Comment Elon Musk veut transformer Twitter en appli à tout faire

Il n’y aurait, dit-on, que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. A ce jeu, Elon Musk a livré la démonstration de son génie. Comme s’il ne connaissait plus qu’un seul geste, celui de retourner sa veste. Encore. Et encore. Rachètera Twitter ? Rachètera pas ? Peut-être bien que oui. Peut-être bien que non. Après avoir déboussolé Wall Street à plusieurs reprises, la girouette s’est finalement décidée pour l’option A. « L’oiseau est libéré », a tweeté Elon Musk jeudi soir, après avoir acheté le réseau social à l’oiseau bleu pour 44 milliards de dollars. Mais la vraie question est de savoir, pourquoi ? Quelle mouche a piqué le patron de Tesla à lancer une OPA à 44 milliards de dollars sur ce réseau social dont le pouvoir d’influence sur l’opinion est inversement proportionnel à son nombre d’utilisateurs et ses revenus. Que veut en faire l’homme le plus riche de la planète, lui qui fait rouler des voitures électriques, envoie des fusées dans l’espace, veut conquérir Mars ? Ou livre un réseau internet aux Ukrainiens via Starlink (du moins jusqu’ici, car il a failli changer d’avis la semaine dernière). On espérait que le procès opposant Twitter à Elon Musk, prévu initialement le 17 octobre et visant à forcer le milliardaire à honorer ses engagements, allait lever un coin du voile. C’était compter sans une énième volte-face d’Elon Musk. Le 4 octobre, il rétropédalait cinq mois en arrière en confirmant, finalement, sa promesse d’achat. Le juge du Delaware a donné jusqu’au 28 octobre pour ficeler le deal. Entre-temps, car la vie privée n’a pas le même poids outre-Atlantique, il a aussi mis en ligne les SMS privés échangés depuis le 21 janvier (uniquement au sujet de Twitter, on vous rassure) entre le patron de Tesla, certains de ses amis et des hommes d’affaires. Dont Jack Dorsey. Celui qui a fondé Twitter, en a claqué la porte, l’a poussé dans les bras d’Elon Musk (dont il est un ami proche) avant de devenir son meilleur allié… pour ne pas le racheter. Au total, un document Excel de 40 pages, écrit en corps 6, qui permet de mieux comprendre les engrenages alambiqués de cette saga. Chiche ! Tout partirait d’une blague, entre potes. On est le 5 mars, deux semaines après l’invasion russe en Ukraine. Elon Musk n’avale pas la décision de bannir la chaîne RT (ex-Russia Today, pilotée par le Kremlin), même si « RT dit beaucoup de conneries, mais aussi des trucs vrais ». Au nom de la sacro-sainte liberté américaine, il veut défendre la chaîne. Sans surprises, ses amis le soutiennent : « Tu as 100 % raison, Elon », « je suis 100 % d’accord avec toi, Elon ». En réalité, comme en témoigne le document de la Cour du Delaware, le smartphone du milliardaire est truffé de SMS lui répétant à quel point il est « génial ». Flatté, il prend au pied de la lettre une question d’un de ses amis : « Est-ce que tu peux racheter Twitter et le supprimer, s’il te plaît ? » Elon Musk « like » et répond : « Peut-être, le racheter pour le changer et lui faire respecter la liberté d’expression ? » La machine s’emballe. Le 26 mars, Jack Dorsey le titille : « Oui, une nouvelle plateforme est nécessaire. Ça ne doit pas être une nouvelle entreprise. C’est pour ça que je suis parti. » On apprend que le fondateur de Twitter est lui-même en train de travailler sur une nouvelle plateforme, open source, décentralisée et sans publicité. Convaincu qu’il peut sauver la liberté d’expression, Musk maintient pourtant l’idée d’un rachat de Twitter, avant transformation. De nombreux SMS sont échangés avec Parag Agrawal, le patron du réseau social, plutôt à l’écoute. Voire carrément docile. Musk ne perd pas une minute. Le 4 avril, le monde apprend qu’il avait investi 2,9 milliards de dollars dans Twitter et qu’il devenait désormais son premier actionnaire (9,2 % des parts). Le lendemain, Parag Agrawal annonce son arrivée au conseil d’administration. Un jour, donc, pour passer du statut d’actionnaire à celui de dirigeant. Dans un message immédiatement envoyé au patron de Tesla, Jack Dorsey lui a redit à quel point il y croyait : « Je le