Extradition de Nizar Trabelsi: la justice belge condamne une fois encore le gouvernement

Ce 23 mai, la cour d’appel de Bruxelles a une nouvelle fois condamné l’Etat belge – le ministère de la Justice en l’occurrence – dans « l’affaire Trabelsi ». Il s’agit de la quatrième décision de justice à tous les échelons (depuis le tribunal de première instance jusqu’à la Cour de cassation) qui, depuis 2019, sanctionne le ministère de la Justice pour violation du principe non bis in idem (nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement une seconde fois à raison des mêmes faits) depuis que Nizar Trabelsi a été extradé illégalement aux Etats-Unis. Rappelons brièvement le contexte de cette affaire judiciaire complexe. Tombé dans les rets de l’organisation terroriste Al-Qaïda vers la fin des années 1990, le Tunisien Nizar Trabelsi, ex-footballeur professionnel, avait été interpellé le 13 septembre 2001 par la police belge alors qu’il n’était plus loin de perpétrer un attentat suicide contre la base militaire belgo-américaine de Kleine-Brogel, dans le Limbourg. En aveux, il avait été condamné à la peine maximale, dix ans, qu’il purgea in extenso. Pendant sa détention, la justice américaine émit un mandat d’arrêt international et demanda son extradition à la Belgique. Deux ans après la fin de sa peine passés sous écrou extraditionnel, Trabelsi a été livré aux Américains alors qu’une telle extradition avait été interdite par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’attente de la fin de son examen du dossier. Jugé deux fois pour le même crime ? L’argument juridique principal soulevé par la défense de Nizar Trabelsi est donc l’important principe non bis in idem. Appliquant ce principe, la justice belge a décidé dans plusieurs arrêts de cette affaire que si Trabelsi pouvait être extradé pour certains faits, il ne pouvait plus être poursuivi aux Etats-Unis pour les faits liés à la tentative d’attentat sur Kleine-Brogel. Or il apparaît que la justice américaine ne possède pas d’autre motif de poursuites judiciaires contre l’ex-djihadiste tunisien que son projet d’attentat à Kleine-Brogel pour lequel il a été jugé et condamné puis a purgé la peine infligée. Dans cette affaire, le point central consiste à essayer de comprendre pourquoi quatre ministres de la Justice successifs (*) se sont employés à violer sciemment le droit belge pour faire droit à la demande américaine concernant Trabelsi. Car les ministres ont été contraints par des injonctions, des décisions de justice, internationale et belges, à ne pas extrader et, ensuite, à préciser aux autorités américaines que l’extradition effectuée a été refusée pour les faits de Kleine-Brogel. Malgré cela, le ministère de la Justice a ensuite pris soin de commenter les décisions qui lui étaient défavorables dans des « notes diplomatiques » envoyées à la même justice américaine pour lui signifier que c’était le ministre de la Justice qui avait non seulement raison, mais aussi le dernier mot ! La dernière décision de justice, celle toute fraîche de la Cour d’appel de Bruxelles du 23 mai, enjoint au ministre d’envoyer le jugement traduit en anglais aux autorités américaines compétentes dans les dix jours sans quoi une astreinte de 25.000 euros par jour (avec un maximum de 250.000 euros) sera infligée à l’Etat belge. Une détention qui s’apparente à de la torture Le Tunisien vit dans sa prison américaine depuis huit ans et demi dans des conditions de détention ahurissantes. Le mot « torture » est employé par ses défenseurs belges, Dounia Alamat et Christophe Marchand, dans le communiqué qu’ils viennent de signer. « Depuis huit ans et demi », écrivent-ils, « il est détenu à l’isolement sensoriel total, en vertu des fameuses SAM (mesures administratives spéciales), dans une section de haute sécurité. Il est toujours seul, dans une petite cellule lugubre, sans lumière du jour, lampe forte allumée 24h/24, isolée de telle manière qu’il n’entende aucun bruit. Ses communications avec sa famille sont entravées (coût, surveillance, censure) de manière absolument drastique. Il lui est interdit de parler avec sa compagne depuis presque quatre ans. Les rapports médicaux établissent qu’il présente des symptômes psychotiques, qu’il s’automutile, qu’il souffre d’un syndrome de stress post-traumatique, qu’il « voit des choses », qu’il parle à sa seule compagne, la lumière, que ses convictions paranoïaques entravent ses capacités à se défendre, qu’il souffre de troubles obsessionnels, de malaise social, de mal de tête chronique, de troubles du sommeil, de crises de panique, de difficultés digestives, d’ulcère chronique, de douleur abdominale, de gonflement des membres inférieurs, etc. » Les photos du détenu que nous avons vues montrent en outre des éruptions cutanées rouges sur tout le corps. [scald=29138929:sdl_editor_representation] [scald=29138943:sdl_editor_representation] Prison à vie incompressible ? Nizar Trabelsi n’a donc pas encore été jugé aux Etats-Unis. Où la justice semble néanmoins décidée à passer à l’action. Comme nous le signale Me Alamat, « les juridictions américaines vont maintenant traiter toutes les questions qui restaient pendantes dans la phase “préliminaire” (pre-trial) – questions sur la régularité de certaines preuves, demande d’accès à des informations complémentaires, etc. – puis fixer l’affaire devant un jury ». Nizar Trabelsi risque une peine d’emprisonnement à vie incompressible, peine possiblement à purger dans les conditions décrites ci-dessus. Comme le précisent les avocats de la défense, « le ministre (belge, NDLR) de la Justice a pourtant reçu les rapports médicaux catastrophiques concernant l’état de santé mental et physique de Nizar Trabelsi. Comme les Etats-Unis, il a été interpellé par le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. Rien n’a infléchi la volonté de l’exécutif d’inscrire son action en dehors du cadre de la loi ». Reste donc la question sans réponse : pourquoi cet acharnement de nos ministres de la Justice à violer le droit belge ? Sollicitée, la porte-parole du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a éludé la question, se bornant à indiquer d’une part que « différentes procédures judiciaires étaient en cours aux Etats-Unis et en Belgique », et que, d’autre part, « le dernier arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles n’avait pas encore été notifié au ministère ». « Après », conclut le message de la porte-parole, « le gouvernement belge prendra position ». (*) Il s’agit de trois ministres Open VLD, Annemie Turtelboom, Maggie De Block et (l’actuel) Vincent Van Quickenborne, et d’un CD&V, Koen Geens.

