Des réfugiés afghans évacués par l’armée se voient refuser la protection belge

Ils sont « moins de 10 », nous assure Dirk Van den Bulck, patron du CGRA, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Neuf, pour être précis. « Ils », ce sont des Afghans comptant parmi les plus de 1.400 personnes évacuées par l’armée belge en août dernier dans le cadre de l’opération « Red Kite », à qui la Belgique a décidé de ne finalement pas accorder de protection internationale. Après avoir été emmenés par avion officiel à plus de 5.000 km de chez eux, ils pourraient finalement être obligés de quitter notre pays. La situation semble kafkaïenne, le commissaire général assume. « Dans la plupart des cas, pour Red Kite, les dossiers ont été traités prioritairement et une décision d’octroi de statut a été prise. Mais pour quelques cas, on a dû constater qu’il n’y avait pas du tout d’éléments favorables pour cet octroi. Pour ces personnes, tenant compte de leur situation individuelle dans le pays d’origine, on a pris une décision de refus », justifie-t-il en expliquant qu’à ce stade, ces personnes ne se voient pas encore priées de quitter le territoire. « Il faut maintenant voir comment, en appel, le Conseil (NDLR : du contentieux des étrangers, dit CCE) va apprécier la chose. » Pour le patron de l’institution ayant pour tâche d’octroyer (ou de refuser) l’asile et la protection subsidiaire en Belgique, personne n’est à blâmer dans cette affaire. Ni le CGRA, ni l’armée belge dépêchée à la hâte en Afghanistan, ni le personnel diplomatique impliqué. « Dans cette opération, tenant compte du contexte, on ne pouvait pas tout vérifier non plus. » Le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Sammy Mahdi (CD&V), estime pour sa part que le sujet ne le concerne pas directement. « Le CGRA est un organe indépendant. La politique n’intervient pas là-dedans. » Gel, dégel et regel L’épisode vient témoigner d’une réalité plus large : aujourd’hui, en dépit de la situation politique, socio-économique et humanitaire du pays, le seul fait d’être un Afghan sur le sol belge ne garantit en rien l’obtention d’une protection subsidiaire, ce statut qui, contrairement à l’asile, prévoit une protection aux personnes venant de zones ou de pays où il est considéré qu’elles pourraient – indépendamment de leur profil particulier – se retrouver victimes collatérales de conflits. Le 16 août dernier, après la prise de Kaboul, le CGRA choisissait de suspendre jusqu’à nouvel ordre toutes les notifications de décisions relatives à la protection subsidiaire pour les ressortissants du pays, le temps d’évaluer la situation sur place et d’adopter une position claire et sourcée. Mais « on ne va pas automatiquement octroyer un statut de protection aux évacués afghans », prévenait déjà Dirk Van den Bulck, en précisant que les demandes d’asile continueraient par contre à être traitées. [scald=29109608:sdl_editor_representation] Ainsi, entre septembre et février, 510 Afghans ont été reconnus comme réfugiés. Sur la même période, seules 4 décisions – toutes négatives – ont été rendues en ce qui concerne la protection subsidiaire. Ce n’est que le mois suivant que le CGRA, estimant disposer d’assez d’informations pour statuer en connaissance de cause, a mis fin à ce gel. Dans les faits, cela s’est traduit par une marée de décisions négatives en mars : 390 au total, pour seulement deux positives. Dirk Van den Bulck s’en explique : « Après ces quelques mois, on a constaté que la situation était toujours très problématique pour un certain nombre de personnes qui risquent des problèmes de persécutions par les talibans » dit-il. « Mais en ce qui concerne le risque d’être victime de violences aveugles en conséquence de combats ou d’incidents de sécurité, depuis la reprise par les talibans, la situation est manifestement différente, dans le sens où il y a vraiment moins de risques. Il y a même des experts qui disent qu’en comparaison avec les 10 ou 15 dernières années, sur le terrain de la sécurité, la situation n’a jamais été si positive. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’incidents de sécurité. Mais dans ces cas, ce sont des incidents avec une violence qui n’est pas aveugle, avec des personnes qui sont visées. » 5.400 dossiers en attente Le 31 mars dernier, un arrêt du CCE est toutefois venu mettre à mal cette ligne. Un Afghan qui avait introduit en juillet 2021 une demande de protection internationale, rapidement déboutée, a introduit un recours et s’est vu donner raison par cette juridiction administrative. Dans son arrêt, celle-ci a notamment jugé qu’« à l’heure actuelle, aucune information disponible ne démontre que la situation (sécuritaire) en Afghanistan se serait stabilisée à un point tel qu’il est aujourd’hui possible d’en faire une évaluation correcte et prospective ». Un caillou dans la chaussure du CGRA qui, dans la foulée, a décidé de « regeler » la notification de décisions sur les dossiers afghans de protection subsidiaire, le temps « d’examiner à nouveau » la situation. Répit de courte durée. Son patron promet déjà : « On s’apprête à reprendre des décisions de refus, avec des analyses plus élaborées et des informations encore plus actualisées. » Pour le CGRA, le risque d’un gel prolongé serait de voir l’arriéré afghan s’alourdir. Actuellement, pas moins de 5.400 dossiers relatifs à ce pays sont en attente de traitement, rien que pour des demandes soumises en 2020 et en 2021. Face à ce yo-yo, certains avocats spécialisés en droit des étrangers évoquent une douche froide. Et ce « alors que l’on s’attendait à une protection massive des personnes ayant fui ce pays, plongé dans une crise humanitaire sans précédent suite à la chute du gouvernement et au départ de l’aide internationale dont il dépendait, où les violations des droits humains sont légion », déplorait déjà en mars l’avocate bruxelloise Pauline Delgrange, au travers d’une carte blanche. « Hormis les pousser dans la clandestinité et la précarité, quel sera l’impact de cette politique ? » « Une attitude peu accueillante » Avocate anversoise, Jana Schellemans fait ainsi part de la situation d’une de ses clientes afghanes, Amina (nom d’emprunt), dont la demande d’asile introduite il y a 4 ans a récemment été déboutée en mars. « Elle a trois frères en Belgique, dont un de nationalité belge, et suit des cours de néerlandais approfondis car elle souhaite commencer des études supérieures dès que c’est possible. » Cela n’a pas suffi. Raison pour laquelle Amina a introduit un recours, ne pouvant pour l’heure se résoudre à reprendre le chemin de son pays d’origine – d’autant plus que les derniers signaux envoyés par les talibans, marquant leur volonté de réimposer le voile intégral dans l’espace public, sont alarmants. « Vivre seule en tant que femme y est déjà très difficile dans le contexte social du pays, mais les restrictions imposées par les talibans la rendent impossible. En outre, elle court un danger supplémentaire parce qu’elle vit en Occident depuis des années et a étudié dans une université américaine (au Kirghizistan, NDLR). » Président de la commission « Migrance » au sein d’Avocats.be, Jean-Marc Picard constate pour sa part que la situation des évacués de « Red Kite » qui se sont déjà vu octroyer le statut de réfugié n’est pas forcément rose non plus, par contraste avec les dispositions prises à l’égard des Ukrainiens. « J’ai pris en charge des dossiers ayant fait l’objet de décisions positives, pour des gens envers lesquels la Belgique a finalement eu une attitude peu accueillante. Ils ont été logés temporairement dans des centres en Flandre et en Wallonie, puis plus rien. Là-dedans, il y a des juristes ou des journalistes, des gens qui ont collaboré avec l’Otan, à qui on dit : “Voilà, vous êtes réfugié, vous avez deux mois pour trouver un logement”. Il y a une bienveillance à l’égard des Ukrainiens, et c’est très bien, mais on devrait l’avoir envers tous les réfugiés. »

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