Tim Burton: «Mes films sont comme mes enfants. Je les aime tous, même les plus moches»

Le Festival Lumière à Lyon, dont la 14e édition s’est déroulée du 15 au 23 octobre, a quelque chose de magique. La température estivale du moment peut mettre tout le monde en terrasse jusqu’à pas d’heure, il n’empêche : les salles de cinéma sont pleines à craquer. Cela contredit tout le pessimisme actuel lié à la catastrophique fréquentation des salles. On a vu des jeunes, des très jeunes, des moins jeunes, parfois assis dans les travées de la salle, pour voir des films du patrimoine, des classiques restaurés, des films qu’on ne soupçonnait pas d’exister. Et fêter des grands noms du cinéma mondial. [scald=29563781:sdl_editor_representation] Cette année, c’était Tim Burton. Accueil monstre pour ce géant du 7e art contemporain. Sa tête hirsute de conteur fabuleux en grand dans toute la ville, son univers excentrique et merveilleux décorant les allées du métro. « A Lyon, il y a une vibration intense qui donne envie de créer. Est-ce que je peux venir vivre ici ? », lance le cinéaste de Burbank qui vit désormais à Londres. Masterclass, Prix Lumière remis par Monica Bellucci devant 3.000 spectateurs, émission en direct depuis la rue du Premier Film, conférence de presse, remake de La sortie des usines Lumière en trois versions, inauguration de sa plaque sur le Mur des cinéastes, présentation de toute une nuit burtonienne devant 5.000 fans… Le séjour lyonnais, acclamé par de nombreux fans au look burtonien revendiqué, fut intense en émotions pour ce cinéaste majeur à l’imaginaire débordant, interrogeant la normalité avec un ton décalé, savoureusement macabre et poétique. A cette occasion, il est revenu sur son parcours, ses relations avec Hollywood et les grands studios, son amour pour les monstres, sa relation particulière avec le cinéma d’animation et sa série Mercredi qui arrive le 23 novembre sur Netflix (et qui donne très, très envie, suite aux extraits qu’on a vus). En voici quelques morceaux choisis pour mieux approcher sa personnalité et son cinéma, même s’il dit : « Je ne suis pas un gros communicant, je veux laisser mon travail parler par lui-même. Aujourd’hui, on sait tout sur tout, j’aimerais garder un peu de mystère et de magie. » [scald=29563782:sdl_editor_representation] Le cinéma « J’ai grandi à Burbank, là où étaient les studios Warner, Disney, et je me réfugiais souvent dans l’obscurité des salles. Les films étaient ma forme de thérapie, d’exploration. Ils nourrissaient mes rêves, ma créativité. J’avais l’impression d’appartenir à quelque chose. J’ai un parcours tellement atypique que je ne suis vraiment pas la bonne personne pour donner des conseils, si ce n’est d’être passionné et de croire en son expression artistique. Ne réfléchissez pas trop, allez-y, utilisez votre passion pour créer. Un artiste doit toujours voir les choses à sa façon. Je ne peux pas m’en passer. Créer, c’est ce qui me permet de vivre. Avant, je créais dans la marge. Maintenant qu’on sait tout sur tout, je dois créer différemment. Je veux que mon prochain film soit vraiment important pour moi, ait du sens pour moi, donc je prends le temps. Je n’ai pas fait de film depuis un moment à cause de la pandémie, mais aussi à cause de la façon dont se dirige l’industrie du cinéma, vers le tout au streaming, depuis quelques années. Ce qui m’attriste. On devrait obliger tous les cadres de Hollywood à venir à Lyon, au Festival Lumière, et voir la réaction des gens dans les salles. Moi, cela m’a redonné espoir dans le cinéma et l’envie de refaire des films. Et pourquoi pas dans le cinéma indépendant ?! Car j’ai toujours travaillé avec les studios. Tout chez moi part d’une idée. Ensuite j’élabore comment et avec qui je le fais. » [scald=29563785:sdl_editor_representation] Les monstres « Je n’ai jamais vu les monstres comme des méchants. Ils ne me font pas peur. Pour moi, ils sont simplement différents. Enfant, ils étaient mon refuge, mon sanctuaire. C’est pourquoi ils sont au centre de mon cinéma. Petit, je voulais être Godzilla. Je voulais entrer dans l’un de ces costumes et détruire Tokyo. Je n’ai jamais eu peur des films de monstres, au contraire. Mon objectif était de devenir quelqu’un comme Mario Bava. Les films d’horreur Universal, même s’ils étaient faits en Amérique, étaient dirigés par des réalisateurs européens. Leurs univers renvoyaient à la fantaisie, aux contes de fées, aux fables, à travers des images graphiques fortes. J’ai toujours senti une connexion avec le cinéma japonais, italien et français. Cette dynamique cinématographique