Tom Boonen, Thor Hushovd et Robbie McEwen analysent les chances de Wout Van Aert au Tour de France: «Un tapis rouge devant lui pour le vert»

Cette épuisante course aux points avec un maillot emblématique comme récompense ? Il suffit de demander à Tom Boonen (41), Thor Hushovd (44) et Robbie McEwen (50) comment ça se passe. Pas de doute, affirme le panel d’experts réunis par « Het Laatste Nieuws » : « Le tapis rouge vers le maillot vert est déroulé devant Wout van Aert ». L’hilarité règne lorsque McEwen apparaît soudainement dans l’appel « zoom ». En short, torse nu, assis sur une plage ensoleillée. Tom Boonen : Salut Robbie ! Robbie McEwen (avec un large sourire) : Hey les gars, comment ça va ? Serait-il possible de tenir votre smartphone à l’horizontale, Robbie ? R.M. : Je le tiens correctement. Vous êtes dans le mauvais sens. T.B. : C’est la façon de penser des Australiens. Vous êtes du mauvais côté du monde. R.M. : Non, je suis en Grèce, les gars. En Crète. Thor Hushovd (taquin) : En te regardant comme ça, Robbie : tu peux éteindre ta caméra, s’il te plaît ? C’est mieux. (rire collectif) OK, les gars. Une simple question « oui/non » pour commencer : Wout van Aert remportera-t-il son tout premier maillot vert dans ce Tour ? R.M. : Oui. T.H. : Oui. T.B. : Oui. Une belle unanimité ! Vous aurez donc un successeur belge dans trois semaines, Tom. T.B.: Wout a vraiment jeté son dévolu sur le maillot vert pour la première fois. Il veut absolument ce maillot. Cette ferme intention, combinée à son talent et à sa condition actuelle, devrait mener au succès. T.H. : Tout à fait d’accord. Une condition importante cependant : Wout doit obtenir un rôle totalement libre chez Jumbo-Visma. Pour qu’il puisse être impliqué dans les échappées et qu’il puisse participer aux sprints partout. Et ne pas avoir à rester constamment avec Roglic. R.M. : Ou avec… Vingegaard. (rires) On ne sait jamais comment ça va se passer. Mais ce rôle libre est en effet crucial. Cela doit être discuté au préalable avec l’équipe. Il doit être capable de se concentrer à 100 % sur ce maillot vert. Bien sûr, il peut aider Primoz ou Jonas quand il le peut. En bon équipier, Wout ne manquera pas de le faire et il est certainement assez bon pour cela. Tant qu’il ne compromet pas ses propres chances. Je pense que son travail lors des grandes étapes de montagne se fera principalement dans la première partie du Tour. Après cela, il peut laisser le soin aux vrais spécialistes de son équipe, plonger bien en dessous de sa limite et se permettre une course assez facile jusqu’à l’arrivée. Il n’a pas à se soucier de la limite de temps, il roule trop rapidement dans les montées pour craindre cela. Je suppose également qu’il ne devra pas travailler comme domestique pour Roglic dès le début du Tour. Ce serait une erreur, si vous savez que Primoz peut parfois chuter facilement– ce que nous ne lui souhaitons pas. Ce que je veux dire, c’est que vous ne pouvez pas prendre le risque de vous retrouver les mains vides à la fin du Tour. Ils doivent le laisser faire son truc. T.B. : Absolument. Il est le coureur le plus important de l’équipe. Maintenant et dans un avenir proche. Avec tout le respect que je lui dois, Roglic a 32 ans et commence doucement à décliner. Wout mérite donc tout le soutien qu’il peut recevoir. Laporte, Van Hooydonck et un peu Benoot. Est-ce suffisant ? T.B. : Oui. Le grand avantage est que Wout, contrairement aux sprinters purs, peut s’illustrer presque sur tous les terrains. C’est un débrouillard. Cela devrait rendre la situation moins stressante et plus facile à contrôler pour lui et ses coéquipiers. La bataille pour le vert est de toute façon l’une des plus exigeantes. Plus que celle pour le maillot jaune, je pense. Non pas que gagner le Tour soit facile, ne vous méprenez pas. Mais à part les courses de montagne et les contre-la-montre, pour lesquelles il faut être super-concentré, en tant que coureur de