Joel, le petit prodige incollable de la lutte contre l’antisémitisme

Sachant que la Terre est ronde et que sa circonférence mesure 40.000 km, si vous en faites le tour en longeant l’équateur et que votre taille est de 1,67 m, quelle distance supplémentaire aura parcouru votre tête par rapport à vos pieds au bout du voyage ? Le petit Joel Jay Kupperman a répondu du tac au tac : 87,7 cm et la presse américaine l’a aussitôt affublé des « nicknames » de « Bébé Einstein » ou « Mini Euclide »… Sur la seule année 1943, l’enfant prodige recevra 10.000 lettres de fans par semaine. A six ans, Joel affichait un QI de 219 au test Stanford-Binet. D’origine juive, cet incollable avait la mémoire de tout et, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, il sera l’icône parfaite des services de propagande américains dans la lutte contre l’antisémitisme nazi. Joel Jay Kupperman confiera, à la fin de sa vie, avoir été « fabriqué de toutes pièces ». Star des jeux radiophoniques, ce « Quiz Kid » a contribué à faire entendre, sans s’en rendre compte, la situation désespérée des juifs d’Europe. « Il voulait peut-être voir ce gamin juif de ses propres yeux » Dans L’enfant prodige , la biographie que lui consacre son fils, Michael Kupperman, l’auteur écrit : « Peut-être que les gens avaient besoin de voir et d’entendre des juifs, pour comprendre qu’ils étaient vraiment humains ». Le magnat de l’automobile, Henry Ford, qui diffusait dans ses concessions des pamphlets antisémites, fera même des pieds et des mains pour rencontrer le petit Joel dans le seul but de se racheter une image. « Il ne m’était pas hostile », se souviendra plus tard Joel Jay Kupperman. « Il voulait peut-être voir ce gamin juif de ses propres yeux… » A sept ans, le « Quiz Kid » a déjà fait de l’esprit avec les acteurs Bob Hope et Chico Marx ou le crooner Bing Crosby. Hollywood lui offre de jouer son propre rôle dans Chip Off The Old Block . Il serre la main de la « Momie » aux studios Universal et accomplit des tours de magie mathématiques pour Marlène Dietrich ou Orson Welles. Grâce aux tournées de cet incollable, les Etats-Unis récolteront 125 millions de bons d’épargne de guerre. Après la capitulation allemande, Joel est invité à prendre la parole lors de la première assemblée des Nations unies, à New York. Il est l’exemple à suivre, l’enfant modèle, en même temps que le souffre-douleur de ses camarades de classe. Une grand-mère impresario étouffante Michael Kupperman dessine sobrement cet homme passé à côté de son enfance, prisonnier de l’emprise absolue de sa grand-mère. Ce colonel Parker au féminin a encarcané le petit garçon dans son costume d’enfant star. En 1949, le « Quiz Kid » entre dans l’adolescence. Il devient l’un des premiers visages connus de la télévision américaine. Il se transforme en binoclard morose et, aux yeux du jeune public, en donneur de leçons détestable. Pourtant, ni sa famille ni les producteurs de l’émission n’acceptent de lui rendre sa liberté. Quand il découvre enfin le monde réel, à seize ans, c’est pour se faire passer à tabac à l’université. Il fuira son image en Angleterre, à Cambridge… Joel Jay Kupperman passera les cinquante autres années de sa vie à réfléchir à l’éthique et à la morale. Il refusera de participer aux livres, aux débats, aux conférences sur les jeux radiophoniques et télévisés. Il se consacrera entièrement à son travail d’enseignant en philosophie à l’université du Connecticut. Son fils, Michael, a essayé de l’aider à rompre le sortilège, à se libérer de la personnalité factice qu’on lui avait assignée. Il a dessiné sa biographie pour lui offrir une dernière chance de s’approprier sa vie, en vain. Michael a tenté de comprendre Joel et il a finalement tout ressassé dans un livre au format de carnet intime. Le poids de l’Amérique sur les épaules L’enfant prodige est le récit bouleversant d’une existence volée, recroquevillée. Joel a porté le poids de l’Amérique sur les épaules. Il était l’enfant le plus intelligent du monde mais le monde n’avait pas de réponse à ses questions. Avant de s’éteindre, à 83 ans, il sera frappé de démence. Etrangement, la maladie lui apportera une forme d’apaisement, comme s’il était enfin libéré de son passé. Joel Jay Kupperman est définitivement entré dans l’histoire en 2020. Le poète William Freedman écrira de cet éternel petit garçon qu’il était « le plus grand des hommes », capable de donner la racine cubique de 11 Pi à la vingt-septième puissance, pendant qu’un patineur des Jersey Jolters faisait tournoyer son corps à 90 tours par minute, avant même qu’on ne jette un œil au chronomètre… [scald=29214889:sdl_editor_representation]

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