Adrien Albert, Fauve de la littérature jeunesse

Lire un album d’Adrien Albert, c’est comme boire un bubble tea au sommet de la tour Eiffel ou faire des plongeons dans une piscine de grenadine. Bref, embarquer pour une aventure exubérante et jubilatoire. Prendre son goûter en apesanteur dans un vaisseau spatial ( Papa sur la lune ), faire le ménage avec une grand-mère aux allures de Hulk ( Chantier chouchou debout ), être poursuivi par un tyrannosaure puis englouti par la gueule béante d’un monstre avant de se rassurer avec une bonne vieille barbe à papa (Le train fantôme) : Adrien Albert est aux livres pour enfants ce que David Bowie était à la musique, une liberté folle au service d’un art psychédélique et tendre à la fois. Avec ses couleurs vives, son trait de plus en plus adepte de la démesure, ses intrigues à la fois cristallines et un peu branques, l’auteur et illustrateur nous fait penser aux Fauves dans la peinture du début du XXe siècle. Sauf que ses influences à lui croisent allègrement les tableaux de la renaissance italienne et Akira Toriyama, le créateur de Dragon Ball. Né à Nantes, Adrien Albert a fait tous les métiers – métallurgiste, vidéaste, majordome, cuisinier, brûleur de meubles – avant de se consacrer aux livres pour enfants, devenant l’une des griffes graphiques phares de l’Ecole des Loisirs. « J’ai d’abord fait trois ans de droit puis les beaux-arts », explique l’artiste français. « Je voulais gagner ma vie en dessinant mais ça ne s’est pas fait tout de suite, d’où la ribambelle de petits boulots pour tenir, en attendant. » C’est peut-être cette trajectoire hétéroclite qui confère aujourd’hui une certaine iconoclastie à l’œuvre de celui qui était récemment invité en résidence au Wolf, douillette maison de la Littérature de jeunesse sise en plein centre-ville bruxellois. Un mélange de joie et de mélancolie C’est là, entre deux rencontres et autres master class, que l’auteur et illustrateur nous a donné quelques clés pour cerner son fascinant répertoire, dans lequel on peut encore citer Au feu Petit Pierre , Claude et Morino, Notre Boucle d’Or . « J’ai commencé à dessiner au Museum d’histoire naturelle, aux côtés d’une chercheuse qui étudiait les oreilles internes des marsupiaux. » Du dessin naturaliste, le jeune homme passe bientôt au dessin de presse tout en s’échinant à expérimenter tous les styles. « Le dessin, c’est comme le sport ou la musique, ça se travaille. Alors, à l’époque, je me suis mis à illustrer un bestiaire chinois mythologique. J’avais 25 ans, pas d’enfants autour de moi mais il m’a semblé que ça pourrait intéresser des éditeurs jeunesse. J’ai présenté le bestiaire à l’Ecole des Loisirs qui a décliné mais, sans doute par politesse, m’a encouragé à continuer. Parce j’étais tellement désespéré pour travailler, j’ai pris cette réponse comme une commande. » C’est alors qu’il crée Seigneur Lapin , inspiré d’un livre d’heures du Moyen Age. Editrice à l’Ecole des Loisirs, Anaïs Vaugelade flashe mais lui fait tout refaire. « C’était des mois de travail, et j’apprenais à chaque étape. Ce fut une rencontre décisive avec Anaïs Vaugelade. Si elle avait fait du papier peint, j’aurais fait du papier peint. Elle vous tire, vous fait grandir. » Vient ensuite le magnifique Simon sur les rails , histoire d’un lapin qui veut faire une visite surprise à son frère mais, train annulé oblige, va trouver en lui d’inattendues ressources. On y trouve déjà sa patte épurée, ce mélange de joie et de mélancolie, et une intrigue en apparence ténue mais qui porte en elle des sentiments immenses, des liens affectifs très forts. Un livre comme une maison de poupée Comme dans Chantier Chouchou Debout , son dernier livre : « Au départ, j’imaginais un week-end chez une grand-mère, un tête-à-tête, une complicité qui ne s’exprime pas de prime abord. Quand j’étais petit, les adultes autour de moi étaient très pudiques et exprimaient difficilement leurs émotions. C’est le cas ici de cette grand-mère revêche mais dont la tendresse s’exprime en un regard, quand sa petite fille dort. » Cette grand-mère robuste, capable de soulever toute une maison lorsqu’il s’agit de faire le ménage, Adrien Albert entend bien lui faire vivre d’autres aventures. « J’aimerais explorer cette idée de superpuissance, mais aussi le plaisir de l’action pure, dans un style à la Mission impossible ou les films de Spielberg. Je cherche à provoquer une jubilation dans la lecture. Pareil pour la couleur, j’ai envie que ça pète, que ce soit généreux. » Pour Chantier Chouchou Debout , l’artiste s’est nourri aussi bien des tableaux de l’Américaine Georgia O’Keefe que de Giotto. « Je voulais un livre qui soit comme une maison de poupée où l’on voit l’intérieur des pièces, un livre comme une boîte où les personnages s’accumulent et tombent. Dans cette idée de maison jouet, de jeu sur les perspectives, j’ai beaucoup regardé Giotto. » S’il est fan de Maurice Sendak – « J’aime sa politesse, sa manière de se placer par rapport aux enfants, sa distance » –, Adrien Albert préfère les pas de côté, puisant l’inspiration non pas dans la littérature jeunesse, mais dans le cinéma ou la peinture. Celle de Degas par exemple, qu’il adore. « Quand Anaïs Vaugelade m’a parlé d’images narratives, j’ai aussi pensé à la peinture religieuse du XVe siècle, les scènes de la passion par exemple. Cette économie de moyens, dans des tableaux où il s’agissait de raconter la Bible à des illettrés, j’ai l’impression que mon approche, avec les enfants, n’est pas si éloignée. » [scald=29563940:sdl_editor_representation] Chantier Chouchou Debout (3 à 6 ans), Adrien Albert, Ecole des Loisirs, 38 p, 13 euros [scald=29563950:sdl_editor_representation] Au Feu Petit Pierre (6 à 8 ans), Adrien Albert, Ecole des Loisirs, 36 p, 13 euros [scald=29563951:sdl_editor_representation] Notre Boucle d’or (3 à 6 ans), Adrien Albert, Ecole des Loisirs, 36 p, 13 euros

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