Tadej Pogacar, seul rescapé de la mine d’Arenberg

Les guêpes de Jumbo-Visma avaient mangé le miel de leurs réjouissances sur les hauteurs de la Manche, la veille, au bal de leur essaim. Un festin qui en annonçait un autre pour le nid néerlandais, armé jusqu’au dard pour piquer au vif Tadej Pogacar. Le double vainqueur du Tour savait en effet qu’il affrontait l’étape la plus redoutée et la plus redoutable pour lui, a fortiori à la tête d’une équipe aux munitions incertaines. On en fut d’autant plus rapidement convaincu qu’à l’approche des premiers secteurs, les Emirati étaient déjà en difficulté. Construite avec des grimpeurs, choix maîtrisé en toute objectivité par le manager Mauro Gianetti dans la perspective d’un Tour très montagneux, UAE dut abandonner son leader. Les Majka, Soler, Bennett et McNulty (ces deux derniers sont de surcroît tombés), ne pesaient pas bien lourd dans le Nord où ils mordirent la poussière au sens propre. Quant aux équipiers dits de « plaine », tels Hirschi, Laengen et Bjerg, ils disparurent plus tôt encore, de manière très inquiétante pour le Suisse, il est vrai appelé en dernière minute à la place de Trentin (Covid). La poisse de Jumbo, la passivité d’Ineos Manifestement, Tadej Pogacar n’a besoin de personne. Ce n’est pas neuf en vérité, ce coureur est tellement talentueux qu’il franchit les obstacles avec une égale sérénité, une assurance qui lui permet de ne pas tomber, de ne pas connaître d’ennui mécanique. « Moi, j’ai eu de la chance aujourd’hui, c’est clair », dira-t-il d’ailleurs en première déclaration. De la chance, de l’instinct, du placement. Constamment parmi les cinq premiers, le Slovène put choisir les bonnes roues, notamment celles des coureurs de Trek qui visaient la victoire d’étape. Malin, et informé des malheurs à répétition de Jumbo-Visma, l’équipe néerlandaise tour à tour touchée par les chutes de van Aert, de Roglic, l’ennui mécanique de Vingegaard, Pogacar s’est assis dans le sillage de Jasper Stuyven mais il a surtout pris lui-même ses responsabilités. C’est bien simple, lors des deux exercices supposés l’inquiéter, Pogacar a pris du temps sur ses adversaires présumés : au chrono d’ouverture et sur les pavés ! [scald=29247259:sdl_editor_representation] À l’approche de la Planche-des-Belles-Filles, qui dresse son tremplin dans les Vosges vendredi, le grandissime favori est dans un fauteuil. La grande lessive orchestrée par les pavés a joué en sa faveur. Il est le seul des favoris à sortir grandi de la mine d’Arenberg où les visages burinés n’avaient que leurs yeux pour pleurer. Chez Ineos, il n’y avait aucune raison de pleurer, cela dit, car c’est à la pédale que Thomas, Martinez, Yates et compagnie ont été distancés mais il y a pire. L’équipe britannique, d’ordinaire offensive, a laissé faire, elle n’a jamais donné un coup de main à Jumbo-Visma et donc à van Aert pour combler le retard sur Pogacar, aidé de manière surprenante par Stuyven qui savait pourtant que la course était gagnée par les échappés et donc Simon Clarke. La passivité d’Ineos, qui est devenue une équipe de suiveurs, les malheurs de Jumbo, en particulier ceux de Roglic qui doit céder le leadership au jeune Vingegaard et l’habileté de Pogacar sur les pavés ouvrent plus grandes encore les portes des Champs-Élysées au Slovène alors que la montagne n’est pas encore là. C’est assez ahurissant mais nullement une surprise. Vainqueur des Strade Bianche, quatrième du Tour des Flandres, Pogacar est tout simplement un phénomène. Il ne commet aucune erreur. « C’est une belle journée pour moi, confirma-t-il. Je n’ai eu aucun pépin, je me sentais bien, j’ai réussi à prendre les bonnes roues. Cela me donne évidemment beaucoup de confiance psychologiquement pour la suite. Mes sensations physiques sont excellentes mais j’ai hâte d’être en montagne, c’est plus cool pour moi ! Les pavés, un peu c’est bien, mais ce n’est vraiment pas mon truc. » Pas certain que les concurrents pour le général, dont plusieurs ont déjà perdu le Tour comme Roglic, partagent cette analyse contrastée du passage sur les pavés, un tournant (espéré ?) dans cette édition de la Grande Boucle qui pourrait, du coup, devenir soporifique assez rapidement à l’échelon du combat pour la première place.

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