classement, vous avez aussi un certain nombre de jours de repos relatifs. Comme le dit Robbie, pour le vert, il faut rester concentré à 100 % pendant trois semaines, tous les jours. Chaque étape est importante. R.M. : C’est vrai, Tom. Les candidats au vert n’ont pas droit à un moment de répit. Les étapes de plat sont des jours où tu peut faire le plein de points, les étapes de montagne sont de la pure survie, complètement à bloc. On ne se bat pas pour gagner, mais pour arriver à l’heure et rester dans le Tour. Il n’y a pas de prix à gagner et le lendemain, vous continuez à souffrir. De plus, une seule petite erreur peut être fatale. Dans le classement général, vous pourriez perdre une poignée de secondes. À la fin du Tour, cela n’a pas vraiment d’importance. Mais 50 points… ça peut signifier la fin de votre rêve vert. T.H. (hochement de tête) : Taper une fois sur une roue arrière, perdre quelques positions, rater son sprint et n’obtenir que la quinzième place peut être suffisant. Tu te dis : « oh, je vais revenir, je peux le faire ». Mais ce n’est pas si évident. On ne peut pas se rattraper comme ça d’un claquement de doigts. Et les secondes chances sont plutôt rares. Quelle a été, selon vous, la phase la plus difficile de tout ce processus vers le maillot vert ? T.H. : C’était un mélange de facteurs. Mais pour moi personnellement : les montagnes. Si vous avez un mauvais jour là-bas… Il y a eu des années où je grimpais mieux et où j’avais moins de mal à survivre dans les Alpes et les Pyrénées. Mais combien de fois avons-nous roulé côte à côte là-bas, loin des regards, les mecs ? En pleurant presque sur le vélo ! « En fait, je ne suis pas fait pour un si grand tour », vous êtes-vous dit un jour, Tom. « Parce que je meurs toujours dans la troisième semaine ». T.B. : Il ne s’agit pas seulement de la charge physique que vous imposez à votre corps – et c’est beaucoup pour une personne de plus de 80 kilos comme moi. La charge mentale est encore plus lourde. Un sprint manqué comme celui dont parle Thor vous ronge. Je me souviens, l’année où j’ai remporté le maillot vert (2007, ndlr), d’une étape où, dans le final, un fan s’est formé. Je me suis retrouvé devant avec une vingtaine de coureurs et j’ai pensé : « oh, bien, je vais bientôt gagner ce sprint, prendre le prix complet et je suis en sécurité pour le reste du Tour ». Puis Julian Dean a touché ma roue dans les derniers kilomètres et nous avons tous deux chuté. Résultat : zéro point. Et profondément déçu, bien sûr. Mais je n’avais pas le temps de me morfondre. Parce que le lendemain, je devais recommencer. Pour autant que cela soit encore nécessaire : faire en sorte que Van Aert soit excité par une fin heureuse. Qu’est-ce qui l’attend dans trois semaines à Paris ? T.H. : Le bonheur ultime. Je parle maintenant de ma propre expérience. Le maillot vert était l’un des grands objectifs que je m’étais fixé au début de ma carrière professionnelle. Lorsque vous atteignez cet objectif, c’est quelque chose de grand, la réalisation d’un rêve. Monter sur le podium des Champs-Élysées avec ce maillot : c’est pour ça qu’on le fait. En 2005, vous avez conquis le maillot vert sans avoir remporté une seule étape Thor Hushovd. On peut donc faire comme ça. T.H. : C’est tout à fait possible. Tant que vous finissez en tête tous les jours et que vous obtenez des points. C’est ce qui compte. Je me souviens que j’étais heureux avec le maillot à points, mais triste en même temps parce que je n’ai pas gagné d’étape. (rires) Je voulais les deux. R.M. : Si ça peut te faire sentir mieux, Thor : avec moi, c’était l’inverse. J’ai gagné trois étapes en 2005, mais j’étais triste de manquer le maillot. (rires) Ça marche dans les deux sens. Le fait est que vous pouvez facilement être le meilleur sprinter du Tour et ne pas avoir le maillot vert à Paris. T.B. : J’ai moi-même remporté deux étapes cette année-là, mais j’ai dû abandonner après une chute