Attentats de Paris: ces fidèles de l’audience, témoins anonymes du «procès du siècle»

Il est 10h30 ce vendredi 24 juin et la plaidoirie des avocats de Salah Abdeslam – la dernière dans ce procès destiné à se refermer mercredi – ne commencera que dans deux heures. Une foule composite d’étudiants et de retraités se presse pourtant déjà en file indienne – une personne a même amené son tabouret de camping – devant les portes de la salle Odette Dumas, unique pièce du palais de Justice de Paris où l’audience est retransmise pour le « grand public », grâce à un projecteur et deux écrans plats. Cette hyperponctualité est pleine de sagesse : la capacité de cette petite salle, limitée à 80 personnes, sera atteinte quelques minutes plus tard. [scald=29220167:sdl_editor_representation] Cette salle Odette Dumas, certains l’habitent – ce n’est pas peu dire – depuis septembre et le début du procès. C’est notamment le cas de Dany, qui n’est pas encore remise de l’audience de la veille. « Quel dommage que nous ayons raté la première demi-heure de la plaidoirie de Me Violleau, qui était si magnifique », se plaint cette pensionnée calme et discrète. Il est vrai que jeudi, de nombreux problèmes techniques sont venus polluer la retransmission audio de la puissante prestation oratoire de l’avocate de Mohamed Abrini, clôturée par une attaque en règle contre la perpétuité et le régime d’isolement spécial réservé à son client. [scald=29220166:sdl_editor_representation] « Je m’étais promise de le faire » Dany restera, comme une dizaine d’autres spectateurs, l’une des témoins anonymes de cette séquence judiciaire historique. « Je suis arrivée ici le 26 septembre, à mon retour de vacances. J’ai donc raté le début du procès, mais depuis, je suis venue tous les jours, à l’exception des absences pour covid. Même si au mois de mars, j’ai fait une petite visite en Bretagne chez mes enfants » poursuit-elle, s’en excusant presque. « Cet événement, il y a six ans et demi, m’a profondément bouleversée. J’ai fait plusieurs pèlerinages sur les lieux des attaques, j’y ai pris des photos, déposé des bougies… Et je m’étais promise d’assister à ce procès », dit-elle, avant de passer en revue les moments marquants de ces derniers mois. Elle cite alors les auditions des enquêteurs belges, qui l’ont déçue, celles des parties civiles, qui l’ont bouleversée, ou encore cette audience au cours de laquelle « un chirurgien de la Pitié Salpêtrière est venu raconter le trajet d’une balle de kalachnikov… C’était impressionnant. » [scald=29220165:sdl_editor_representation] Dans la salle Odette Dumas, chaque suspension d’audience marque l’ouverture de petites et grandes discussions au sein de la petite communauté d’habitués qui s’est cristallisée en cours d’année. « Vous, Madame, qui aviez suivi le réquisitoire, vous avez été convaincue par la plaidoirie d’untel ? » « La conclusion était magnifique, mais ce qui venait avant… Pff, rasoir. » « C’est quelle heure, mercredi, le verdict ? » Et quand ce n’est pas en salle que les commentaires fusent, c’est en ligne. « Christian est à l’origine d’un groupe WhatsApp dans lequel on s’échange, entre habitués, des informations ou des articles », nous indique Pascale, 66 ans, en désignant l’intéressé, constamment occupé à donner le change. Arrivée sur le tard dans le « club », elle fut immédiatement prise dans le tourbillon. « C’est une amie ayant assisté au procès de Charlie Hebdo qui m’a proposé de venir. La première fois, c’était en février », raconte cette secrétaire de direction à la retraite qui n’avait jamais assisté à un procès de sa vie. S’attachant à venir une ou deux fois par semaine depuis lors, elle a vu plusieurs de ses convictions ébranlées au cours de l’audience. « Je suis arrivé au moment des auditions sur la radicalisation. J’étais là notamment quand Salah Abdeslam a décidé de parler. C’est très perturbant, car on se rend compte alors que c’est quelqu’un d’humain. Ce serait tellement plus simple que ce soit un monstre, et uniquement cela. Mais non. » Dans le même registre, Dany chuchote cette confession : « Quand j’ai commencé à suivre le procès, j’aurais donné la perpétuité à tout le monde », admet-elle. « Mais hier, en entendant Me Violleau parler de l’isolement, j’avais les larmes aux yeux. Je n’ose pas trop le dire, mais je vous le dis. » « Pour les parties civiles » A l’approche de la fin du procès, ces quidams, observateurs indépendants du « procès du siècle », savent qu’ils vont devoir sortir de cette parenthèse. « Je pense que quand cela va se terminer, ça laissera un vide, c’est certain. Ça occupe tellement de place, c’est énorme. Et puis, ce sont des moments extrêmement forts, que l’on partage avec eux », déclare Pascale, en se référant aux parties civiles qu’elle entend soutenir par sa présence, bien qu’invisible à leurs yeux. Elle évoque toutefois cette anecdote : « Un jour où une fille de 16 ans, rescapée du Bataclan, est venue témoigner, beaucoup de ses amis étaient présents dans cette salle, pour la soutenir. Deux amis, en entendant que je venais régulièrement, m’avaient remerciée de cela. Cela m’avait vraiment étonnée. » Ces parties civiles qu’elle voit quotidiennement se mouvoir sur l’écran de retransmission, Dany se sent également proche d’elles. Ce procès, c’est aussi pour ces victimes qu’elle le suit. « Un jour, j’ai croisé une dame, que j’avais reconnue car je l’avais déjà vue à la télévision. Je lui ai dit : “Je vous vois tous les jours.” On s’est recroisées, un autre jour, et elle s’est dirigée vers moi, juste pour me dire : “Vous savez, je suis très heureuse que vous assistiez à ce procès.” Dire qu’il y a des gens, paraît-il, qui trouvent qu’assister à ce procès serait du voyeurisme. Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse dire cela. »

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