Philippe Gilbert fête ses 40 ans ce mardi: «Je prends toujours autant de plaisir qu’à mes débuts»

Philippe, c’est un symbole, vous fêtez vos 40 ans à Dunkerque là où tout est redevenu lumière pour vous avec cette victoire aux « Quatre jours » début mai… En effet. J’y ai immédiatement pensé après avoir gagné. J’avais regardé le programme du Tour et je savais qu’on revenait à Dunkerque le 5 juillet. Cela aurait été compliqué de ne pas le savoir car il y avait déjà les panneaux du Tour au mois de mai ! Cette victoire, justement, la première depuis votre retour chez Lotto, quelle importance lui accordez-vous aujourd’hui ? Quand on a toujours été habitué à gagner, et qu’on ne gagne plus, c’est un soulagement de retrouver le succès. C’était même un sentiment bizarre. Ce qui m’a le plus réjoui, c’est que j’y ai ajouté la manière et cela, c’était très important. Vous connaissez donc parfaitement les deux étapes nordistes qui vous attendent ces prochains jours ? Détrompez-vous ! J’ai quelques repères visuels, sur les pavés notamment, mais pour le reste, j’ai peu couru de ce côté. Par contre, je sais que le terrain sera intéressant. Êtes-vous favorable au fait de placer des secteurs pavés dans un Tour de France, éternel débat ? Jusqu’à un certain point oui. Si Pogacar venait à se casser quelque chose sur un secteur, je pense que même ASO s’en voudrait beaucoup. En même temps, une chute peut survenir n’importe quand et n’importe où, on l’a vu au Danemark. Où je suis plus réservé, c’est qu’on lance un peloton de coureurs pour la plupart non-initiés sur les pavés. Des petits formats, des grimpeurs qui ne possèdent pas la technique de base pour affronter ces obstacles. Mais les organisateurs et les gens veulent voir du spectacle, c’est ainsi ! [scald=29241639:sdl_editor_representation] Et vous pas forcément… C’est comme rouler sur un pont sans protection. Si vous tombez, eh bien tant pis, c’est fini. C’est un débat infini entre la sécurité des coureurs et le besoin de sensations fortes initié par les organisateurs. Cela ne date pas d’aujourd’hui. J’espère simplement que ça va bien se passer pour tout le monde. Que retenez-vous de ces trois jours au Danemark ? Sportivement rien, c’était pratiquement le niveau zéro, tellement les étapes étaient monotones. S’il y avait eu le vent de côté, on aurait trouvé cela formidable mais ce ne fut pas le cas. Par contre, je trouve que le peloton est déjà fatigué nerveusement. Cela n’a l’air de rien mais rouler en peloton compact à haute vitesse, c’est très stressant, a fortiori au milieu d’une foule colossale. Là, je donne 10 sur 10. Ce public était formidable. Je place ce Grand Départ au niveau de celui de Londres en 2007. J’ai rarement vu cela. Le plus populaire, c’était Vingegaard. Son nom était scandé par vagues, parfois de 40 à 50 secondes ! On ne peut se rendre compte de cela qu’en étant sur le vélo. Sinon je ne vous en parlerais pas (rires) ! Cela vous a rappelé le Tour de France 2012, lors du prologue à Liège, l’année de vos… 30 ans avec le maillot de champion de Belgique du chrono ? Ce qui m’est arrivé sur ce prologue était en effet comparable. J’étais moi aussi dans un stade. Mais cela s’est arrêté là. Le lendemain, lors de la première étape en ligne, il y avait des gens mais sans plus, rien de comparable avec la ferveur danoise. Les choses rares sont souvent les meilleures, ce qui explique certainement cette fête au Danemark. Chez nous, il y a tellement de courses que les gens peuvent peut-être en arriver à être blasés. 40 ans, c’est un chiffre « barrière » dans une vie. Beaucoup sont déjà retraités dans le vélo bien avant cela… Vous ressentez qu’on vous voit comme « le » vétéran ? Non. Physiquement et mentalement, je suis toujours là. Je frotte pour me faire respecter dans le peloton où je ne bénéficie d’aucun passe-droit malgré mon âge et mon palmarès. Le respect des anciens était beaucoup plus palpable à mes débuts. On avait peur des stars. Ici, les jeunes n’ont peur de personne. Les vieux doivent donc se battre comme au plus jeune âge pour se faire respecter. [scald=29241640:sdl_editor_representation] Intéressante, cette remarque. C’est cela qui a vraiment changé dans la course par rapport à vos débuts ? Clairement. Quand je suis arrivé pro, il y avait à tout casser un, maximum deux néo-professionnels par équipe. Il était donc plus facile pour les anciens de les repérer et leur mettre une torgnole quand ils faisaient les malins (sic). Et je peux vous jurer qu’ils ne recommençaient plus. Ici, il y a tellement de jeunes qu’il est impossible de corriger les comportements parfois inacceptables de certains d’entre eux. C’est un peu l’anarchie. Prenez-vous du coup autant de plaisir aujourd’hui dans le Tour qu’à vos débuts ? Sincèrement oui. Même si nous espérions de meilleurs résultats avec Caleb Ewan au Danemark, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le contact du public, des collègues, et même… le stress me procurent ces satisfactions qu’il est difficile d’exprimer. [scald=29241641:sdl_editor_representation] Vous abordez deux étapes proches de vos qualités, de celles de Florian Vermeersch. Cela signifie que vous aurez une ouverture ? Au contraire, l’étape de ce mardi, par exemple, correspond mieux au potentiel de Caleb Ewan. Elle est plus sélective. On l’a vu au Giro notamment, l’Australien est capable de passer des bosses que d’autres sprinters