Wout van Aert: «Je me force à être heureux»

Des lionceaux pour son fils Georges, ravi de voir sa collection de peluches accueillir des spécimens jusqu’ici inconnus. Et une tunique resplendissante, elle aussi inédite dans une garde-robe sportive pourtant déjà très riche. Avant de boucler sa valise de retour vers la France, dimanche soir, il n’en a pas fallu plus pour que Wout van Aert retrouve enfin un sourire franc, sur ce visage d’acteur que l’on sentait contrarié. Copenhague vendredi, Nyborg samedi, Sonderborg dimanche : trois fois la plus mauvaise place. Le Campinois a de facto réussi une passe de trois que l’on n’avait plus notée sur la Grande Boucle depuis les temps héroïques, il a aussi compilé une 8e… deuxième place cette saison, dans des épreuves majeures : deux sur Paris-Nice, une à Paris-Roubaix, deux autres lors du Dauphiné et donc, trois sur ce Tour balbutiant. Vaincu pour cinq secondes par Yves Lampaert lors du chrono d’ouverture dans les rues de Copenhague, de cinquante centimètres par Fabio Jakobsen au bout d’un sprint royal le lendemain, d’un souffle chaud ce dimanche, celui de Dylan Groenewegen. Rageant. « Je m’en veux » : la voix grave laisse filtrer des accents de déception, profonde. « Trop nerveux, j’ai quitté la roue de mon équipier Christophe Laporte un peu tôt, je me suis mis tout seul dans le vent et la difficulté. C’est de ma faute… » Cette régularité dans la performance lui offre toutefois l’essentiel : un maillot jaune qui lui va à ravir, un viatique élargi à sept secondes avant de reprendre l’avion pour Lille. « Évidemment que c’était beau, et très fort, de porter cette tunique devant le fantastique public danois. Mais pour être honnête, mes sentiments sont un peu confus, mélangés. Je me force à être pleinement heureux… » Déjà huit fois 2e cette saison La frustration de sprints perdus, légitime dans le chef d’un compétiteur de sa trempe, n’est pas totalement étouffée par le bonheur d’enfin saisir à pleines mains ce maillot jaune qu’il avait jusque-là effleuré, tout au plus. « En 2019, dans l’étape d’Épernay, j’en avais rêvé quelques minutes alors que mon équipier Mike Teunissen venait d’être lâché. Puis l’attaque de Julian Alaphilippe avait ruiné mes espoirs. Et l’an dernier au départ de la Bretagne (NDLR : pour rappel, il était convalescent en 2020, après la grave blessure encourue lors du CLM de Pau l’année précédente), j’avais couru après toute la première semaine, sans réussite. » L’anomalie est désormais gommée, ce coureur d’une exceptionnelle polyvalence méritait plus que tout autre de concrétiser un rêve d’enfant et, à la fois, son premier objectif du Tour 2022. « C’est un maillot mythique, je pense que j’en suis tout à fait digne. » Mais l’athlète de n’atteindra la plénitude que lorsqu’il ajoutera un nouveau succès d’étape à son palmarès du Tour (6). Lorsque le V de son patronyme signifiera victoire. On le sait, les chiffres sont d’une rudesse parfois excessive. Depuis le début de son parcours sur la route, le coureur de Baal est à 30 deuxièmes places, la plupart du temps dans des épreuves prestigieuses telles que les championnats du monde, les JO, le Tour des Flandres... En jaune jusqu’à la Planche des Belles Filles ? Poulidor de l’ère moderne ? La question lui a été posée. « La comparaison n’est pas offensante, c’était un grand champion », a-t-il sobrement répondu, sans injurier le temps qui passe, comme s’il voulait ne pas inutilement émoustiller son éternel rival Mathieu van der Poel, petit-fils de Poupou. Puis, depuis ce week-end, lui porte le maillot jaune, un bonheur, un honneur que jamais le Limousin n’avait connus. On le sait, van Aert est persuadé que le jaune et le vert sont des couleurs tout à fait compatibles dans la mode estivale, que son équipe Jumbo-Visma peut à la fois lui offrir la liberté et le soutien dont il a besoin pour ramener le maillot vert à Paris et, dans le même élan, collectivement challenger Pogacar pour la victoire finale, grâce au binôme Roglic/Vingegaard. « Je suis en bonne position et surtout, nos deux leaders Primoz Roglic et Jonas Vingegaard sont indemnes, tout à fait dans le coup. Ils sont sortis sans souci de ces trois premiers jours nerveux. » Jusqu’où Wout van Aert peut-il emmener ce maillot de lumière ? La première semaine de la Grande Boucle, très variée, lui offre une opportunité que le coureur d’Herentals doit saisir. Du vent propice aux bordures dans les monts du Boulonnais mardi ; onze tronçons et près de vingt kilomètres de pavés vers Arenberg mercredi (six de plus que lors de l’étape de 2015 par exemple) ; deux raidillons casse-pattes dans le final vers Longwy : un peu de tout, et van Aert adore ça, lui qui est assimilé à l’un des coureurs les plus polyvalents du peloton. Dans la caravane du Tour, nul n’a oublié ses trois succès l’été dernier, au Ventoux, en chrono puis sur les Champs-Elysées. Difficile de faire plus éclectique ! Cette capacité à performer sur tous les types de terrain ouvre plus largement encore le champ des possibles. « Les prochaines étapes seront plus difficiles que celles du Danemark, cela devrait jouer en ma faveur. » Enfin un peu d’optimisme !

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