Mikhaël Hers à propos de «Les passagers de la nuit»: «Je me sens façonné et construit par les années 1980»

Il y a dans les films de Mikhaël Hers une sorte de mélancolie et un amour des personnages imparfaits. Après Memory Lane, Ce sentiment de l’été et Amanda, le réalisateur français se plonge au cœur des années 1980 dans Les passagers de la nuit. Elisabeth (Charlotte Gainsbourg), vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents. C’est ainsi qu’elle trouvera un petit boulot dans une émission de radio de nuit, où elle fera la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu’elle décidera de prendre sous son aile… [scald=29133669:sdl_editor_representation] Qu’est-ce qui vous attirait tant dans les années 1980 ? Ce sont les années de mon enfance. Et j’avais envie de capturer quelque chose de l’essence de ces années-là. Je me sens façonné et construit par ces années-là. Il y a cette expression qui dit : « On est de son enfance comme on est d’un pays. » Et c’est vrai que j’avais envie d’essayer d’en capter les sonorités, les impressions, les sensations, les couleurs. Avec évidemment un regard rétrospectif parce que c’est vu à l’aulne du présent. C’est la base de tout pour moi. Puis il y a des choses plus concrètes qui s’y agrègent comme le portrait d’une femme, la radio de nuit, ce quartier très particulier de Paris (Beaugrenelle) avec ces grandes tours… Ces années transparaissent aussi à travers le grain de l’image que vous avez choisi. Est-ce que c’était une volonté immédiate ? Est-ce que ça a été influencé par les images de votre enfance ? C’est vraiment un travail avec le chef opérateur (Sébastien Buchmann). Quand on fait un film d’époque, c’est vrai qu’il y a toujours cette question de la reconstitution. Et toujours un côté un peu artificiel. Évidemment on est obligés de passer par la reconstitution mais je voulais que ça se fasse de manière assez parcimonieuse. J’avais surtout l’impression que donner le sentiment de l’époque allait passer par le grain de l’image. On a par exemple filmé en numérique mais aussi avec une petite caméra Bolex en 16 mm. On a utilisé beaucoup d’images d’anonymes et d’amateurs. Le mélange de ces supports donne je crois la texture. Il y a aussi l’univers de la radio et le choix de la nuit, espace où la réalité est parfois différente… C’est vrai qu’on a une appréciation de la réalité un peu décalée la nuit. On voit les choses un peu différemment. Ce n’est pas quelque chose que je me suis formulé. C’est quelque chose de très intuitif. Pour la radio, quand j’étais enfant, il y avait ces émissions de témoignages d’anonymes et je les écoutais quand je faisais des insomnies. C’était des espèces de voix qui faisaient des liens dans la nuit. D’un coup, on est mis en lien avec le récit d’un pan de vie de personnages que l’on ne connaît pas. Ça a développé un imaginaire sonore très fort mais aussi plein d’images qui viennent avec ces témoignages. On s’imaginait à quoi pouvaient ressembler ces studios… Dans le film, on retrouve un extrait des « Nuits de la pleine lune » d’Éric Rohmer. J’adore Éric Rohmer, c’est un de mes cinéastes préférés. Mais c’était surtout un hommage à cette actrice, Pascale Ogier, qui est un peu un écho au personnage de Talulah. C’est une actrice qui m’a toujours fasciné et qui est malheureusement décédée très jeune. C’était donc un peu un effet de miroir avec ce personnage de cette jeune marginale. Le regard de Talulah sur cette femme qui apparaît à l’écran, qui dégage quelque chose qui la bouleverse à ce moment-là. Vous dites ne pas écrire spécifiquement pour des acteurs. Qu’est-ce qui vous a guidé vers Charlotte Gainsbourg ? Je voulais pour Elisabeth un personnage qui échappe un peu aux classifications d’usage. Je voulais qu’il soit parfois très timoré et d’autres fois très audacieux. Qu’il semble très vulnérable à certains moments et qu’il soit très solide et très déterminé à d’autres. Charlotte Gainsbourg inspire ça. Une forme de grande fragilité et une sensibilité exacerbée, mais c’est en même temps une personne très centrée, avec une assise très forte. Je trouve ça assez bouleversant quand ces deux dimensions-là cohabitent chez un être. J’ai l’impression qu’il me fallait ça pour le personnage d’Elisabeth. Est-ce que vous diriez que ce film est porteur d’un message d’espoir ? La vie est faite de moments légers et de moments plus douloureux. Et il faut essayer de trouver un moyen de rendre la violence du monde un peu plus acceptable. Je n’aimerais pas l’idée qu’on sorte de mon film déprimé ou de faire des films dénués d’espoir. Donc c’est vrai qu’il y a cette mélancolie mais c’est important pour moi qu’il y ait aussi de la lumière qui s’y introduise.

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