alors que je portais le maillot. Thor a pris votre place. T.H. : Oui, j’ai oublié de te remercier pour cela jusqu’à présent, Tom. Merci pour cela ! (rires) T.B. : Tu avais attaqué dans la descente, avec la perspective d’un sprint intermédiaire, Thor. Bien sûr, je devais te suivre parce que tu étais mon principal rival pour le vert, mais un de mes coéquipiers – je pense que c’était Garate – a raté un virage. J’ai heurté sa roue arrière et je suis tombé, sur mon genou. En quoi la lutte actuelle pour le vert est-elle différente de celle de vos années ? T.H. : Il faudrait que je regarde le règlement, mais… pas vraiment, je pense. Cela revient toujours à la même chose : obtenir le plus de points possible chaque jour. De toutes les manières possibles. Si vous gagnez quatre étapes, comme Mark Cavendish l’a fait l’année dernière, cela s’additionne rapidement. T.B. : À notre époque, c’était peut-être un peu plus simple, car les sprints intermédiaires ne rapportaient que 5, 3 et 1 point(s). Maintenant, il y en a beaucoup plus. À l’époque, vous pouviez laisser partir une échappée en toute tranquillité. Avec mon maillot vert, je n’ai fait que deux, trois sprints intermédiaires. R.M. : En fait, je ne vois pas de problème pour Wout. Avec la même forme que l’année dernière, seule la malchance peut l’éloigner de son grand objectif. Je pense qu’avec lui, nous aurons un maillot vert Saganesque. T.B. : Oui, il y a du Peter Sagan dans ses années de gloire chez Van Aert. Peut-être qu’il est même une version améliorée en montagne. Vous considérez toujours Sagan lui-même ? R.M. : C’était bien de le voir gagner à nouveau au Tour de Suisse. J’étais vraiment heureux pour lui. Et je pense qu’il considérerait son Tour comme un succès complet s’il pouvait y remporter une victoire d’étape également. Parfois, comme au Giro l’année dernière, on peut encore voir des coups d’éclat de la part de Peter. Mais je ne le vois pas gagner un huitième maillot vert contre un rival qui récolte même des étapes incroyablement difficiles. T.H. : D’accord, Robbie. Sagan n’est pas au même niveau qu’avant. Il ne m’a pas assez convaincu ces dernières semaines et ces derniers mois. Faut-il considérer qu’un des purs sprinters est capable de gagner le maillot ? R.M. : Sans Wout, nous aurions eu une bataille plus ouverte et des gars comme Ewan ou Jakobsen auraient eu une chance. Mais maintenant, pour être honnête, non. Ils se battent pour les places 2 et 3 au classement par points. T.B. : Le maillot vert n’est pas non plus un pur ’maillot de sprinter’. Et sur ce parcours, avec un maximum de cinq sprints de masse pure, le tapis rouge est déroulé pour Van Aert. Celui qui pourrait le menacer est Mathieu van der Poel. Mais il est dans l’équipe avec l’as du sprint Jasper Philipsen. T.H. : Une combinaison difficile, oui. Dans un sprint collectif, Alpecin jouera toutes les cartes de Jasper. Et Mathieu, qui est toujours prêt à aider ses coéquipiers, perdra automatiquement des points. L’équipe visera le plus grand nombre possible de victoires d’étape. Avec le vert comme bonus éventuel. T.B. : Oui, mais si Mathieu finit toujours bien à l’avant et qu’il peut s’exprimer dans les sprints intermédiaires… R.M. : Même dans ce cas, Tom, je vois Wout passer mieux les cols et marquer des points là où Mathieu en manque. Je suis également curieux de savoir comment Van der Poel va se remettre du Giro, où il a tout donné chaque jour jusqu’à ce qu’il explose. A-t-il fait ce qu’il fallait, je me le demande. Son réservoir d’énergie ne risque-t-il pas de s’épuiser pendant ces trois semaines ? Avantage Van Aert, en d’autres termes. Dans tous les domaines. Et maintenant que j’ai épuisé mes munitions… (rires) T.B. : Moi aussi. La seule chose que je peux ajouter est : bonne chance, Wout ! R.M. : Oui, bonne chance. T.H. : Pareil. Et je te souhaite une vie bien meilleure que celle de Robbie. (rires)

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