Franz-Olivier Giesbert: «Les années 70 furent l’apothéose d’une période d’abondance»

Entretien L’an dernier, Franz-Olivier Giesbert s’est lancé dans une épatante Histoire intime de la Ve République, dans laquelle il opère un va-et-vient permanent entre les grands événements historiques français depuis 1958 et ses souvenirs personnels. Le deuxième tome, La Belle Epoque, vient de sortir, chez Gallimard. Il couvre les années 70, cette ère « Pompidou-Giscard » à la fois insouciante, bourgeoise et révolutionnaire, dont l’auteur a bien connu la plupart des acteurs, alors qu’il était journaliste au Nouvel Observateur. Vous dites détester entendre dire « c’était mieux avant » mais il n’empêche qu’à vous lire, les années 70, « c’était le bon temps » – et vous n’êtes pas le seul à le dire. Pourquoi ? Fondamentalement, parce que, suite au plan de redressement « Pinay-Rueff » de 1958, la France a connu une très forte croissance. Elle a été brisée par le premier choc pétrolier en 1973 mais il y a eu un redressement, jusqu’au deuxième choc pétrolier, en 1979, qui a été suivi par un nouveau redressement. En fait, on se rend compte que malgré ces deux chocs pétroliers, la France a réussi à surmonter les difficultés. C’est fondamental, parce qu’il y avait forcément une forme d’optimisme, que vous ne trouvez pas dans les moments de récession. Les années 70 sont une sorte d’apothéose d’une période d’abondance. Et on sent par ailleurs arriver à cette époque les germes de tous les questionnements que nous connaissons aujourd’hui, autour de la décroissance, de l’écologie, etc. Comme Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing (VGE) fut ministre de Charles de Gaulle. Mais, une fois élu à la présidence de la République, en mai 1974, il n’a pas suivi le conseil que lui avait donné le général, à savoir garder de la hauteur, de cultiver un certain mystère. A vouloir être trop proche des Français, il s’est lancé dans « un long processus d’autodestruction », écrivez-vous… Giscard est un cas tout à fait passionnant. A la fin de sa vie, l’historien Max Gallo a dit que c’était le plus grand président de la Ve République avec de Gaulle. A priori, Gallo n’était pourtant pas giscardien (il fut porte-parole du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy, NDLR) mais il lui reconnaissait une capacité à réformer, à moderniser, à faire les choses rapidement, etc. Et je pense qu’effectivement, il aurait pu être un très grand président. Il y avait un seul problème : c’est sa personnalité. Il avait une personnalité étrange, loin des réalités. Il ne comprenait pas les gens. Il a commis de grandes maladresses, qui lui ont coûté très cher. Il n’y avait aucune raison qu’il soit battu par Mitterrand en 1981, les législatives de 1978 avaient été gagnées haut la main, etc. Mais il n’a pas réussi à se rabibocher avec Chirac, et puis il y a eu « l’affaire des diamants » (le dictateur centrafricain Jean-Bedel Bokassa lui aurait remis une plaquette de diamants de 30 carats en 1973, alors que VGE était ministre des Finances de Pompidou, NDLR), qu’il a prise de haut. Il n’a plus jamais trouvé les moyens de s’expliquer, alors que ce n’était quand même pas l’affaire du siècle. Même s’il n’était pas gaulliste, Giscard est sans doute le président qui s’est le plus inspiré de De Gaulle mais, comme disait Pompidou, son problème, c’était le peuple. Il était gauche. Il ne savait pas comment faire, comment s’y prendre. Il était gauche avec tout le monde d’ailleurs. Même quand on le voyait en privé, ce qui m’arrivait souvent. C’était quelqu’un qui pouvait sortir une blague pas drôle, une deuxième blague pas drôle et tout le monde se regardait et essayait de rire par politesse… Mais avec ça, très intelligent. Et puis, ce qui est important, c’est que si vous regardez bien, en 1981, il a laissé à Mitterrand une France avec pratiquement pas d’endettement ni de déficit budgétaire. Tout ça