Brexit: «Les leaders européens ont été naïfs et dans le déni»

Vivien Pertusot est responsable de l’Institut français des relations internationales à Bruxelles. Il analyse les conséquences du Brexit pour le Royaume-Uni et l’Union européenne. Dans quel état se réveillent le Royaume-Uni et l’Union européenne ce matin ? Le Royaume-Uni se réveille très divisé. Il suffit de prendre une carte des résultats pour s’en rendre compte. On voit très clairement qu’il y a deux unions : l’Ecosse, ultra majoritairement pour le « remain », et l’Angleterre et le pays de Galles qui sont majoritairement pour le « leave », à l’exception des grandes métropoles dont Londres. Se dirige-t-on vers un éclatement du Royaume-Uni ? D’un point de vue territorial, le Royaume-Uni a un avenir limité. Il n’existera probablement plus tel qu’on le connaît dans dix ans. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, si je puis dire. Avant que l’Ecosse obtienne un nouveau référendum, il faut que cela soit validé par Londres. Et Londres aura d’autres priorités dans les prochains mois… Concernant une réunification de l’Irlande, c’est une vieille revendication du Sinn Fein, mais il faut prendre ce scénario avec des pincettes. Concernant Gibraltar enfin, c’est une épine dans le pied de l’Europe. Au-delà de ça, les partisans du « leave » n’avaient peut-être pas mesuré l’électrochoc que pouvait créer une sortie de l’UE. On voit déjà la réponse fracassante des marchés depuis 4h du matin. Cela n’est pas anodin. Cela va probablement durer et il va falloir le maîtriser. La Banque d’Angleterre va certes prendre les mesures nécessaires en urgence, mais il ne s’agit pas de mesures « naturelles », qui ont vocation à devenir perpétuelles. Sur le court terme, le Brexit risque de faire mal. Et l’Union européenne ? Opportunité ou catastrophe ? Elle est sonnée. Les leaderships européens et nationaux ont vécu dans un déni depuis la réélection de David Cameron, en pensant que les Britanniques n’allaient pas vraiment sortir de l’UE, qu’ils étaient trop rationnels pour prendre une telle décision et qu’il n’y avait pas besoin de se faire trop de souci. Au déni s’est ajoutée une part de naïveté, avec cette idée que l’Union européenne n’était pas faite pour que des pays la quittent. L’idée de déconstruction n’est pas dans l’ADN européen. Maintenant, elle doit réagir. Or, elle a montré face aux multiples crises qui la traversent actuellement qu’elle n’avait plus la capacité d’avancer solidairement… Pour certains, comme Paul De Grauwe, le Brexit pourrait constituer cet électrochoc qui relance le projet européen. Vous y croyez ? Pas trop. La situation est tout à fait particulière, avec deux crises majeures : la crise économique et celle des réfugiés. Elles touchent à peu près tous les Etats membres à l’exception… du Royaume-Uni. On va donc se trouver dans cette situation paradoxale où l’Union européenne va devoir gérer ces crises et parallèlement réagir au Brexit. Mais réagir comment ? Par un saut fédéral comme certains – Guy Verhofstadt par exemple – le souhaitent ? Si l’on prend les six pays fondateurs par exemple, les Pays-Bas ne sont pas du tout sur la même ligne que les autres sur en ce qui concerne la création d’un poumon, d’un noyau dur européen. D’autres pays, par contre, voudraient faire partie de ce petit groupe, mais n’en sont pas. Les acceptera-t-on ? Ils pourraient voir d’un très mauvais œil des initiatives à 6, qui leur donnerait encore davantage le sentiment d’être des Européens de seconde zone. Cette idée d’un électrochoc est donc très attrayante, mais elle est très difficile à mettre en œuvre, car on se trouve face à des problématiques très sensibles, sur lesquelles les Etats membres ne sont pas d’accord. Par ailleurs, les solutions à mettre en œuvre demanderaient du temps. Et on en manque. Par exemple parce que la France et l’Allemagne ont des échéances électorales en 2017. Enfin, il est loin d’être sûr qu’on parviendra à rallier l’ensemble des Européens à l’idée de grands projets d’intégration. [scald=1448167:sdl_editor_representation] L’euroscepticisme a gagné beaucoup de pays européens. Le Brexit peut-il amorcer un effet domino ? Je ne crois pas à la contagion de sorties de l’Union européenne. Par contre, il va y avoir une contagion de la critique européenne. Et c’est sain. Le projet européen n’est pas parfait. Il faut le critiquer. Mais ces partis, Le Pen et autres, ne représentent pas la majorité dans leurs pays. Et je pense que si l’on organisait un référendum du même type aux Pays-Bas ou en France, le « remain » l’emporterait. Pourquoi ? La critique de l’UE traverse quasi tous les Etats membres. Mais il n’y a pas une hostilité généralisée sur l’Union européenne comme c’est le cas en Angleterre. Je ne pense pas qu’il y aura un effet domino. Ni contagion, ni électrochoc. Quelle est la perspective alors ? La paralysie ? C’est le grand débat. Soit on saisit l’opportunité des négociations qui vont s’ouvrir avec le Royaume-Uni – qui vont prendre au moins deux ans – pour lancer un débat transnational sur les projets que l’on a envie de mener ensemble. Sans forcément changer les traités. Soit on rentre dans une forme d’apathie politique. Un trop-plein de crises. On ne voit pas qui peut ou veut prendre le leadership… Je suis régulièrement critique sur la relation franco-allemande au niveau européen. Ça peut être utile qu’ils se parlent. Mais ce n’est pas suffisant. Il est nécessaire pour la France comme pour l’Allemagne de prendre conscience de ce qu’est l’Europe du XXIe siècle : une Union où il n’y a pas que les pays fondateurs. Il serait extrêmement contre-productif qu’une initiative soit portée uniquement par ces pays. Il faudra certes l’Allemagne et la France, mais aussi, par exemple, un pays de chaque vague d’élargissement. C’est cette diversité qui reflète l’Union d’aujourd’hui.

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