DiEM25 vole au secours de Julian Assange

Des cheveux blonds, presque blancs, mi longs et plaqués en arrière. Une barbe grisonnante. Un teint pâle. Très pâle. Le visage qui est apparu hier soir sur l’écran géant de Bozar, à Bruxelles, était reconnaissable entre mille. Mais si Julian Assange apparaît souvent en photo, c’est loin d’être le cas pour dans des capsules vidéo. Alors hier soir, lorsque le célèbre lanceur d’alerte et fondateur de Wikileaks s’est adressé en direct au parterre de Bozar depuis l’ambassade de l’Equateur à Londres, où il est enfermé depuis quatre ans exactement, les téléphones se sont levés. Dix, vingt, trente, cinquante écrans ont percé l’obscurité, le temps de prendre une photo ou une vidéo. Ou d’envoyer un tweet avec la mention #FreeAssange. Julian Assange a pris la parole quelques minutes, d’une voix saccadée. D’emblée, il a partagé son ressenti vis-à-vis de cette prise de parole exceptionnelle : « Je suis ce soir en direct dans dix villes différentes… Alors que d’habitude, je suis très isolé. C’est un peu un choc de parler en un coup à 10.000 personnes. (…) Je pourrais vous dire quelque chose d’assez prévisible sur l’injustice de ma situation. Mais je vais plutôt vous dire quelque chose d’inattendu. Je pense avoir de la chance d’être une personne accusée. Parce que cela me donne un super pouvoir : celui de révéler la vraie nature des autres personnes. J’ai maintenant le pouvoir de l’accusé. Celui qui révèle la vérité sur ses accusateurs. » Les spectateurs de Bozar – majoritairement des jeunes trentenaires – ont applaudi leur « héros », tout comme l’ont probablement fait ceux des neuf autres salles en Europe où Julian Assange s’est exprimé hier soir. Bruxelles, Paris, Berlin, Belgrade ou encore Madrid ont toutes vécu cette soirée « First they came for Assange… » – un nom choisi en référence au poème de Martin Niemöller « Quand ils sont venus chercher… », écrit en réponse à la lâcheté des intellectuels allemands durant les purges organisées par les nazis. Pour demander la libération de Julian Assange, chaque événement comptait des invités de marque qui, eux, étaient physiquement présents. A Bruxelles : l’économiste grec Yanis Varoufakis et le philosophe croate Srećko Horvat. Tous deux ont déjà rendu plusieurs visites à Julian Assange, depuis qu’il est coincé dans l’ambassade londonienne de l’Equateur. Le fondateur de Wikileaks s’y est rendu le 19 juin 2012, pour demander l’asile politique à l’Equateur, parce qu’il craignait (et craint toujours) une extradition aux Etats-Unis. Les autorités américaines le recherchent : elles l’ont accusé d’espionnage depuis que Wikileaks a commencé à diffuser des fichiers confidentiels de l’armée américaine (500.000 fichiers déjà publiés). La Suède le recherche aussi, pour une affaire de viol par contre. Mais si elle l’intercepte, elle pourrait le livrer aux Etats-Unis, où il risque (au minimum) de nombreuses années de prison. L’un dans l’autre, Julian Assange est donc cloîtré dans l’ambassade d’Equateur à Londres, où l’Equateur lui assure une protection. Il y vit seul, avec un chat, expliquait hier soir Srećko Horvat. Le philosophe croate portait un t-shirt blanc où l’on pouvait lire le nom de l’événement (« First they came for Assange… »), mais aussi voir la photo d’un petit chat. « Ce chat, c’est le nouvel ami de Julian Assange. Il est sa seule compagnie dans cet appartement, a-t-il expliqué. Et vous savez quelle est la différence entre les chats et les chiens ? Un chat ne serait jamais ami avec la police… C’est pour ça que Julian Assange est un chat. » Au-delà de la description du quotidien de Julian Assange, Srećko Horvat et Yanis Varoufakis ont longuement abordé les questions de transparence et les défis des technologies. « Julian Assange, dès son jeune âge, était un hackeur. Il s’est très vite posé des questions sur les technologies, a raconté Yanis Varoufakis. Il s’est demandé comment il serait possible d’empêcher la création d’une société capitaliste très surveillée. Comment éviter une société totalement opaque, vu tous ces outils technologiques. Et bien, il est arrivé à la conclusion que tout compte fait, ces technologies sont un miroir qui est dirigé vers nous, qui nous renvoie la lumière et qui nous empêche de voir ce qu’il y a dans l’ombre. Mais on peut retourner ce miroir. L’idée d’Assange, c’est d’utiliser les outils technologiques (Google, les programmes de la NSA, etc.) pour renvoyer la lumière vers ceux qui nous dirigent ; pour les rendre, eux, plus transparents ; et pour nous protéger nous, en nous mettant dans l’ombre. » Srećko Horvat a ajouté : « Les technologies peuvent être à la fois un remède et un poison. Julian Assange aurait pu gagner des millions de dollars en travaillant dans la Silicon Valley, pour Facebook, Google, Microsoft. Mais il a choisi l’autre voie. Et maintenant, il est détenu depuis quatre ans sans raison. Il ne faut pas l’oublier. » Des questions technologiques, les deux intervenants (qui sont deux initiateurs du mouvement DiEM25, Démocratie en Europe Mouvement 2025) sont assez vite passés à la question de la transparence dans nos démocraties. Yanis Varoufakis est revenu sur son expérience comme ministre grec des Finances, lorsqu’il a négocié au sein de l’Eurogroupe le nouveau plan de sauvetage pour la Grèce. « Lors de ces réunions sans fin, je décrochais de temps en temps et je regardais le plafond. Il y avait plein de caméras dans ces salles de réunion, et des micros sur les tables. Je rêvais qu’une personne dans les coulisses appuie sur un bouton et connecte toutes ces caméras et tous ces micros à internet. Imaginez un peu que tout le monde puisse assister à ces négociations. Quand j’ai proposé qu’on le fasse, on m’a directement traité d’irresponsable. Comme si c’était dangereux de montrer ces négociations au grand jour. (…) Le problème, c’est que aujourd’hui, en Europe, les citoyens ne savent jamais ce que les décideurs politiques négocient en leur nom. C’est pourquoi j’ai expliqué ouvertement comment fonctionne la prise de décision en Europe. Et vous savez ce que l’on me dit systématiquement, aujourd’hui encore ? On me demande si mes explications sur le fonctionnement des négociations n’ont pas contribué à la montée de l’extrême droite en Europe. Comprenez : si tu joues la transparence et que tu expliques ce qu’il se passe, on te fait passer pour celui qui tue la démocratie. En fait, le meurtrier de la démocratie accuse la victime de tuer cette démocratie. Et c’est exactement ce dont on accuse Julian Assange. »

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