Tunisie: la crainte d’une dérive après le référendum du président Saïed

Le président Kaïs Saïed voit le résultat du référendum de lundi comme une victoire. Mais en est-ce vraiment une ? Le chef d’Etat tunisien a déclaré après les premiers résultats préliminaires que la Tunisie entrait dans « une nouvelle phase ». Son projet de Constitution a été adopté à 92,3 % des voix selon l’institut de sondage Sigma Conseil. Mais seuls 27,5 % des 9,3 millions d’électeurs tunisiens se sont déplacés pour s’exprimer sur ce changement fondamental dans leur pays. Les résultats définitifs devaient être annoncés dans la soirée de mardi. Et la Constitution proclamée dans la foulée. [scald=29302007:sdl_editor_representation] Mais l’opposition ne l’entend pas de cette oreille. Le Front du salut national, qui coalise des partis d’opposition, a accusé l’instance électorale d’avoir « falsifié » les chiffres de participation et pointe « l’échec » du référendum. Cette coalition forgée autour du parti islamiste Ennahda estime, d’après ses observations dans les bureaux de vote, que la participation était plus basse que cela. Elle avait appelé au boycott du scrutin. Said Benarbia de l’ONG Commission internationale des juristes a aussi critiqué auprès de l’AFP la légitimité du vote : « Toute Constitution qui résulte (de ce vote) ne reflète pas la vision de la majorité des Tunisiens et est privée de légitimité démocratique et d’appropriation nationale ». Cette faible participation serait un signe de « l’échec du coup d’Etat de Kaïs Saïed » pour le Front du salut national. Il y a exactement un an, le président démocratiquement élu a gelé, puis dissous le parlement tunisien, s’octroyant les plein pouvoirs. « La force de ce coup d’Etat populaire », pointe Vincent Geisser, chercheur au CRNS et à l’Iremam, « était la faiblesse et le désaveu de l’opposition ». Pour le spécialiste de la Tunisie, les partis politiques n’ont pas encore retrouvé la confiance des Tunisiens, et donc un poids suffisant pour contrer le président bientôt tout puissant. « La seule référence de la légitimité dans le pays est la Constitution de 2014 et Kaïs Saïed doit ouvrir la voie à des élections générales présidentielles et législatives » anticipées, a estimé Ahmed Néjib Chebbi, dirigeant du Front de salut national. Des élections législatives sont prévues pour le dix-sept décembre, mais le Parlement a perdu de ses pouvoirs avec cette nouvelle Constitution. [scald=29302006:sdl_editor_representation] Tout n’est pas enterré La nouvelle loi fondamentale accorde de vastes prérogatives au chef de l’Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014, après la révolution populaire de 2011 qui avait jeté dehors le dictateur Ben Ali. Mais tout ce qui faisait la Tunisie révolutionnaire des printemps arabes n’est pas enterré. « Alors oui, on va vers un régime personnalisé, autocratique, dur, avec une gestion autoritaire et brutale. Mais à partir de 2011, des espaces culturels, médiatiques, artistiques de résistance se sont ouverts », continue Vincent Geisser. La Tunisie est foisonnante, riche et diverse. Et une Constitution controversée ne pourra pas mettre à bas la conscience de cette jeunesse, veut croire celui qui est malgré tout pessimiste. Mais le spectre de la dictature de Ben Ali et du régime de Bourguiba peuvent vite faire taire les voix les plus vocales. Pour Kaïs Saïed, qui s’est exprimé au milieu de la nuit, « le référendum va permettre de passer d’une situation de désespoir à une situation d’espoir. » Depuis le premier jour de son coup de force (que ses opposants décrivent comme un coup d’Etat), Kaïs Saïed avait juré vouloir remettre l’économie tunisienne sur les rails, et la débarrasser (ainsi que la politique) de sa corruption. « Mais pour l’heure, il n’a pas présenté le moindre projet qui permette de mettre en œuvre ses promesses », souligne Vincent Geisser. Le spécialiste voit au moins une vertu à la nouvelle Constitution de Kaïs Saied : elle opère sans cacher son jeu… [scald=29302005:sdl_editor_representation]

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