Votre compte

Extradition de Nizar Trabelsi: la justice belge condamne une fois encore le gouvernement

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Police et justice

Procès des attentats de Paris: la défense d’Abdeslam refuse qu’il «prenne» pour ceux que l’on n’a pu juger

Trafic de drogue: policiers belges et néerlandais traquent la cocaïne dans le port d’Anvers

L’observatoire des sectes a commis une faute à l’encontre des Témoins de Jéhovah

Le procès de Salvatore Marasco pour l’assassinat de son ex-compagne débute à Mons

Avec Marie Dupont, le barreau de Bruxelles sera pour la première fois dirigé par une bâtonnière

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Droit à l’avortement: «Il ne faut pas paniquer mais on pourrait en profiter pour renforcer les droits des femmes»

Guerre en Ukraine: le sommet du G7 débute avec de nouvelles sanctions contre la Russie

Coronavirus: l’évasion immunitaire, le principal atout du variant BA.5

Vidéo Tim Merlier champion de Belgique sur route pour la deuxième fois

Enquête «J’étais pétrifiée»: une femme raconte son viol sur un tournage du site porno Jacquie & Michel

La VAB met en garde si vous partez en vacances le week-end prochain

Dépliants toutes boîtes : un vrai service à la clientèle

Le contrôle technique d’Eupen se modernise et veut augmenter ses effectifs

Près d'un Belge sur deux veut travailler dans une PME

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel