La découverte de Toutankhamon inspire toujours l’égyptologie belge

Cent ans se sont écoulés depuis la découverte du tombeau de Toutankhamon par Howard Carter, et tous ses mystères n’ont pas été percés »… Voilà ce qu’affirmait récemment l’archéologue égyptien Hazi Hawass au Soir, évoquant le flou qui continue à entourer les circonstances de la mort du jeune pharaon. Toutankhamon, c’est le Graal. La formule a beau être empruntée à la légende médiévale du roi Arthur, aucune autre ne convient mieux pour qualifier l’incroyable découverte réalisée dans la Vallée des Rois le 4 novembre 1922 par le Britannique Howard Carter, au cours d’une mission archéologique de la dernière chance concédée par son mécène Lord Carnarvon. Un fabuleux trésor les attendait autour du sarcophage de Toutankhamon. De l’or, de l’ivoire, de l’albâtre. Un masque funéraire d’une beauté et d’une richesse inédites. Mais aussi des milliers d’objets relevant de la vie quotidienne qui allaient être patiemment répertoriés par Carter dans les années suivantes. Ils devaient doper le développement de l’égyptologie tout en attisant la curiosité du public. « Allez savoir pourquoi : les Belges comme tant d’autres sont passionnés par l’Egypte ancienne », explique Arnaud Quertinmont, au musée de Mariemont. L’exposition « Egypte, éternelle passion » qui se tient jusqu’au 16 avril prochain atteste de cet intérêt qui doit en partie à un très vieux mysticisme. « Dès l’Antiquité, les dieux égyptiens se sont taillé une part de marché en nos contrées, grâce aux Romains qui assimilaient et promouvaient les divinités des terres conquises avec le zèle que l’on sait », explique le conservateur. Jean Capart, le « père fondateur » A la KULeuven, Yann Tristant vit un rêve éveillé. Après avoir beaucoup bourlingué, ce spécialiste français de la protohistoire égyptienne a décroché l’an dernier un poste de professeur associé au département d’archéologie de l’université flamande. « La Belgique, assure-t-il, est un haut-lieu de l’égyptologie depuis cent ans. La richesse de ses collections muséales est impressionnante. Et pas moins de cinq de ses universités pratiquent cette discipline au premier rang. Autant qu’en France. La seule différence, c’est le nombre de projets engagés sur le terrain ». Cette notoriété a été longuement bâtie par Jean Capart, le « père » de l’égyptologie belge. Evoquer le nom de Jean Capart dans le milieu, c’est en appeler au sacré. L’admiration se lit dans tous les yeux. Le portrait du « patron » s’affiche dans la salle d’étude où l’on rencontre Luc Delvaux, conservateur aux Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles. « Capart était un visionnaire », résume-t-il. « Il nourrissait une ambition extraordinaire en comparaison des moyens dont il disposait à l’époque. Elle fera de la Belgique des années 20 le centre de l’égyptologie. » L’histoire est connue. Jean Capart a commencé à donner des conférences à 15 ans. A 25 ans, il est titulaire de la première belge d’égyptologie à l’université de Liège. Il a 46 ans et une déjà longue carrière de chercheur derrière lui lorsqu’il débarque sur la rive ouest de Louxor en compagnie de la reine Elisabeth et du futur Léopold III. Carter et Carnarvon ont tenu à ce qu’ils soient présents pour la cérémonie d’ouverture officielle de la chambre funéraire de Toutankhamon. Capart en repartira avec le soutien de la souveraine. Il créera une société savante – la « Fondation égyptologique Reine Élisabeth » – qui contribuera à faire de Bruxelles la capitale européenne de l’égyptologie et de la papyrologie. [scald=29573423:sdl_editor_representation] Ce niveau d’excellence ne s’est jamais démenti. La bibliothèque de l’Antiquité des Musées royaux d’Art et d’Histoire reste aujourd’hui l’une des plus riches au monde ces matières. « Rien ne manque jusqu’aux années 70 ». Jean Capart a notamment fait en sorte que le musée souscrive aux fouilles anglaises de l’Egyptian Exploration Society. « A l’époque, la législation prévoyait que la moitié des objets découverts lors des fouilles iraient à l’Egypte, et l’autre moitié aux souscripteurs. Résultat : les Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles recèlent aujourd’hui plus ou moins 20.000 objets égyptiens. Soit une collection cinq fois moins abondante que le Louvre, mais plus intéressante car la majorité des objets ici sont bien identifiés », détaille Luc Delvaux. Ils constituent une base de données exceptionnelle qui continue à attirer des chercheurs venus du monde entier au Cinquantenaire. Le temps de la collectionnite est toutefois révolu. Le Musée n’achète plus. Les pièces proposées à la vente sur le marché des antiquités atteignent des sommes souvent très élevées. « Et il y a déjà tant à étudier avec ce que nous avons rassemblé depuis un siècle ». Et puis, il y a le risque de recel : le conservateur attend donc du vendeur qu’il fasse la démonstration sans faille de l’origine de l’objet. « Il faut un pedigree impeccable », tranche Luc Delvaux. « Au risque d’avoir de mauvaises surprises ». Trafic d’antiquités La question est sensible. Les égyptologues hésitent entre la peste et le choléra lorsqu’ils évoquent le trafic illégal d’antiquités – égyptiennes et autres – qui a cours à Bruxelles (lire ci dessous) comme dans d’autres capitales occidentales. Ce business juteux fait l’objet de saisies régulières, mais insuffisantes selon le milieu scientifique amené à expertiser les pièces confisquées. A l’ULB, Laurent Bavay se montre ferme. « Pas de contact avec le marché de l’art, dit-il. Je le refuse. La majorité des objets relève soit de pillage, soit de collections anciennes dont l’origine est discutable ». Il ajoute : « Le marché des antiquités devrait être interdit ». Au-delà de la lutte contre le trafic d’antiquités s’impose la nécessité de rester crédible face aux autorités égyptiennes en permanence sur le qui-vive. Sans leur aval, aucun coup de pioche n’est possible. Tout espoir de trouver un autre Toutankhamon s’envole. Aujourd’hui, les Belges continuent à mener plusieurs chantiers de fouilles au pays des pharaons, en collaboration comme il se doit avec des Egyptiens. A El Kab (Haute Égypte), la concession belge octroyée à Jean Capart, où travaille toujours l’Association Égyptologique Reine Élisabeth – nouveau nom de la Fondation – et les Musées royaux d’Art et d’Histoire ; A Dayr al-Barsha, un village copte de Moyenne Égypte (Harco Willems, KULeuven). Dans la nécropole thébaine, sur la rive occidentale du Nil face à Louxor, où l’ULB (Laurent Bavay) et l’ULiège (Dimitri Laboury) fouillent depuis plus de 20 ans ; ainsi que dans la nécropole de Denderas où Yann Tristant (KULeuven) travaille en collaboration avec l’Institution française d’archéologie orientale (IFAO). Il existe par ailleurs un Nederlands-Vlaams Instituut au Caire qui accueille les étudiants et soutient les missions archéologiques. Il n’est toutefois pas reconnu par les autorités égyptiennes qui ne s’adressent qu’aux Etats, et non à une région comme la Flandre. « Quand on cherche... » « En Egypte, quand on cherche, on trouve forcément », répètent les égyptologues. Toutes ces fouilles ont amené leur lot de découvertes. Dans la métropole thébaine, pour ne citer qu’elle, l’équipe ULB/ULiège a exhumé des milliers d’objets qu’il faut à présent inventorier. « Ils nous permettent d’en savoir plus sur ce cimetière de centaines de tombes qui s’est développé durant le Moyen-Empire (2300-1710 av JC) mais a continué à