était bien géré. Et c’est ça aussi qui fait la différence avec aujourd’hui. Aujourd’hui, en France, on croule sous les déficits, la mauvaise gestion, les dépenses publiques qui ne cessent d’augmenter. On voit que c’est un système qui est à bout. Puisque vous l’évoquez : êtes-vous de ceux qui plaident pour une nouvelle Constitution, pour une VIe République ? Non, c’est une stupidité sans nom ! Le problème de la France, c’est la classe politique, qui n’a pas le niveau qu’elle avait naguère, qui rase les murs. C’est la coupure avec une partie de la population, qui est laissée pour compte, qui est abandonnée. C’est l’économie, avec la désindustrialisation. C’est l’Education nationale qui est en crise. C’est le sentiment d’insécurité. Et cætera. Ce sont ces problèmes qu’il faut régler. Et tout ce que trouvent à dire un certain nombre de politiciens, c’est que l’urgence, c’est de refaire la Constitution… Pour moi, l’urgence, c’est plutôt de réparer les erreurs qu’on a commises en réformant la Constitution. Et la première erreur, ce fut la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Ce faisant, on a américanisé le système français, qui fait qu’aujourd’hui, on en vient à se demander s’il faut garder un Premier ministre. On a perverti complètement l’essence de la Ve République, qui était un aigle à deux têtes, avec un président qui présidait, qui assurait une continuité, et un Premier ministre qui gouvernait. De Gaulle s’occupait de la France et Pompidou s’occupait des Français. Là, on a un Président qui préside et qui gouverne, qui est au four et au moulin, et on voit très bien que le système ne fonctionne pas. Dans votre livre, vous évoquez aussi des personnalités, des « stars » de l’époque, que vous avez bien connues. Ainsi, vous aimiez beaucoup Simone Veil mais en revanche, vous détestiez Jean-Paul Sartre. Pourquoi ? Simone Veil défendait un certain nombre de causes avec force, comme l’Europe ou la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG, NDLR). A l’époque de la loi sur l’IVG (adoptée le 17 janvier 1975), j’étais au Nouvel Observateur et j’ai suivi avec une grande sympathie son combat à l’Assemblée nationale, contre une grande partie de la majorité de l’époque, qui a souvent été odieuse avec elle. C’est une page forte de l’histoire de France. Simone Veil était une guerrière. Après, on s’est un peu détachés, mais c’est vrai que je l’aimais beaucoup. [scald=29567702:sdl_editor_representation] Jean-Paul Sartre, je l’ai connu lui aussi, on le voyait au Nouvel Observateur. Mais pour moi, il incarnait une certaine fausseté. C’est quelqu’un qui n’a pas été très courageux pendant la Deuxième Guerre mondiale, c’est le moins qu’on puisse dire. En 1944, Sacha Guitry a été arrêté et brièvement emprisonné par le Comité d’épuration pour avoir fait jouer ses pièces devant un parterre d’officiers allemands, mais Sartre a fait la même chose et on aurait pu lui demander des comptes également. Mais il s’est rapproché des communistes pour se protéger. Et puis il est allé de plus en plus loin, il est devenu de plus en plus radical – c’est ce qu’Albert Thibaudet appelait le « mouvement sinistrogyre » –, jusqu’à lancer un appel au meurtre des colonisateurs dans sa fameuse préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon, jusqu’à faire l’éloge de la violence à travers la Terreur dans Critique de la raison dialectique ou, à la fin de sa vie, à encenser le maoïsme… Sartre a écrit un livre magnifique sur son enfance, Les Mots, il parlait bien, ça faisait des interviews qui fonctionnaient, mais il ne faut jamais oublier qu’il a fait l’apologie des régimes les plus criminels de l’histoire de l’humanité. [scald=29567726:sdl_editor_representation] La Belle Epoque, Franz-Olivier Giesbert, Gallimard, 400 p, 22 €. [scald=29567703:sdl_editor_representation] [scald=29567753:sdl_editor_representation]

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