Elisabeth Borne: «Le désordre et l’instabilité ne sont pas des options»

Elle savait qu’elle aurait face à elle des oppositions remontées comme des pendules. Certains, dans son propre camp, redoutaient (voire attendaient) même qu’elle se fasse manger toute crue. Elisabeth Borne a bien été chahutée ce mercredi à l’Assemblée nationale. Mais la Première ministre est sortie plutôt renforcée d’un discours de politique générale qui s’annonçait comme très périlleux. Et cela même si elle n’a pas sollicité la confiance des députés comme le veut la tradition. [scald=29247263:sdl_editor_representation] Sur la forme comme sur le fond, elle a réussi à surprendre en imprimant sa marque. On la décrivait comme le maillon faible d’un gouvernement privé de majorité absolue depuis les législatives de juin. Consciente de son manque de charisme, elle a cherché contre toute attente à faire de son style un atout. « Je ne corresponds peut-être pas au portrait-robot que certains attendaient. Ça tombe bien : la situation est inédite. Je n’ai pas le complexe de la femme providentielle. J’ai été ingénieure, préfète, ministre. Mon parcours n’a suivi qu’une ligne : servir », a-t-elle lancé, loin des premières interventions poussives qu’elle avait pu livrer jusqu’alors et fendant même pour la première fois l’armure en expliquant ce qu’elle devait à la République, elle, l’ancienne pupille de la Nation dont le père « n’était jamais vraiment revenu des camps de concentration ». Des mots prononcés dans un style modeste qui se transformait soudain en atout face à la verticalité depuis longtemps reprochée à Emmanuel Macron. [scald=29247262:sdl_editor_representation] « Bâtir ensemble » Surtout, celle qui traînait déjà comme un boulet une réputation de « techno » est apparue comme une politique plus aguerrie que ne le laissait présager sa caricature. Dans un long discours au ton plus consensuel qu’offensif, Elisabeth Borne n’a cessé de faire l’éloge du compromis, plaçant les oppositions devant leurs responsabilités aux yeux de l’opinion. « Le désordre et l’instabilité ne sont pas des options », a-t-elle souligné. « Nous ne sommes pas d’accord sur tout mais nous avons tous conscience de la nécessité d’agir. Les Français nous demandent de construire ensemble. Nouer des compromis, ce n’est pas se compromettre. » La Première ministre a fixé les limites des accords qu’elle recherchera au cas par cas. Ils devront s’articuler, a-t-elle insisté, autour des valeurs républicaines, qu’elle définit par le triptyque « liberté, égalité, fraternité » auquel elle prend soin d’ajouter la laïcité. Pour chacun ou chacune des présidents des groupes parlementaires, à l’exception ostensible des Insoumis et du Rassemblement national, elle a eu des clins d’œil appuyés pour souligner les convergences. Il ne s’agissait pas seulement de classer la gauche radicale et l’extrême droite dans le rang des infréquentables, mais surtout d’apparaître comme celle qui tend la main et de tenter de filer le mistigri de l’obstruction au camp des oppositions modérées. En saluant Edith Cresson, première femme à l’avoir précédée à Matignon, elle a même réussi à piéger les socialistes. En n’applaudissant pas, ceux-ci ont été pris à contre-pied par leur posture de refus. [scald=29247264:sdl_editor_representation] Prudence de Sioux « Bâtir ensemble » : tel a été le mantra de son discours de la méthode. Mais bâtir quoi ? Sur le fond, les marges de manœuvres du nouvel exécutif sont très faibles. Le pouvoir d’achat, le plein-emploi, la transition écologique, l’égalité des chances : Elisabeth Borne a défini les axes prioritaires. Mais sans grandes annonces concrètes et pour cause : sans majorité absolue, impossible de définir un horizon précis. Alors elle a seulement cherché à donner des gages à la gauche (la revalorisation du salaire des enseignants, l’aide aux familles monoparentales), puis à la droite (pas d’augmentation d’impôts, réduction de la dette à partir de 2026). Et si elle n’a pas pu totalement esquiver le sujet ô combien explosif des retraites, elle s’y est aventurée avec une prudence de Sioux : « Oui, nous devrons travailler un peu plus longtemps. » Pas la moindre allusion au report de l’âge de départ de 62 à 65 ans. A l’heure de lui répondre, l’opposition a été forcée de dévoiler son jeu. C’était le but. La France insoumise s’est montrée la plus offensive. « Ce 6 juillet est à marquer d’une pierre noire. Cet exercice n’est qu’une mascarade », a accusé la cheffe de groupe, Mathilde Panot, en dénonçant l’absence de vote de confiance et en intimant à la Première ministre de « se soumettre ou de se démettre ». A l’extrême droite, Marine Le Pen a voulu apparaître moins fermée. Forte de ses 89 députés et soucieuse de gagner en respectabilité, elle a bien accusé l’exécutif « d’avoir perdu le contrôle de la situation ». Mais elle n’est pas tombée dans le piège de l’obstruction que voulait lui tendre la majorité. « Nous serons une force qui place l’intérêt des Français au-dessus des agitations partisanes », a-t-elle averti. Elle aussi a plutôt habilement franchi sa rentrée parlementaire.

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