La moyenne Semois, «couture» belge entre l’Ardenne et la Lorraine

Ce paysage est représentatif de la moyenne Semois, avec la rivière qui vient d’Arlon et s’écoule vers Herbeumont, Bouillon et la France. » A l’arrière de l’église Notre-Dame de l’Assomption de Florenville, un panorama s’ouvre sur la plaine alluviale où le cours d’eau bombe en douceur. Un tableau que Francis Rosillon, docteur en Sciences de l’environnement et ancien maître de conférences de l’Université de Liège (ULiège), connaît par cœur. « La Semois s’écoule le long de la cuesta sinemurienne (première cuesta de la Lorraine belge) qui présente un front abrupt au nord et un revers en pente douce vers le sud », poursuit-il, intarissable. « Elle a érodé les marnes dans la plaine et le grès de la cuesta a mieux résisté. » Au loin, les villages de Lacuisine, de Martué et de Sainte-Cécile bornent la Lorraine. « La plaine vient ensuite buter contre le plateau schisteux de l’Ardenne et ses résineux, un terrain vieux de 400 à 500 millions d’années, alors que la Lorraine, elle, n’est vieille que de 175 à 250 millions d’années », achève doctement l’auteur de deux ouvrages consacrés à cette rivière si particulière. Les prairies maigres qui bordent ce serpent d’eau abritent un biotope particulier. La pie-grièche écorcheur s’y « nourrit de petits campagnols et de gros insectes qu’elle empale sur les petits épineux présents dans les bocages », explique Francis Rosillon. « C’est aussi un endroit privilégié pour les rapaces tels que le milan noir, le milan royal ou la buse. » Et la pluie a creusé des mardelles (une dépression en eau) en certains endroits de ce vaste territoire candidat à l’obtention du titre de parc national. « Des méandres dans tous les sens » Cette vallée paraît idéale pour une randonnée familiale en boucle. Celle-là même décrite dans un Topo Guide édité par l’ASBL Sentiers de Grande Randonnée (grsentiers.org/), auquel Francis Rosillon a contribué. Le périple démarre de Lacuisine, pour 24,5 km environ (un raccourci permet d’abaisser le parcours sous les 20 km). Puis direction Martué. Là, les paires de godasses enjambent une première fois la Semois où, au cœur du mois de juin, les renoncules aquatiques en fleur dressent des nappes blanches sur sa surface cristalline. Classées en tant qu’habitat prioritaire par la Commission européenne, elles offrent un abri à certains poissons et aux larves d’insectes. Un menu qui attire le bec affûté du martin-pêcheur, de l’aigrette et du cormoran. [scald=29327912:sdl_editor_representation] Par endroits, cette native d’Arlon ondule, indécise. « En Lorraine, la Semois s’écoule dans une plaine marneuse, riche en calcite et en argile, où l’érosion est facile », commente Francis Rosillon. « Cela donne des méandres dans tous les sens, alors qu’en Ardenne, le schiste est plus dur et n’est érodé que dans le sens nord-sud, perpendiculairement à la schistosité. Cela donne donc des méandres uniquement dans cette orientation. » [scald=29327914:sdl_editor_representation] Sur les berges, des prairies à orchidées s’étendent là où les colchiques attendent l’automne. Un échantillon du biotope local se dévoile à proximité du village de Moyen, où se trouve la Réserve des Aisances. Cette prairie protégée abrite de nombreux papillons comme le nacré de la bistorte. La scorsonère et la pédiculaire des bois, comme la platanthère à deux feuilles, s’y enracinent, à l’ombre des bosquets, des pommiers sauvages et des aubépines, où la pie-grièche écorcheur trouve son bonheur. « Certains petits affluents sont à sec en été » L’échappée lorraine se poursuit avec un nouveau franchissement de la Semois, à Laiche. Son débit semble encore freiné par les renoncules en fleur, aux feuilles immergées en lanière et arrondies en surface. Ces plantes apprécient particulièrement l’ensoleillement que permettent les berges dégagées et des eaux riches en calcium et en magnésium. Un cygne survole, sans se méfier, l’eau qui dort. L’apparence est trompeuse et les grosses averses peuvent venir la sortir de son lit. A l’inverse, le réchauffement climatique ne l’épargne pas. « Certains de ses petits affluents sont désormais à sec durant l’été », confirme Francis Rosillon. Des espèces disparaissent et d’autres apparaissent, comme le nacré de la ronce, un papillon qui vient du sud et qui a fait son apparition depuis quelques années dans la région. Puis, le tracé opère une nouvelle incursion dans le massif ardennais, comme le fil d’une couture entre deux pans de pays. En pénétrant dans le domaine des Epioux, réserve Natura 2000, le promeneur pose les pieds sur un sol… hainuyer. En effet, ce domaine est une propriété du CPAS de Mons. En son cœur, le badaud pourra profiter pleinement de la quiétude des étangs où baignade, pêche et navigation restent interdites, tandis que s’y déverse le Tamijean, un affluent de la Semois. L’ancien château du maître des forges, lui, rêve en vain d’une restauration. Poursuivant dans cette forêt de hêtres et de haies, refuge de la barbastelle, une espèce rare de chauve-souris, le randonneur prend de la hauteur, tandis que la rivière, gagnant en débit, fend le schiste. Le curieux ne souffrant pas de vertige pourra s’en rendre compte depuis l’à-pic du rocher Pinco. Ce point de vue tiendrait son nom de la présence régulière d’un artiste peintre tenant compagnie aux bûcherons. Chaque fois qu’il arrivait avec son chevalet, entre deux coups de hache, certains disaient « Le v’la. Il peint co. » Légende ou anecdote, l’explication a survécu aux saisons. « En hiver, la Semois gèle par le fond, comme certaines rivières du Québec », confie son spécialiste attitré. « On dit alors qu’elle bétine. » Les glaces de fond remontent alors à la surface et forment des blocs impressionnants qui se brisent lors de la débâcle, offrant un superbe spectacle dans la lumière du jour. Mais là, la rivière se pare du soleil quand il perce les hêtraies. Le versant escarpé redescend vers la berge. Délaissant à nouveau le massif ardennais, cette belle volage s’en retourne dans le lit de la Lorraine, en gagnant Lacuisine. La boucle s’achève en remontant la cuesta. Florenville s’annonce de son clocher haut perché. Les parfums de l’été embaument la Gaume. Pour en savoir plus sur cette rivière pas comme les autres, voir « Semois nature », en 2 tomes, de Francis Rosillon, paru aux Editions Memory.

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