Edition: avec le mois de mai, le Bourdin nouveau paraît

Il n’y a pas de thrill, pas vraiment de suspense – ni de dénouement d’ailleurs, si ce n’est de retrouver un équilibre bienheureux. Ce n’est pas un livre dont on dévore les pages, les chapitres ne se terminent pas par des cliffhangers, ils vous laissent baigner dans des tonalités agréables. La psychologie de chaque personnage est explicite, toutes les cartes sont sur table, étalées en plein jour. Pourtant il y a bien un attrait, une histoire, des personnages crédibles, évolutifs et attachants, nourris d’observations très justes du quotidien. Quand on referme le 49e roman de Françoise Bourdin, Un si bel horizon (Plon) publié au début du mois de mai, on quitte une villégiature avec le sourire – la Corse, en l’occurrence – en constatant qu’on y a trouvé quelques heures de plaisir. A 70 ans, tout sourire, Françoise Bourdin nous accueille sur une terrasse du 17e arrondissement, l’un de ses repaires : on sait immédiatement que la rencontre sera aussi plaisante que le roman. Elle n’aime pas trop les voyages, n’aime plus ce qu’est devenu Paris, qu’elle a quitté en 1985. Ne lui demandez pas ce que sera le décor de son prochain livre, elle ne le sait pas encore et se réjouit de le découvrir lorsque l’inspiration viendra. Car elle viendra sans peine : de cela au moins, elle est certaine. [scald=29139555:sdl_editor_representation] Une écriture de verre Quelle est la recette ? Il n’y a pas de grands effets de style. C’est une écriture de verre, comme la voulait Asimov, un récit très documenté de vies ordinaires, mais sans misères : des bonheurs confortables. « C’est écrit d’un souffle », nous dit-elle, « sans prendre de vacances, sans s’écarter du texte et des personnages, par peur d’en perdre le fil. » Ecrit en six mois, sans plan, sans savoir ce que sera l’évolution et les retournements d’Ange, de Giulia, José, Inès. Mais tout est parfaitement calibré, travaillé, il n’y a pas un prénom qui ne se distingue de tous les autres, pas une erreur de raccord lors de deux descriptions pourtant éloignées d’une centaine de pages. « Je suis une éponge », se plaît-elle à dire : elle n’écrit ni dans les hôtels ni dans les cafés, mais elle « laisse traîner ses oreilles, écoute les conversations de comptoir – la vie des gens, c’est extraordinaire, ça me donne des idées tout le temps ». Et puis, riche de « vraie vie » traduite en petites notes illisibles, elle se retire pour écrire dans sa maison de Port-Mort (Normandie), à 90 km de la capitale. Elle n’aime ni les dédicaces en librairies (« Il n’y a pas vraiment d’échanges ») ni les salons, pas même celui de Brive-la-Gaillarde (« Une cure de foie gras… »), mais regrette qu’on ne l’invite pas dans les bibliothèques : « Je fais des chiffres records en bibliothèques. C’est un lectorat important. C’est ce qui est formidable en France, il y a des bibliothèques partout… » « Des livres qui sortent tout le temps » En Belgique francophone, ce succès est confirmé. Le réseau Tire-Lire, regroupant quinze bibliothèques locales du Namurois, a enregistré en cinq ans 821 sorties des ouvrages de Françoise Bourdin. Quatorze emprunts chaque mois ! « Il s’agit d’une forte demande de nos lecteurs de bibliobus », s’enthousiasme une bibliothécaire : « Mme Bourdin devrait écrire au mois un livre par mois pour satisfaire notre lectorat. » Il n’y a guère que les auteurs de terroir pour lui faire concurrence. Même écho positif à la bibliothèque de Wanze (Liège) : « Ce sont des livres qui sortent tout le temps, elle est sûrement dans le top 10 », constate le bibliothécaire Jacques Elias : « Dès qu’un livre de Bourdin va sortir, une série de réservations arrivent sur le site ou par téléphone. Et on réserve le nouveau parce que tout le fonds a déjà été lu : il y a des aficionados ! » Dans cette commune de 13.500 habitants, si Soif d’Amélie Nothomb est sorti 31 fois, Gran Paradiso a été prêté 54 fois et Le meilleur est à venir, pourtant paru en 2021, est déjà sorti 38 fois ! Le succès est tel que Françoise Bourdin n’a besoin ni des critiques de presse ni des libraires : elle vend essentiellement en grandes surfaces en suivant son propre calendrier, sa propre « rentrée littéraire » (lire par ailleurs). « C’est un livre qui se vend sans nous », confirme Béatrice Cerfontaine, libraire propriétaire de l’Oiseau-Lire, à Visé. « Les dames plutôt âgées qui aiment Françoise Bourdin viennent chercher son dernier livre, je ne peux pas dire que nous les conseillons car, dans l’équipe, on ne lit pas Françoise Bourdin : quand les auteurs n’ont plus besoin de nous, on les laisse vivre tout seuls. » « Pas besoin d’être défendu » Libraire propriétaire de Filigranes, Marc Filipson dispose d’un indicateur rare pour mesurer le succès de Françoise Bourdin : son enseigne de Knokke. « Pour un Bourdin vendu à Bruxelles, on en vend dix à Knokke », explique-t-il. « Ce sont des livres de vacances, des livres plus légers que les autres. On est au-delà du feel good : il y a du terroir, il y a tout ce qu’il faut, les gens adorent ! A Knokke, j’ai une étagère avec tous les Bourdin en Pocket. » [scald=29139556:sdl_editor_representation] De fait, ça se vend tout seul : « C’est un petit peu comme Marc Levy, Guillaume Musso et autres : si le livre est dans un présentoir, celui qui a les moyens l’achète parce qu’il sait que c’est une valeur sûre, puis il se fera conseiller par les libraires (pour le reste). Le Bourdin n’a pas besoin d’être défendu par quelque libraire que ce soit. Le Bourdin, tu le mets dans les Club, dans les Carrefour, il n’a pas besoin d’être défendu. » « Je ne fais mourir personne » Aucune condescendance dans ce constat, « J’ai toujours défendu cette littérature », note Marc Filipson : « Il y a un effet Bourdin, à partir du moment où tu ne le caches pas. » « Ce n’est pas de mauvaise qualité », juge Jacques Elias, « ça n’a rien de critiquable : ce n’est pas du Danielle Steel. » Nous confirmons : un roman léger mais très juste, très détaillé jusque dans l’incroyable gamme des vins corses qui apparaissent dans le dernier volume. « J’ai un excellent caviste qui me tuyaute… », nous glisse l’autrice. Françoise Bourdin prépare la sortie de son 50e roman, l’an prochain. Jusqu’ici, un seul se termine mal. Pas d’envie de revenir vers l’ombre ? « Peut-être que j’aimerais écrire un thriller un jour », lâche-t-elle, « mais la barre est très haute quand même. Je dis toujours en riant que j’aurais aimé écrire Le silence des agneaux (de Thomas Harris), le genre de livre qu’on ne peut pas lâcher. J’ai adoré Stephen King ! » Devant notre surprise, Françoise Bourdin confirme : « Monter des suspenses comme il le fait, c’est fort quand même. Il parle admirablement bien des peurs d’enfance. Puis il a l’art des digressions, sans perdre le lecteur, avec des chefs-d’œuvre comme Shining et Misery. J’aurais aimé savoir faire cela. King ne recule devant rien alors que moi, je ne fais mourir personne. Ce n’est pas dans mon territoire. » A vérifier en mai 2023. Un si bel horizon, Plon, 264 p., 21,9 euros

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