vivre par la suite. Les Pères du désert s’y installeront dans l’Antiquité tardive. Ces travaux visent à comprendre l’organisation et la forme des tombes, et ce que ces monuments sont par la suite devenus ». Le prisme de la recherche a changé. Les aventuriers ont rangé leur stetson. « On ne fouille pas par plaisir, mais en posant un problème scientifique et un questionnement. Et en pensant qu’un site particulier va participer à leur donner une réponse », postule Laurent Bavay tout en se félicitant du soutien financier que le FNRS apporte aux chercheurs belges dans un domaine où l’argent a un rôle fatalement important. Parfois, la chance est au rendez-vous. En 2012, l’équipe ULB/ULiège a découvert les fondements d’une pyramide ramesside en briques crues de 10 mètres de côté pour une hauteur estimée de 15 mètres. AU XIIIe siècle avant JC, elle a été construite à proximité de la tombe de Khay, un vizir de Basse et Haute Egypte qui a œuvré pour le pharaon Ramsès II. L’activité de ce haut dignitaire était bien documentée, mais la localisation de sa tombe restait jusque-là un mystère. Pendant longtemps, seuls les grands monuments pharaoniques ont intéressé les égyptologues. Ils avaient pourtant une solide tare : tous ont été pillés jusqu’au début du XXe siècle, moment où les autorités ont mis le holà. D’où, rappelons-le, tout l’intérêt de la tombe de Toutankhamon qui a pour l’essentiel échappé au pillage pendant plus de trois millénaires. Aujourd’hui, les mêmes monuments sont abordés dans un continuum, le sort qui leur a été réservé au-delà de leur destination funéraire étant partie de leur histoire. Egyptomanie Tout archéologue rêve bien sûr de trouver son Toutankhamon. La tombe de Ramsès VIII reste à découvrir. Elle est la seule, de tous les pharaons de la XXe dynastie à ne pas avoir été identifiée dans la Vallée des Rois. Mais la découverte la plus extraordinaire consisterait sans doute à révéler l’emplacement du tombeau de Cléopâtre VII, s’il existe. Elle serait à n’en pas douter servie par le destin tragique de cette reine du Ier siècle avant Jésus-Christ, enjeu des passions politiques et sentimentales de son temps. L’Egypte ancienne passionne depuis plus de 2.000 ans. Même si l’égyptologie s’est trouvé une rigueur avec la découverte du tombeau de Toutankhamon et la précision que mit Howard Carter à l’inventorier, l’intérêt du public reste intact. Grandeur des monuments, signes mystérieux, dieux multiples et parfois obscurs, tout concourt à ce parfum de mystère qui reste le meilleur allié des autorités égyptiennes dans leur volonté de mettre cet extraordinaire patrimoine au service du tourisme et du pays. Florence Doyen, l’enthousiaste ambassadrice de l’ASBL Egyptologica, explique que « par quelque bout qu’on le prenne, le monument égyptien est pensé pour faire sens. Un sens qui nous dépasse et dépassait les Egyptiens de l’époque. Car la première tâche du Pharaon était de conserver le monde reçu des dieux dans son ordre politique, cosmique, cyclique. Par ses textes sacrés, le monument donne à voir et à appréhender un monde qui fonctionne grâce au souverain. » A époque où les crises se succèdent, un peu d’ésotérisme peut vous rendre le moral. L’Egypte ancienne n’a pas livré tous ses secrets, en dépit du nombre de missions qui ont fouillé son sable égyptien depuis le décodage de la pierre de Rosette par Champollion en 1822. Il reste des siècles à sonder comme les « périodes intermédiaires » qui séparent les Ancien, Moyen et Nouvel Empires. Des lignées dynastiques à préciser. Et des territoires entiers qui n’ont pas « parlé » parce que le Nil a régulièrement fait le ménage. [scald=29573450:sdl_editor_representation]

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