comme Jakobsen, qui sera forcément émoussé, ne passeront pas devant. Mais pour gagner ces étapes-là, il faudra être devant Van Aert ou Van der Poel qui va certainement se réveiller. Ou même Sagan que je trouve bien en jambes. Ça ne sera donc pas simple mais c’est un challenge, un beau défi pour Caleb car nous sommes venus pour gagner avec lui et au plus tôt sera le mieux. Caleb nous a semblé moins à l’aise que de coutume dans les deux premiers sprints massifs. Quel est votre avis ? La prise de risques est de plus en plus énorme. Je pense qu’il serait temps de rappeler aux leaders la « règle des trois derniers kilomètres » (NDLR : en cas de chute ou d’incident, les temps sont calculés sur celui du vainqueur de l’étape). Les favoris sont toujours là, pratiquement jusqu’à la flamme rouge. Non seulement, ils prennent des risques à cet endroit, mais surtout, ils gênent les spécialistes. Il y a donc chaque fois embouteillage, alors que l’emballage concerne 20 % du peloton. Un petit cours de règlement ne serait pas superflu pour certains. L’approche du sprint est donc plus dangereuse qu’auparavant ? Bien sûr, car le niveau est plus élevé aussi. Quand je suis arrivé dans le peloton, il y avait Petacchi et Cipollini qui avaient des équipes dédiées à leurs succès. Des trains entiers que pour eux. Les autres équipes avaient peut-être un sprinter mais il devait se débrouiller. Ici, même les plus petites équipes se mêlent au sprint, car faire entre 5 et 10, c’est pour elles un exploit au Tour, les sponsors sont contents. On voit donc des trains un peu partout, comme dans un contre-la-montre par équipes, c’est extrêmement dangereux et stressant car le sprint ne s’ouvre qu’à la fin, on l’a vu en particulier lors de la deuxième étape avec trois coureurs sur la ligne départagés à la photo-finish. Cette victoire aux « Quatre jours », en mai dernier, a remis les pendules à l’heure par rapport à votre statut de leader chez Lotto ? Mes blessures successives au genou, mes pépins de santé depuis la reprise ne me permettaient en aucun cas de revendiquer un statut semblable. J’ai toujours fonctionné à la confiance. La plupart de mes succès étaient annoncés la veille. Je pouvais me permettre de dire aux équipiers et au staff : « Demain, faites-moi confiance, je roule pour gagner. » Physiquement, je ne suis plus dans une position pour revendiquer cette confiance. Ce serait malhonnête à l’égard de mon groupe. Dans ce métier, l’honnêteté vous permet de durer car si vous mentez à votre entourage professionnel, vous passez vite pour un rigolo à qui on n’attribuera plus jamais sa confiance. J’en connais beaucoup qui ont dit qu’ils allaient gagner une étape ou une course d’un jour et qui ne l’ont jamais fait. Après, ils ont disparu de la circulation. C’est le Tour qui a finalement martyrisé votre genou gauche. Chute en 2018 (Portet d’Aspet), chute en 2020 (Nice). Vous en voulez… au Tour ? En effet, je n’ai pas été verni mais c’est bien la preuve qu’on tombe plus facilement au Tour qu’ailleurs pour une raison que j’ai déjà évoquée : la pression. Elle n’existe nulle part ailleurs de cette façon, même dans une grande classique. Le besoin d’exister est aussi capital. Voyez Cort Nielsen, son exhibition a fait autant de pub pour ses sponsors en deux jours que sur toute la saison. Il peut désormais aller négocier son contrat pour la suite ! Dans les films qui retracent l’histoire du Tour, on voit systématiquement les images de votre chute dans la descente du Portet d’Aspet. Vous avez peur qu’on ne retienne que cela de vous, au Tour de France ? Moi, je préfère me souvenir de ma victoire en 2011 et de mon maillot jaune mais je ne suis pas certain que des jeunes dans le peloton d’aujourd’hui le savent. Les gens ne retiennent que ce qui est le plus frais, le plus récent. Et puis ma chute, elle était bien filmée puisque j’étais seul à l’avant de la course et donc accompagné par la moto de télévision (rires). [scald=29241637:sdl_editor_representation] Où placez-vous ce maillot jaune dans votre impressionnante galerie de victoires ? Il n’y a pas de hiérarchie pour un maillot jaune. C’est un moment spécial. Quand vous portez le maillot jaune, votre nom, votre histoire, votre personne… disparaissent. Tu deviens le maillot jaune, l’être humain n’existe plus. Peu importe comment il s’appelle, sauf si c’est Pogacar, qui collectionne les tuniques depuis deux ans. C’est « le » maillot jaune et non plus Gilbert. C’est dire la puissance de cette machine qu’est le Tour. Wout van Aert courait derrière depuis longtemps, le voilà enfin en sa possession. Jusqu’à quand ? Il devrait en principe conforter son avance dans les étapes qui arrivent. Tout dépendra de la montée de la Planche-des-Belles-Filles vendredi. Au Dauphiné, je l’ai trouvé moins bon en montagne que d’ordinaire, il se relevait plus tôt que d’habitude mais c’était peut-être volontaire, je n’en sais évidemment rien. Si Pogacar attaque déjà là, il est clair que ce sera compliqué mais le Slovène a-t-il besoin d’attaquer ce jour-là ? Je n’en suis pas convaincu. Vous vous attendez à une fête particulière ce mardi à Dunkerque et peut-être aussi à l’arrivée ? Non. Un anniversaire, cela se fête avec la famille et les amis. Pas avec des collègues de travail avec lesquels on n’a pas forcément des affinités. [scald=29241638:sdl_editor_representation]

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