Au Festival Off d’Avignon, un «Macadam Circus» en plein air

En plein centre-ville et pourtant à l’écart de l’agitation, la cour du Musée Angladon accueille chaque jour Macadam Circus. « On voulait absolument jouer ici » explique Antoine Laubin, le metteur en scène. « C’est l’endroit idéal. Calme, entouré de verdure, avec le musée juste à côté. Le seul problème vient des gens qui souhaitent visiter et se présentent à la grille. Du coup, l’un d’entre nous monte toujours un peu la garde devant la porte. » Et cela se passe en toute décontraction. Dès que des touristes s’approchent de la grille et constatent qu’une représentation a lieu dans la cour, ils s’écartent et passent leur chemin. Pour l’instant, certains se mêlent encore aux spectateurs qui viennent récupérer leur billet. Tandis que ceux-ci s’installent, Axel Cornil, installé sur son vieux canapé, observe, sourit, se prépare au combat. Car c’est bien un combat qu’il livre ensuite durant un peu plus d’une heure. Seul face aux spectateurs, il doit lutter avec les bruits de la ville, le soleil écrasant mais aussi le mistral qui, de temps à autre, s’abat sur la ville et secoue les spectacles en plein air. [scald=29288351:sdl_editor_representation] « Aujourd’hui, j’avais la voix un peu cassée » sourit-il à l’issue de la représentation. « Les trois jours précédents, le mistral était fort et j’ai dû donner de la voix. Ça laisse des traces. » Rien de grave. Il porte magistralement ce rôle d’homme perdu dans le monde actuel qui tombe nez à nez avec un petit éléphant au beau milieu de la ville… À travers cette fable, l’auteur, Thomas Depryck évoque tous les questionnements d’un homme, d’un père de famille, d’un type qui voit toute la merde du monde se répandre à ses pieds et ne sait comment s’en débarrasser. Heureusement, il y a sa femme et son fils. Cette petite cellule au sein de laquelle il ramène son copain éléphant, témoin d’un autre temps. Les yeux dans les yeux Accompagné par la voix de Nick Cave dans l’album Ghosteen dont il égrène lui-même les paroles, le comédien court d’un côté à l’autre, bourre de coups de poing son sac d’entraînement de boxeur, lance la musique sur la platine en surplomb puis l’interrompt quelques secondes plus tard, écrit une lettre à son fils, pleine de doute et d’amour… Le public, juché sur des sièges soigneusement disposés tout autour de la cour se demande un peu ce qui lui arrive face à ce grand gaillard agité qui se raconte en fixant chaque spectateur dans les yeux. Ici, pas de filtre entre scène et salle, le comédien est parmi nous, en pleine lumière du jour. On croise des regards dubitatifs, d’autres franchement désapprobateurs. « Qu’est-ce qu’on est venu faire là » semble se demander une dame qui chausse ses lunettes noires pour regarder ailleurs tandis que ses deux amies semblent désorientées. Une heure et une vingtaine de minutes plus tard, tandis qu’Axel Cornil nous quitte sur les suites pour violoncelle de Bach, elles applaudissent à tout rompre. Conquises. « Je me suis vraiment dit qu’on s’était trompée », nous confie la plus âgée. « Et puis je ne sais comment, je me suis fait cueillir par cette histoire, par l’incroyable performance de ce comédien qui nous parle les yeux dans les yeux. Je vais le conseiller à toutes mes amies. » [scald=29288352:sdl_editor_representation] Ce ne sera pas de refus. Porté par la Manufacture, un des principaux lieux du Festival Off, le spectacle, conçu pour le plein air et de petites jauges, est un peu isolé, loin de tous les autres, dans cette petite cour. Pour attirer les spectateurs, il faut donc payer de sa personne. C’est ainsi que, le lendemain matin, en nous rendant au Théâtre des Doms, nous tombons nez à nez avec Axel Cornil en train de distribuer ses tracts. « En fait, j’aime bien ça », explique-t-il. « Avignon, c’est quand même le seul endroit où tu peux avoir ce type de contact avec le public. Après, il ne faut pas faire n’importe quoi. Il faut choisir les endroits où se trouve le public susceptible d’être intéressé par ton spectacle. Ici, du côté des Doms, je sais que c’est le cas. Et le rapport qu’on peut avoir les spectateurs est vraiment unique. » Inutile pour lui d’aller tracter sur la place de l’Horloge où se pressent acrobates, clowns, humoristes et bateleurs en tout genre. Là, on ne sait plus trop s’il s’agit de convaincre les passants ou de faire le show directement dans la rue. Cela fait en tout cas le bonheur des enfants qui courent d’une démonstration de breakdance à un automate tout en récoltant un maximum de tracts pour se constituer une collection bien plus originale que celles des albums Panini. Un autre rapport au public Loin de cette agitation, Axel Cornil s’approche d’une dame en souriant et engage la conversation. On parle théâtre, texte, espace… On échange, on discute et au bout de quelques minutes (rien à voir avec la distribution frénétique de la Place de l’Horloge ou de la Rue de la République), la dame s’éloigne, un tract à la main, sur la promesse de venir découvrir Macadam Circus le lendemain. Nous la reverrons en fait deux jours plus tard devant la grille du jardin. « Je ne pouvais pas venir hier », s’excuse-t-elle quand nous l’interrogeons. « Mais ce jeune homme a éveillé ma curiosité. Le texte semble intéressant et s’il est aussi bon sur scène que quand il fait la promotion du spectacle, je devrais passer un bon moment. Et puis je suis Française et j’aime beaucoup découvrir les spectacles belges. On est rarement déçu. » [scald=29288353:sdl_editor_representation] Il ne nous reste alors qu’à lui conseiller d’aller voir également « Le champ de bataille » au 11, un des lieux phares du Off. En début de festival, nous avions croisé un jeune homme distribuant les tracts pour ce spectacle. Un peu dépité, il nous avouait : « C’est dur ! Les Français ne connaissent ni l’auteur, ni le comédien ni le metteur en scène donc ils sont assez hésitants et il faut pas mal de temps pour les intéresser. Et par contre, quand je tombe sur des Belges, c’est foutu d’avance. Tout le monde l’a déjà vu ! » Depuis, la salle ne désemplit pas. Quant à Macadam Circus, le bouche-à-oreille a fait son chemin. Lors de notre dernier passage, la petite cour était cette fois bien pleine. A l’extérieur, un petit groupe s’approche de la grille pour regarder entre les barreaux. Le cerbère du jour les invite à se reculer et le monsieur lui répond, montrant l’affiche du spectacle sur laquelle un pachyderme joue les équilibristes : « On cherchait l’éléphant ». « Ah ! », s’entend-il répondre dans un sourire, « certains le voient et d’autres pas… ». On ne serait pas étonnés que ceux-là reviennent demain, à l’heure cette fois, pour tenter de l’apercevoir…

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