«Depuis des décennies, la gauche est dans le déni»

Astrid de Villaines dirige le service politique du Huffington Post. Dans son dernier livre, Les sept péchés capitaux de la gauche (JC Lattès), elle analyse les causes qui, depuis des décennies, ont affaibli la gauche. Vous datez l’origine de la crise de la gauche à 2002, lorsque Lionel Jospin est balayé de la présidentielle par Jean-Marie Le Pen… J’aurais pu choisir d’autres dates charnières. Comme le tournant de la rigueur en 1983, quand Mitterrand déçoit après ses promesses anticapitalistes. Mais 2002 est un choc particulier. C’est à ce moment que l’extrême droite prend pour la première fois la place du PS. Depuis, les catégories populaires n’ont cessé de basculer au RN quand elles ne tombaient pas dans l’abstention. En 2002, c’était une surprise. Vingt ans plus tard, ça ne l’est plus. Et pourtant, la gauche ne fait rien pour contrer l’ascension de Marine Le Pen. Les défaites de Jospin, de Hamon, de Hollande n’ont jamais fait l’objet d’un droit d’inventaire. La gauche est dans le déni. [scald=29527557:sdl_editor_representation] Parmi les péchés que vous pointez, il y a la paresse. La gauche n’a pas assez travaillé ? Il lui a manqué un travail de fond, idéologique, et un travail de terrain. Cela s’est particulièrement vu dans la campagne présidentielle du PS. Mais on ne peut pas tout mettre sur le dos de son leader, Olivier Faure. Il était le seul à vouloir récupérer un parti en miettes quand des ténors comme Najat Vallaud-Belkacem ou Bernard Cazeneuve n’en voulaient pas. Mais il n’y a pas que la paresse qui a plombé la gauche. La colère, celle de Jean-Luc Mélenchon qu’on a spectaculairement perçu lors des perquisitions de 2018, est un autre des péchés capitaux qui ont conduit la gauche sous son plafond de verre. La gauche ne s’est occupée que de son nombril, en s’enferrant dans des débats lunaires ? Qu’on ait un débat sur la gauche des allocs contre la gauche du travail, c’est ahurissant. La gauche est tombée dans un piège identitaire, en mettant en avant ses différences plutôt que ses ressemblances. Ces questions de sémantique, de chasses gardées, témoignent d’une totale déconnexion. La gauche se perd en polémiques futiles, sur la viande rouge ou le burkini, au lieu de parler davantage d’écologie, de féminisme, de travail, des questions régaliennes et notamment de la sécurité. La Nupes, c’est le début d’un rebond ou une simple alliance de circonstances ? Cette alliance électorale était nécessaire. Elle a redonné un peu d’espoir au peuple de gauche qui voulait l’unité et elle a sauvé des sièges à l’Assemblée. Mais c’est largement insuffisant : 150 députés sur 577, ce n’est pas une victoire. L’alliance reste très fragile. On le voit à propos de la marche de dimanche : ils ont réussi à s’invectiver sur sa dimension « révolutionnaire ». Ces débats sont nocifs. Ce qui devrait compter, c’est d’incarner l’opposition et une alternance possible. Mélenchon n’est plus député mais règne toujours sur ses troupes… Sa figure s’effrite. Il est ambigu. D’un côté, il n’a plus aucun mandat et ne cesse de dire qu’il cède la place, mais de l’autre, il continue de contraindre tout le monde à s’aligner. Ses troupes n’arrivent pas à s’émanciper. [scald=29527559:sdl_editor_representation] A gauche, les affaires de violences sexuelles et sexistes éclatent. C’était le camp qui prétendait mener le combat contre ce fléau… Même si, historiquement, le féminisme et la gauche sont liés, le sujet n’est toujours pas réglé. Rien que le fait que ce soit quatre hommes qui dirigent les quatre partis de gauche, ça pose déjà problème. Je l’ai documenté depuis trois ans : le sexisme sévit encore dans les partis de gauche. Les féministes font ce qu’elles peuvent mais n’ont pas été assez loin dans leur stratégie de dénonciation. [scald=29527558:sdl_editor_representation] La gauche ne fait plus envie, dites-vous. C’est ce qui explique, lors de la campagne présidentielle, l’intérêt pour Fabien Roussel qui promettait des « jours heureux »… Il faut réenchanter le discours de la gauche. C’est très difficile à faire. La gauche est très « contre ». La marche de dimanche est organisée « contre » la vie chère. Tant que la gauche n’aura pas travaillé sur un programme positif, elle ne fera pas envie. Sur l’écologie, notamment, elle suscite encore des craintes d’amener une sobriété « puissance mille ». S’opposer, ça ne peut pas suffire. La gauche doit proposer.

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