on voit très bien chez lui aussi un talent exceptionnel. Je trouve que Girl est un film sublime. Félix et Lukas traitent de sujets qui les touchent très profondément, très personnellement. Ils le font avec un style particulier qui leur est propre. C’est peut-être conservateur que de dire ceci, mais ce sont des gens qui travaillent très dur. Ils ne sont jamais contents ! Comme producteur, parfois, cela te rend fou. Avec eux, ce n’est jamais bien, on peut toujours faire mieux. Par exemple, avec Lukas sur Close, on a fait le montage images pendant sept mois ! Le film était là dès le début mais c’est un perfectionniste à un point qu’on n’imagine pas ! Cela dit, je dois avouer qu’il a presque toujours raison. Il a raison de continuer et d’aller plus loin. Je dirais exactement la même chose pour Félix. Il prend beaucoup de temps au montage mais aussi à l’écriture, en préparation, pour le casting, durant le tournage. Lukas et Félix, c’est toujours plus loin ! Ils veulent tout essayer, tout réessayer. Les structures d’aide mises en place en Flandre favorisent-elles cette éclosion créative ou est-ce l’arbre qui cache la forêt ? Les conditions ne sont pas tellement différentes en Flandre et du côté francophone. Les réalisateurs et les producteurs francophones aiment dire que ça va mieux en Flandre mais je ne le pense pas. Le Tax shelter, qui est au niveau fédéral, est devenu une source très importante pour le cinéma belge. Par contre, où il y a une différence, c’est du côté du public. Le public flamand est plus proche du cinéma flamand. Il ira voir des films flamands parce qu’il aime le cinéma flamand. Il soutient son cinéma. Les films flamands d’art et essai peuvent atteindre 100.000 spectateurs. Avec Lukas Dhont, parleriez-vous d’une nouvelle Vague du cinéma flamand succédant à celle des années 2000-2010 qui révéla des cinéastes comme Erik Van Looy, Nic Balthazar, Tom Barman, Michael Roskam, Félix Van Groeningen ? Il faudra me reposer cette question dans cinq ans. En Flandre, aujourd’hui, la terre est féconde pour de nouveaux jeunes réalisateurs. Il faut souligner l’effet VAF (het Vlaams Audiovisueel Fonds) car depuis quelques années, ils sont devenus plus exigeants dans le choix des films. Les conditions budgétaires n’ont pas vraiment changé mais ils veulent un bon accompagnement à tous les stades de la fabrication d’un film. Avant, on passait une fois au guichet de la Communauté flamande et c’était oui ou non. Aujourd’hui, il faut défendre son projet à tous les stades, de l’écriture à la post-production pour obtenir chaque aide. Tu pitches ton film sur deux pages et tu le défends devant un jury durant six minutes pour obtenir la carte verte qui te permet d’introduire ton dossier pour l’aide au scénario. Sans carte verte, il ne faut même pas commencer ! Il y a trois semaines, 23 projets ont été présentés et seulement six ont reçu la carte verte. Rien n’est acquis d’office. Ça prend du temps mais c’est très important, à mon avis, pour la qualité des films. Le cinéma flamand se porte bien ? Difficile à dire. Je constate qu’il y a beaucoup de jeunes producteurs. Quand j’ai commencé début des années 90, on était entre 5 et 10. Aujourd’hui, il y a plus d’une cinquantaine de petites boîtes de production. Je me pose une question : Comment survivent-ils ?! Heureusement qu’il y a une production de séries télé. Mais quand on parle de cinéma, je ne vois pas très bien comment ils vont faire. Car ce qu’on expérimente avec le film de Lukas est exceptionnel. De quelle manière êtes-vous impliqué dans la production de « Close » ? C’est 100 % différent de mon accompagnement de Girl. Juste avant de savoir que Girl soit sélectionné à Cannes, fasse un triomphe, se vende un peu partout, gagne des prix dont la Caméra d’or, je voulais me retirer du métier. Mais voyant ce qui se passait autour de Girl, je me suis dit que c’était dommage de ne pas saisir l’opportunité de produire son deuxième film. Cela fait très producteur de dire cela mais c’est la logique du marché : trouver un financement pour le deuxième film de Lukas n’était pas trop difficile. Mais j’ai très vite senti que pour Lukas, faire un deuxième film n’était pas évident car il avait connu le succès et il avait une pression énorme. Il a pris un an pour se remettre et savoir ce qu’il voulait faire précisément. Je trouvais que c’était ma responsabilité de l’aider, de le supporter dans son deuxième film. Je voulais aussi montrer au monde que le succès et la qualité intrinsèque de son premier film n’étaient pas un hasard. Mais je n’avais plus envie d’être tous les jours sur un plateau, avoir sept mois de montage… Nooon ! J’en avais un peu marre donc j’ai dit au frère de Lukas, Michiel, qui se questionne sur le fait d’être réalisateur face à son frère et qui a un certain talent pour l’organisation et les chiffres : « faisons-le ensemble. Je suis derrière toi, je vais t’aider. » C’est un super mec. Il a fait un très bon travail comme producteur. Comme ce sont deux frères, il y avait une dynamique différente que celle qui existe d’habitude entre un cinéaste et son producteur. Cette complicité est un élément positif qui s’est ajouté à cette aventure. Il y avait une belle confiance entre les deux frères dès le début. Et trois ans plus tard, on est à Cannes ! Peut-on parler budget du film ? Le budget de Close est le double de Girl. Donc au lieu d’une fois peanuts, c’est deux fois peanuts, comparé aux films hollywoodiens, voire français. On ne se plaint pas. On a eu 45 jours de tournage. Ce fut un tournage compliqué car on a dû couper en quatre périodes pour avoir l’évolution des saisons. Et on tournait avec des enfants de 13 ans, ce qui limite le temps de tournage par jour. En tant que producteur emmenant un film à Cannes, vous avez connu toutes les sections. C’est quoi, l’effet Cannes ? A Cannes, tu montres ton film au monde entier ! Ce festival te donne une valeur commerciale incomparable. Cannes reste incomparable quoi que certains disent ou veulent faire croire ! Si le public adore le film, tu es lancé. On a senti cela dans la salle pour Girl. C’était incroyable. Le film a vraiment été embrassé par les spectateurs. On espère la même chose pour Close. Pour Félix, il y eut un avant et un après La merditude des choses. Il a installé sa réputation de cinéaste à ce moment-là car, même si Thierry Frémaux n’a pas sélectionné Alabama Monroe, il se souvenait très bien de Félix. C’est mon quatrième film à Cannes. Cannes, c’est un grand magasin. J’ai connu le fond du grand magasin avec la Semaine de la critique pour Manneken Pis, ensuite je me suis rapproché de la vitrine avec la Quinzaine des réalisateurs pour La merditude des choses, puis tu arrives dans la vitrine avec la sélection officielle, d’abord « Un certain regard » pour Girl et aujourd’hui, la compétition avec Close. Là, c’est le gros spot sur ton film. C’est un très grand honneur. Pour moi, ce fut toujours une expérience positive. Mais je sais que chaque année, certains films sont tués à Cannes.

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