voulais depuis longtemps. J’ai été très ému quand j’ai appris que c’était enfin possible. » Sauf que, quelques heures plus tard, Elon Musk change d’avis. En privé, il explique à ses proches, sur un ton amusé, « ne jamais avoir voulu rejoindre le conseil d’administration ». En public, il tweete à tout vent (on peut dire « troller »), demandant notamment à ses abonnés si Twitter n’était pas « en train de mourir », s’il ne faudrait pas ajouter un bouton « edit » (modifier), s’il ne faudrait pas « une nouvelle plateforme ». « Merci », lui dit Jack Dorsey Le 9 avril, Parag Agrawal lui demande poliment d’arrêter son déballage public. « Tu as le droit de tweeter “Est-ce que Twitter meurt ?” ou ce que tu veux sur Twitter, mais c’est ma responsabilité de te dire que tu n’aides pas Twitter dans le contexte actuel. » Piqué au vif, il répond du tac au tac : « Je vais faire une offre pour rendre Twitter privé. » Et c’est ce qu’il annonce le 18 avril, se disant prêt à débourser 44 milliards de dollars (qu’il n’a par ailleurs pas, du moins en liquidités) pour racheter la plateforme. Un coup de tête sur un coup de sang. Tout part de là. Une fois de plus, son fil de SMS traduit la dévotion de sa cour. Les propositions de transformation du réseau social affluent. L’une ou l’autre candidature au poste de CEO, aussi. Jack Dorsey lui envoie un « Merci » avec un smiley « cœur ». Merci pour quoi ? De l’aider dans « cette tâche critique pour l’humanité ». Celle de sauver la liberté d’expression. Ici s’arrêtent les SMS. Mais la suite est connue : Elon Musk a d’abord cherché à s’extraire unilatéralement de l’accord. Des documents rendus publics révèlent comment ses avocats sont arrivés à la conclusion que Twitter aurait menti sur ses chiffres, en particulier sur le nombre de faux comptes automatisés (les « bots »). La plateforme a donc assigné Elon Musk pour le forcer à honorer ses engagements. Mais comme il a encore changé d’avis, le procès est suspendu. Il a jusqu’au 28 octobre pour honorer sa promesse. Pour autant, le milliardaire fantasque ne se montre pas très rassurant quant à l’avenir du réseau social. Mi-juin, lors d’une session de questions et réponses avec les salariés de l’entreprise de San Francisco, il faisait part de son ambition d’atteindre un milliard d’utilisateurs (au lieu des 230 millions actuels) et de diversifier les sources de revenus. Il avait aussi rappelé l’importance à ses yeux d’une modération des contenus moins stricte, dans les limites définies par la loi. Cette conception se heurte à celle de nombreux employés de Twitter, d’associations et d’élus démocrates qui, au contraire, demandent aux réseaux sociaux de mieux lutter contre les discours haineux, le harcèlement et la désinformation. Son intervention avait révélé l’étendue du fossé qui sépare sa vision d’une entreprise de celle de nombreux employés de la Silicon Valley, conquis par le télétravail. L’usine Tesla, au cœur du Texas, ne partage pas vraiment les mêmes méthodes de travail. Selon le Washington Post de ce vendredi 21 octobre, le patron de Tesla aurait indiqué à des investisseurs potentiels qu’il entendait licencier les trois quarts des 7.500 salariés de Twitter d’ici fin 2023. Projet « X » L’idée qu’Elon Musk chercherait plus à détruire Twitter que le sauver fait son chemin. « Deus X Machina », tweetait mystérieusement l’intéressé le 16 octobre, suivi d’un « Vox populi, vox dei » trois jours plus tard. [scald=29550462:sdl_editor_representation] Quel serait ce projet « X » ? Pour l’anecdote, il s’agit du nom d’une des premières start-up lancées par le milliardaire, celle qui, plus tard, donnera naissance à PayPal. Il renverrait surtout au futur nom de Twitter, voué à devenir une sorte de copier-coller de l’application chinoise WeChat, développée par Tencent. Le patron de Tesla n’a jamais caché son admiration pour le côté couteau suisse de cette appli, « qui permet de tout faire », vantait-il (messagerie, réseaux sociaux, paiement, administration, etc.). Acheter Twitter serait donc l’accélérateur pour créer « X, l’application pour tout ».

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