m’a emporté. Je m’identifiais aux âmes torturées. C’était une expérience cathartique. » Les grands studios et Disney « J’ai eu une carrière étrange parce que j’ai commencé dans l’animation chez Disney, puis j’ai réalisé quelques courts-métrages. Mais à partir de mon premier film, Pee-Wee Big Adventure, j’ai travaillé uniquement avec des studios. C’est une trajectoire bizarre car j’avais un esprit d’indépendance à l’intérieur des studios, j’ai su manœuvrer, je faisais en sorte qu’on me laisse tranquille à l’intérieur du système. Comme ils ne comprenaient pas vraiment ce que je faisais, ils me laissaient faire dans mon coin. Aujourd’hui, c’est différent. Prenons Disney, ils ne font plus que des Marvel ou des Star Wars, c’est donc plus difficile. Mais je reste convaincu qu’il est toujours possible de passer sous les radars et de faire des choses comme on a envie de les faire. Et non, je ne vais pas faire un Marvel. Vous me voyez faire un Marvel ?! J’ai déjà du mal avec mon univers, alors imaginez avec tous les multivers ! Quand j’ai commencé, il n’y en avait pas beaucoup comme moi. Au début, ils m’ont laissé faire, mais ensuite, tu deviens plus important et ils commencent à t’embêter. Ils vous traitent comme une sorte de marchandise par opposition à un artiste. J’ai eu du succès avec beaucoup de films, mais beaucoup de choses ont été rejetées. Les gens pensent que je peux faire ce que je veux, mais c’est devenu un peu plus difficile à un moment donné. Mon histoire avec Disney date d’il y a très longtemps. j’ai été embauché, viré, réembauché… Avec Dumbo, j’ai su que c’était sans doute la dernière fois que je travaillais avec Disney. Je me sentais comme Dumbo, avec l’envie de m’échapper de ce grand cirque dans lequel j’étais. » [scald=29563786:sdl_editor_representation] Johnny Depp « C’est un homme très différent de moi. Il vient d’une banlieue white trash, mais j’ai tout de suite senti qu’on allait s’entendre. J’ai senti qu’il était prêt à essayer de nouvelles choses. Il n’a jamais hésité à s’imposer des défis et c’est sans doute pour cela qu’on s’entend si bien. Il surprend toujours. Regardez dans Pirates des Caraïbes, les studios n’ont pas compris, du coup ils l’ont laissé faire. Un peu comme moi, à mes débuts. » [scald=29563783:sdl_editor_representation] Le cinéma d’animation « C’est dans mon cœur depuis toujours, surtout le stop motion. C’est mon vrai amour, ma façon très spécifique de m’exprimer. Enfant, j’avais du mal à communiquer. C’était plus facile pour moi de le faire d’une façon visuelle. C’est pourquoi je suis devenu qui je suis. Les animateurs sont d’étranges personnages. Rigolos mais ailleurs… » « Batman » « J’aime les personnages qui sont entre l’ombre et la lumière, comme Batman. J’ai besoin de cette dualité, autrement, je ne peux pas créer. Quand j’ai fait Batman Returns, on était arrivé à une époque où on multipliait les franchises. C’est sans doute pour cela qu’on l’a considéré différemment, qu’on l’a jugé trop noir et qu’on n’a pas su le présenter au public. Quand je vois le Batman d’aujourd’hui, je me dis que ce n’était pas si noir que ça ! » [scald=29563784:sdl_editor_representation] « Big Fish » « Ce film a été très important pour moi car mon père venait de mourir quand je l’ai tourné, et je n’avais pas une bonne relation avec lui, il y avait donc quelque chose de très émotionnel dans ce film-là. Marion Cotillard y est géniale. Elle est venue vivre six mois dans l’Alabama et pour ça, déjà, je dis bravo. Elle a un mystère et la puissance des stars des années 50. » « L’étrange Noël de mister Jack » « Faire du cinéma est un art collectif. Mes films sont comme mes enfants. Je les aime tous, même les plus moches. Mais celui que j’aime un peu plus car je l’ai fait exactement comme je le voulais, c’est L’étrange Noël de mister Jack. » La série « Mercredi » « Je n’avais pas envie de faire une série sur La famille Addams mais le personnage de Mercredi, c’est quelqu’un qui me ressemble beaucoup quand j’étais ado. J’avais le même point de vue qu’elle sur la société, l’école, les parents. J’aurais pu être Mercredi, c’est pourquoi j’ai voulu faire cette série. On a travaillé un an en Roumanie. Et j’en suis très heureux. La série compte huit épisodes d’environ une heure chacun. Ce n’est pas totalement terminé. Je travaille avec Danny Elfman pour la musique, bien sûr. Au début, on allait chez Netflix pour l’argent. Maintenant, c’est devenu un studio avec des cadres qui disent faites ci, faites ça. Ils sont devenus comme les autres. »

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