Festival de Cannes: pour Jean Dujardin, «le collectif est héroïque»

Athènes, dix mois avant les attentats de Paris. Abdelhamid Abaaouda a été localisé par son GSM. Il prépare une attaque en Belgique mais les forces anti-terroristes interviennent à temps, arrêtent deux de ses complices mais lui, réussit à s’enfuir. Cette scène d’action musclée ouvre Novembre, le nouveau film de Cédric Jimenez qui va nous plonger au cœur de l’anti-terrorisme pendant les cinq jours de traque qui ont suivi les attentats du 13 novembre. Du 13 au 18 novembre 2015, jusqu’à l’assaut à Saint Denis. [scald=29128827:sdl_editor_representation] Laisser les émotions de côté C’est un film de cinéma hyperréaliste et très immersif, tendu de bout en bout, qui suit les faits, évite l’émotion pour être dans l’urgence de l’action. C’est un film d’un seul point de vue, celui des enquêteurs, ce qui rend hommage aux métiers de l’ombre qui ont mission de protéger la nation. C’est un film qui permet de se souvenir. « Je n’ai jamais voulu que la mise en scène soit au-dessus du sujet. Elle rend compte d’une immersion mais sans emphase, de façon humble. » On peut ajouter aussi de façon efficace. Il y a un avant et un après 13 novembre. Mais la tragédie restera hors-champ pour se concentrer sur l’onde de choc que ce drame horrible provoque au sein de la SDAT (sous-direction antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire), sur l’investigation et sur la course contre la montre. « Quand j’ai vu la pudeur et la sobriété du scénario d’Olivier Demangel, je me suis mis au service de ce projet » explique Cédric Jimenez. Choix judicieux de garder, sans faillir, le point de vue des enquêteurs face à un événement qui a marqué violemment tous les esprits. « Un traumatisme qui laisse des traces, met en tension les hommes mais réunit aussi. Ce fut de véritables scènes de guerre dans Paris. On n’en sort pas indemne » précise le réalisateur français qui explique avoir gardé les profils des vrais protagonistes ainsi que leur façon de travailler mais a inventé assez pour qu’ils ne soient pas reconnus. « Ils ont laissé de côté leurs émotions, leur ressenti pour vivre cet effet tunnel et être très focus sur l’enquête ». C’est ça que rend compte ce film dans un rythme soutenu. Choc, sidération, urgence. Tout un service est sur le pied de guerre. Il y a des ratés, des erreurs, un sang froid qui fait tout à coup défaut face à l’ironie et au mépris de ceux qu’ils arrêtent. On est dans l’humain pris dans le vif de sa fonction. [scald=29128825:sdl_editor_representation] Une pudeur radicale Pour incarner ces hommes et ces femmes, Cédric Jimenez a choisi un casting qui en jette : Jean Dujardin, Sandrine Kiberlain, Anaïs Demoustier, Lyna Khoudri, Jérémie Renier, Cédric Kahn… Chacun œuvre pour ce collectif, s’accrochant au scénario, au rythme. Parce qu’il y a urgence, un carnage qui se compte en dizaines de morts, et des risques d’un nouvel attentat. Ce n’est pas le temps de l’émotion mais de l’action. Cédric Jimenez n’est pas dans la dimension « héroïque », comme on peut le voir dans la plupart des films hollywoodiens qui théâtralisent les hommes et les scènes. Car dit-il, « dans ce genre de situations, il n’y a que des perdants. » Jean Dujardin qui incarne un dirigeant de la SDAT et qui pour être au plus juste de la réalité de son personnage, de son tempo au cours des interventions, a rencontré des gens du RAID, de la BRI, du SAT, affirme : « C’est le collectif qui est héroïque. » Tous les acteurs étaient soucieux de l’approche du scénario. Sandrine Kiberlain qui joue la directrice de la SDAT avoue : « J’étais réticente au début par rapport à la proximité des événements. Cela ne fait que sept ans. Pour moi, le seul point de vue possible était l’enquête. Le parti-pris d’Olivier et Cédric rendait la chose possible. J’ai vu que cela permettait de ne pas oublier. » Le seul moment où les victimes entrent dans le cadre, c’est lors d’une scène d’hôpital où les enquêteurs, à la recherche du moindre indice, récoltent les témoignages déchirants de victimes et c’est fait avec une pudeur radicale. « On n’a pas sollicité les victimes car on n’en avait pas besoin pour le film et on ne voulait pas raviver leur traumatisme. On a une responsabilité et on reste humble » dit Cédric Jimenez. [scald=29128826:sdl_editor_representation] Le frottement entre la fonction et l’humain Le réalisateur, qui semble nettement plus à l’aise dans les scènes d’urgence et d’action que dans les moments d’attente, de désœuvrement, de doute, ce qui donne parfois un court sentiment de flottement avant d’être repris en force dans le film, maintient la plupart des personnages dans leur rôle et met les affects de côté comme le font ces hommes et ces femmes totalement investis dans leur métier. Seule une jeune enquêtrice (Anaïs Demoustier) et la jeune musulmane Samia (Lyna Khadri), qui donnera la localisation de Abdelhamid Abaaouda et permettra l’assaut de Saint Denis, apportent une épaisseur humaine différente à un service en marche de guerre. « C’est passionnant ce frottement permanent entre la fonction et l’humain » souligne Anais Demoustier. Mais on ne s’épanche pas. Ce ne sont que de rares moments, volontairement. Cédric Jimenez a choisi une ligne et s’y tient. Jusque dans l’assaut final, qui donne une scène de guerre magistralement filmée, avec un son d’une violence terrifiante et cette terrible réplique des terroristes hors cadres adressés aux membres du RAID : « venez mourir avec nous ». Explosion. On ne verra jamais Abdelhamid Abaaouda incarné sauf sur une vidéo parce que les enquêteurs ne l’ont jamais vu. Cédric Jimenez a choisi de ne pas tricher avec la réalité. Il a tourné à Molenbeek certaines scènes car « c’est là-bas que cela s’est passé aussi. » Le film se termine sur le visage de Salah Abdeslam, suspect-clé des attentats de Paris. Et comme le dit le personnage de Jean Dujardin, « C’est là que tout commence. ».

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