Jacques Attali sur le Brexit: «L’Europe n’existe que quand elle avance, elle n’est pas réversible»

Jacques Attali a fondé et présidé la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) après avoir conseillé le président François Mitterrand de 1981 à 1991. [scald=1426941:sdl_editor_representation] Le Brexit, une « catastrophe » ? Ce serait surtout une catastrophe pour la Grande-Bretagne. Parce que je pense que les conséquences de désordre, de chaos dans la vie politique, de difficultés à mettre en œuvre une sortie de l’Union européenne pourraient entraîner la démission du gouvernement de David Cameron et des élections. Il faudra aussi mettre en œuvre l’article 50 du Traité de Lisbonne qui revient à dire que si on n’arrive pas au bout de négociations de deux ans, ils seront automatiquement dehors. Ce qui va leur faire perdre énormément tant financièrement, qu’administrativement et légalement parlant. Ils vont devoir mettre en place toute une série de législations et accords internationaux. Tout cela sans oublier qu’une sortie de l’UE peut entraîner la résurgence de l’indépendantisme écossais. Et pour nous Européens ? Ce serait très ennuyeux parce qu’on perdrait là une partie de notre poids, en particulier au niveau de la défense et de la sécurité. On y perdrait également en matière de vitalité financière et économique. Mais ce serait surtout pour la Grande-Bretagne que ce serait un problème. Ce serait une perte de poids au moment où l’importance de la défense est très grande. Nous avons tout intérêt à garder la Grande-Bretagne avec nous. Cameron a-t-il joué avec le feu en acceptant d’organiser ce référendum ? Bien sûr. Il peut difficilement dire que le Brexit est une catastrophe puisque le problème ne se poserait pas sans lui. Les partisans du Brexit ont beau jeu de dire que M. Cameron ne peut pas prétendre que ce serait catastrophique puisque c’est lui qui a décidé de poser la question aux Britanniques… [scald=1426940:sdl_editor_representation] Pourquoi l’a-t-il fait, pour contenter une partie de son parti ? Oui, il a cru que c’était facile. Comme toujours, ceux qui posent des questions par référendum sont convaincus que c’est facile. Une sortie coûterait cher à la France ? Non, les plus grandes victimes d’un Brexit seront les Pays-Bas et l’Allemagne, les plus importants partenaires commerciaux. Pour la France beaucoup moins, pour la Belgique un peu. Quand on voit des Etats membres jouer avec leur adhésion au projet européen, est-ce le signe que quelque chose ne tourne pas rond ? L’Europe a-t-elle besoin d’un renouveau ? Oui, l’Europe a besoin de continuer. L’Europe n’existe que quand elle avance. La grande conséquence catastrophique du Brexit serait de donner le sentiment que l’Europe est réversible. C’est très embêtant, parce que ça donne l’impression qu’au fond on pourrait ne pas continuer à avancer de la même façon que ce qu’on a fait jusqu’à présent. Tout est possible, les Hollandais, les Italiens, les Danois ou autres pourraient aussi commencer à réclamer des référendums ; ce qui provoquerait une situation de fragilité. Brexit ou pas, il est très important de redonner un projet à vingt ans pour l’Europe. Et pour moi, c’est l’Europe de la sécurité et de la défense. [scald=1426939:sdl_editor_representation] On ne pourra pas faire comme s’il ne s’était rien passé, même si les Britanniques votent pour le maintien… De toute façon, l’Europe est très incertaine en permanence. C’est comme la nature humaine. Regardez ce qu’il se passe dans tous les pays du monde, ce n’est guère mieux en termes de stabilité. L’Europe n’est pas plus instable que les pays qui la composent ou qui n’en sont pas membres. Elle est à l’image des pays qui la composent ? Tout à fait. Une Europe de la défense, vous y croyez vraiment ? J’y crois d’autant plus que les Etats-Unis ne sont plus là aujourd’hui pour défendre les Européens. Et que nous avons de vrais besoins de défense, en particulier des frontières à l’égard de ce qui se passe en matière de terrorisme et de migrations de toutes natures. Nous avons besoin de ce que Frontex soit vingt fois plus grande qu’elle n’est aujourd’hui. Nous avons besoin de mettre en commun nos moyens de défense, surtout parce qu’on va de plus en plus prendre confiance que les Américains ne protègent ni le Moyen-Orient, ni la Méditerranée ni nos frontières à nous. Une Europe de la sécurité et de la défense, qui inclura le financement des hot-spots, de Frontex et de la défense proprement dite s’imposera. Avec des douaniers européens ? Bien entendu. Si le résultat du référendum est très serré, le gouvernement britannique pourrait-il ne pas en tenir compte ? Oui et le gouvernement pourrait décider de démissionner pour laisser la place à des gens qui sont favorables pour faire les choses. Mais comme il n’y a pas de majorité pour le Brexit au Parlement, on irait vers des élections. Mon sentiment, c’est que même si le vote est négatif, la route vers la sortie de la Grande-Bretagne est semée d’embûches. Et ça coûtera beaucoup plus cher que prévu. C’est pour ça que les peuples sont en colère, parce qu’ils ont l’impression que cela ne sert à rien de voter. Il y a des choses plus difficiles à défaire qu’à faire, c’est comme l’unité de la Belgique. Ça ne se défait pas sur un coin de table.

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