«Lettre de la City»: Les griffons, c’est fun!

Chaque matin, une marée d’employés, de cadres et de directeurs sort du courant d’air des bouches du métro « Bank » dont les portillons s’ouvrent au choix sur la Banque d’Angleterre, l’ancien Stock Exchange ou Mansion House. A partir de 18 heures, c’est la marée descendante. Par la suite, le quartier, où bat le cœur de la plus ancienne et la plus importante place financière d’Europe, est pratiquement désert. Les deux célèbres griffons, les animaux de la mythologie avec des ailes, une tête d’aigle et un corps de lion enserrant dans leurs griffes un bouclier tombent dans les bras de Morphée. L’étendard emblématique de la City dort. Tel est le portrait de la City que Chris Hayward entend changer. Mains fortes et débit tranchant, le porte-parole et ministre des Affaires étrangères de cet Etat dans l’Etat apparaît comme un homme d’action. Le patron de l’îlot barricadé depuis plus de cinq siècles de bons et loyaux services au milieu du royaume refuse de se calfeutrer derrière des remparts. Il attaque, sabre au clair. Quand l’intéressé au visage sanguin des portraits de juges à la robe couleur ocre du XVIIe siècle parle, on se rend compte que plus qu’une idée fixe, il a une mission : réintroduire le fun dans le sanctuaire du capitalisme libéral grâce à une dérive ludique dotée de tous les atours. Et qu’il est pressé. « Mon ambition est de transformer cet îlot de tranquillité en un lieu vivant, varié et amusant, ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, afin de retrouver l’élan magique perdu lors du coronavirus », explique le nouveau chef de la City of London Corporation, l’organe de gestion de la plus forte densité planétaire de banques dans un espace aussi limité, un peu moins de 300 hectares. L’organisation de festivals et de fêtes, la création d’infrastructures commerciales et touristiques et l’amélioration des transports doivent attirer une population plus jeune dans ce havre de paix qui n’a que 10.000 habitants, la plupart âgés et pauvres. A destination des visiteurs étrangers, le programme met en exergue les églises superbes qui ont survécu au Grand Incendie de 1666 et au Blitz, les pubs délicieux chers à M. Pickwick et à Dickens, les marchés qui osent défier le temps, les restaurants qui ont su garder le charme d’avant et les hôtels singuliers. Le quartier doit devenir la vitrine du modèle britannique de régénération urbaine avec tout ce qu’il comporte de dynamisme et de fantaisie. Reste qu’au-delà des fifres, tambourins et trémolos officiels, Tony Travers, spécialiste de Londres à la London School of Economics, souligne qu’« Après la secousse du coronavirus, réinventer la City est une question de vie ou de mort toutes affaires cessantes. La place est confrontée à un danger existentiel ». Les clignotants au rouge En effet, les pétales de roses ont cessé brutalement de tomber du ciel. Depuis la fin de la pandémie, les clignotants sont au rouge. A l’heure de pointe, le nombre d’usagers du métro (un demi-million de banlieusards en moyenne) est de 50 % inférieur à la période correspondante de 2019. L’occupation des bureaux est en chute libre le lundi et le vendredi. De facto, la semaine de trois jours est en vigueur. Les nombreux commerces, restaurants et bars, qui ont mis la clef sous le paillasson faute de clientèle, attestent l’urgence. Il est bien fini le temps des traders, la bière dans une main, le portable dans l’autre, qui se réunissaient en fin de journée sur le trottoir noir de monde pour oublier leur labeur frénétique sur tempo de crise de nerfs. L’alcool coulait à flots, ce qui déliait les langues et aussi, plus tard, les mœurs. Cette tour de Babel était à la fois le terroir des prouesses comme des méfaits de la haute finance. Comme disait la phrase culte de Jacques Chirac, les « emmerdes volent en escadrilles ». Au même moment, la Banque centrale européenne hausse le ton en exigeant des banques de la City qu’elles relocalisent des effectifs sur le Vieux continent d’ici la fin de l’année. Six ans après le référendum sur le Brexit, les grandes enseignes internationales continuent de servir leur clientèle depuis Londres, comme si de rien n’était. Le régulateur de Francfort refuse que les opérations transférées dans les pays de l’UE ne soient que des coquilles vides. A ses yeux, les tours de passe-passe constituent un risque systémique en raison de l’absence d’un système de gestion des risques adéquat. Cet ultimatum ne peut qu’avantager les places concurrentes des 27 déterminées à tailler des croupières à Londres après le largage des amarres communautaires. Pourtant, comme le souligne le Financial Times face aux froides statistiques, « l’avis de décès est prématuré ». A écouter Hayward, l’immobilier de bureau se porte bien, merci. L’espace est utilisé différemment. Le travail en collectif prime désormais sur les commodités personnelles, même pour les chefs. Par ailleurs, les vraies et seules rivales à l’hégémonie de cette place mutante parée de tous les superlatifs sont New York et les places émergentes asiatiques. Le leitmotiv est simple : les fuseaux horaires plus favorables, l’ouverture à l’international et la souplesse de la réglementation restent des atouts imparables face à Wall Street et au triumvirat Singapour-Shanghai-Tokyo. Message reçu. Le futur visage de la City doit démentir le fameux sketch de Fernand Raynaud, un riant « Sunday’s closed » (dimanche est fermé).

Votre compte

«Lettre de la City»: Les griffons, c’est fun!

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Chroniques

Chronique Carta Academica: Crise sanitaire et crise de biodiversité : un même problème et une même solution

Chronique Romelu Lukaku, le Tour de France et le prince Charles: les gagnants et les perdants de la semaine

Chronique «Déjà vu»: Biden-Carter, même combat?

Chronique #visapourlaflandre: Nuit de colère, nuit de bile

Chronique «Variations»: Deux clivages autour de l’abattage rituel

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Royaume-Uni: deux ministres lâchent Boris Johnson en plein scandale

Réforme fiscale: taxer les loyers à 30%, supprimer les chèques-repas... les suggestions des experts au gouvernement

Wimbledon: Goffin craque face à Norrie et ne disputera pas les demi-finales

Analyse Tour de France: Wout van Aert est véritablement en feu

Un bijou de 27 millions d’euros dérobé: la police lance un appel à témoins

Immo: la ruée vers l’Espagne se poursuit

De plus en plus de Belges prennent leur pension anticipée

Le présentéisme structurel est en hausse

De plus en plus de travailleurs belges cumulent deux jobs

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel