Série d’été – Mémoires d’épaves: mille épaves dans le sillage du Batavia

Le Batavia est l’un des voiliers les plus célèbres au monde. Son épave est aujourd’hui conservée à Fremantle, en Australie, presque face à l’endroit où il a fait naufrage en 1629. Mais une impressionnante réplique grandeur nature peut être visitée à 250 kilomètres de Bruxelles, à Lelystad, aux Pays-Bas. Il est amarré au Batavialand, son musée et surtout son atelier archéologique qui vaut le détour. Des artisans y procèdent à la restauration et à la reproduction d’embarcations multicentenaires. Le sinologue belge Simon Leys a magnifiquement raconté la destinée de ce bateau affrété par la Compagnie des Indes orientales (Verenigde Oostindische Compagnie – VOC). Le Batavia fit naufrage lors de son premier voyage à proximité de l’archipel Houtman Abrolhos, ses 122 îles et ses récifs coralliens acérés, au large des côtes ouest de l’Australie. Le commandement du navire avait mal estimé la distance qui le séparait de la côte et n’avait pu éviter un tranchant rocheux. La chance a cependant voulu que le Batavia s’immobilise en bordure d’une vaste zone de hauts-fonds. Marins et passagers ont pour la plupart eu la vie sauve. Les officiers du bord ont alors pris place dans un canot de sauvetage pour rejoindre Java et tenter de trouver du secours à 1.800 kilomètres du naufrage. Jeronimus Cornelisz, subrécargue et psychopathe Le Batavia n’est toutefois pas resté dans l’histoire en raison de son naufrage, mais de la boucherie dont il fut le théâtre. Les officiers partis, un représentant de l’armateur (subrécargue) répondant au nom de Jeronimus Cornelisz se retrouva seul dépositaire de l’autorité. Frappé de folie sanguinaire, il fit égorger et occire nombre de rescapés afin de préserver son pouvoir. Jusqu’au moment où les secours sont arrivés. Il fut pendu, les mains préalablement tranchées. [scald=29240579:sdl_editor_representation] En 1970, des archéologues australiens ont exhumé les restes du Batavia. Traités et rassemblés, ils constituent aujourd’hui la pièce principale de la galerie du Shipwrecks Museum de Fremantle, en Australie-Occidentale. La galerie, précise le site web du musée, présente également le squelette d’une des victimes de Jeronimus Cornelisz, assassinée dans les Iles Abrolhos. Ambiance. Pour les Néerlandais, le Batavia incarne la puissance maritime passée. Créée en 1602, la Compagnie des Indes orientales fut le fer de lance du capitalisme et de l’impérialisme. Elle a contribué à fonder l’empire colonial des Provinces-Unies, puis des Pays-Bas, jusqu’à la moitié du siècle dernier. [scald=29240580:sdl_editor_representation] De 1985 à 1995, le Batavia a été reconstruit à l’identique par des archéologues et des artisans dans le port de Lelystad, avec des matériaux traditionnels tels que le chanvre et le chêne. Le résultat est impressionnant. Une forêt entière semble avoir été débitée et équarrie pour construire le navire, ses membrures et ses ponts. Le mât de beaupré a la circonférence d’un arbre. Les canons pointent derrière les sabords. [scald=29240581:sdl_editor_representation] [scald=29240582:sdl_editor_representation] Des centaines d’épaves Aujourd’hui, la réplique du Batavia constitue la pièce maîtresse du musée Batavialand, à Lelystad. Mais on y trouve d’autres épaves, authentiques celles-là, qui valent le coup d’œil, dont le Ventjager. En 1986, il a été excavé et récupéré en grande partie bien qu’il ait perdu son flanc tribord, parti en miettes dans le sable. Cette absence partielle de coque met au jour les structures de cette grande barque qui récupérait le poisson ramené par la flotte de pêche avant de l’apporter à la criée. [scald=29240583:sdl_editor_representation] Deux épaves, deux statuts. Le Batavia incarne la splendeur politique, économique et commerciale des Provinces-Unies. Le Ventjager représente la pêche, une activité vitale pour cette région du Zuiderzee où la mer régnait alors en maître. Durant les années 50 et 60, lors des travaux d’assèchement qui ont eu lieu dans le Flevoland, plus de 400 épaves ont été retrouvées, parfois avec leur cargaison à bord. Le Zuiderzee est depuis des siècles une voie de communication importante pour la navigation. Sa traversée permettait de gagner du temps et donc de l’argent lorsqu’il s’agissait de transporter des marchandises ou des personnes, entre l’ouest et le nord des Pays-Bas, ainsi que vers le reste du monde. Mais le voyage était dangereux en raison des bancs de sable et des caprices du temps. Les naufrages nombreux ont fait du Flevoland oriental « le plus grand site d’épaves à ciel ouvert au monde ». [scald=29238355:sdl_editor_representation] « Dans les polders – qui, avec le Markermeer et l’IJsselmeer, formaient le Zuiderzee – les sites de 435 navires sont connus et datés essentiellement des XVIe et XVIIe siècles. A ce jour, 350 épaves ont été fouillées. Tout autant de stocks et parfois de chargements ont été récupérés. Des milliers d’épaves sont connues dans les eaux zélandaises, des Wadden et de la mer du Nord. Au cours des vingt dernières années, des dizaines d’entre elles ont été explorées ou étudiées par l’équipe de plongée de l’Agence du patrimoine culturel des Pays-Bas », précise le site Geheugen (Mémoire). Ces découvertes permettent d’investiguer une multitude d’aspects de la vie des travailleurs de la mer, de la construction des bateaux et de la pêche. Après conservation et documentation, les découvertes sont incluses dans la Collection nationale d’archéologie navale. Les grandes pièces de navire sont conservées, parfois réenterrées dans un terrain spécialement réservé. Des erreurs d’interprétation ont eu lieu. Une épave baptisée Zeehonden et connue de tous les Pays-Bas a fait par le passé l’objet d’une identification erronée. Un archéologue de l’université de Groningue a démontré par « a+b » qu’il s’agissait d’un autre bateau et que l’on s’était trompé lorsqu’une cérémonie avait été organisée en présence des descendants des naufragés. « On en trouve partout » Pour rendre visible le plus grand cimetière de bateaux du paysage du Flevoland, quelque 200 sites ont été balisés entre 2006 et 2008. Un mât bleu et blanc de trois mètres de haut, avec un navire rouge au sommet, tient lieu de repère. Les nouveaux postes d’épave sont munis d’un code QR. D’autres indiquent la présence de crashs d’avion, tombés nombreux au-dessus des mers durant la Seconde Guerre mondiale. « On en trouve partout », assure-t-on en plusieurs endroits. Mais autant chercher une aiguille dans une meule de foin, tant les territoires asséchés sont vastes. [scald=29240584:sdl_editor_representation] Des « passeports de naufrage » ont été remis aux propriétaires des terrains conquis sur la mer où ont été trouvées les épaves. Ces fiches signalétiques (époque, identité, etc.) ont l’objectif de rendre leur existence plus « officielle », mais aussi de prodiguer des conseils d’entretien. La presse locale retranscrit ainsi l’interview d’un cultivateur pas peu fier d’expliquer le soin qu’il met avec son tracteur à contourner l’épave que lui a laissée l’assèchement des terres. En raison de leur lien étroit avec l’océan, les Pays-Bas peuvent s’enorgueillir d’être « propriétaires » de centaines d’épaves reposant au fond des Sept Mers. On en trouve partout où l’eau s’est imposée pendant des millénaires, avant de faire parfois place aux polders. En Frise, à Texel, à Stakenburg. La plupart ont disparu à la suite d’erreurs de navigation, de conditions climatiques et de faits de guerre. Elles sont autant d’histoires d’hommes, d’ambitions contrariées et de destins souvent plus misérables que romanesques. [scald=29238354:sdl_editor_representation]

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