Cinéma, live streams, métavers: les concerts passent au virtuel

Indochine amène enfin son Central Tour en Belgique. Deux dates sont déjà complètes, d’où l’ajout de trois autres. Petit détail, cependant, cela se passe au cinéma. Filmé par vingt-deux caméras Imax au stade de Lyon, la tournée célébrant les quarante ans du groupe français se déploie désormais dans les salles obscures, dans un spectacle son et vision comme si vous y étiez. Ou presque. Des concerts au cinéma ? La formule, qui s’est accélérée avec la pandémie de covid-19, s’inscrit dans une tendance plus large, celle de la révolution digitale, des live streams au métavers. [scald=29645896:sdl_editor_representation] C’est peu dire que la pandémie a chamboulé l’industrie du cinéma et celle de la musique live. Alors que le monde et les secteurs s’arrêtaient, le seul semblant de solution est venu des écrans d’ordinateurs : les live streams se sont développés côté musique en même temps que la VOD s’est imposée pour les cinéphiles. La réouverture n’a pas remis tout cela au placard. Tant du côté du live que du cinéma, la reprise est en demi-teinte. En deux ans, les habitudes ont changé. Eddy Duquenne, patron du groupe Kinepolis, nous avouait en septembre dernier que si les blockbusters fonctionnent toujours bien, « les films de moindre envergure ont du mal à trouver leur place. Les organisateurs de concerts ont le même problème. J’ai entendu les exploitants du Sportpaleis d’Anvers qui disaient que pour un gros concert avec un artiste prestigieux, ils étaient sold-out directement. Mais les autres concerts font 65 % de remplissage. C’est pareil au cinéma ». [scald=29645895:sdl_editor_representation] Nouvelle économie Cinéma et concerts, même combat ? En même temps que s’imposaient les écrans, une nouvelle économie est née, balbutiante, certes, mais bien réelle. En 2020, aux Etats-Unis, les concerts virtuels ont rapporté 610 millions de dollars. C’est peu par rapport aux 3 milliards de manque à gagner dus au covid en Europe, mais c’est plus que ce que rapportent aujourd’hui les téléchargements. Du côté des salles de cinéma, l’heure est à la diversification. Le défi étant d’inciter le public à quitter son fauteuil pour venir voir un film… ou autre chose : « L’avenir, c’est un cinéma d’expérience, dit Eddy Duquenne. On remarque que les gens sont prêts à payer pour plus d’expérience ». Il ajoutait, en janvier 2021 : « Regarder un concert sur un écran géant avec le son de nos salles, c’est une expérience incroyable. On propose déjà des opéras qui comptent pour 1 % des ventes de tickets, mais 2 % du box-office parce que les prix sont plus élevés. On sait qu’il y a un intérêt pour les concerts pop. C’est un filon à creuser ». [scald=29645897:sdl_editor_representation] En 2022, le filon est creusé. Les concerts s’invitent au cinéma. Il y a plusieurs formules : le film du concert sur grand écran, classique ou en format Imax, son écran de 45 mètres, son système son immersif – c’est ce qu’Indochine propose. Ou les live streams, soit les concerts en direct depuis l’autre bout du monde et retransmis dans des salles obscures. L’avantage est double : pour le groupe, cela permet de toucher des millions de personnes au même moment et d’ajouter une manne de revenus pour un seul concert. Pour les salles, compenser l’érosion des cinéphiles en offrant une expérience nouvelle pour les mélomanes. En reprenant l’exemple d’Indochine (concert différé en version Imax), le prix du billet coûte 21 euros. C’est moins cher qu’un ticket de concert, mais deux fois plus cher qu’un ticket de cinéma normal. En clair, les concerts au cinéma offrent une nouvelle source de revenus pour les groupes musicaux comme pour les salles de cinéma. Et pour le fan fauché, c’est une manière de vivre un concert à moindre prix. [scald=29645898:sdl_editor_representation] Les concerts sont devenus un luxe Car il y a une autre conséquence du covid – et de la guerre : après deux ans de disette, les artistes ont besoin de se refaire et les coûts d’une tournée ont drastiquement augmenté. Résultat, depuis la reprise, les prix des concerts ont bondi. Pour un grand nom, il faut désormais compter 70 à 100 euros minimum. Et on ne parle pas des concerts dans les stades où est la norme est plutôt 150 à 200 euros. En somme, les concerts pop deviennent des sorties de luxe. Or, l’expérience n’est pas toujours à la hauteur du prix déboursé. Véronique se souvient avoir passé le concert d’Orelsan au Palais 12 sur la pointe des pieds à essayer de trouver une ouverture pour voir quelque chose de la scène lointaine. Quant à Damien, qui était enthousiaste à l’idée de voir Rammstein au stade Roi Baudouin, il a fini par se résoudre à regarder le spectacle, pourtant méga, à travers les téléphones des autres. Pour lui, c’est décidé : « Plus jamais de concert dans un stade ! » Dans ces conditions, les concerts au cinéma, particulièrement les live streams, peuvent être une alternative. Mais peut-on vraiment comparer le fait d’être assis en tribune entouré de 80.000 personnes et dans un cinéma avec une centaine de fans ? Quid de l’ambiance ? Il y a quelques semaines, Coldplay retransmettait en direct dans des cinémas du monde entier son concert à Buenos Aires. Réaction du Canada : « J’ai adoré l’ambiance dans la salle. Les gens chantaient et tapaient des mains comme si on y était ». Depuis le Chili : « Pareil ici, l’expérience était incroyable, même si on n’était pas sur place. Etre connecté avec les autres fans, pleurer et chanter ensemble, c’est un des meilleurs concerts que j’ai vus ! » Pour quatre fois moins cher… [scald=29645899:sdl_editor_representation] Bienvenue dans le monde virtuel Ces concerts virtuels vont-ils sonner le glas des concerts « vivants » ? Ou s’agit-il d’une nouvelle expérience ? Cette tendance s’inscrit en tout cas dans un mouvement de fond vers le tout numérique. Aujourd’hui, la génération Z est déjà, naturellement, dans le monde virtuel. Il faut les voir à un concert de Kendrick Lamar, ils vivent l’expérience autant en chantant qu’en la partageant sur Instagram, à travers leur téléphone. De là, le pas est vite fait vers le live stream, mais aussi le métavers et la réalité virtuelle. Plusieurs artistes ont déjà fait ce pas. Travis Scott avait affolé internet en envoyant son avatar sur Twitch et Lil Nas X a récemment fait de même sur Roblox. Il faut comprendre ces performances comme des live streams à valeur ajoutée. Imaginez que vous êtes plongé dans un jeu vidéo et que vous assistez, accompagné de nombreux autres joueurs dans ce monde parallèle, à un concert d’une de vos idoles qui se présente, devant vos yeux, plus grande, plus belle, plus impressionnante que nature. Mais s’agit-il vraiment d’un concert ? Clairement, on est dans autre chose. Quoique. [scald=29645894:sdl_editor_representation] Jean-Michel Jarre a développé son propre monde virtuel pour accompagner son nouvel album Oxymore. Lui parle de « e-concerts » pour définir cette nouvelle expérience. Et il en est persuadé, « les concerts en réalité virtuelle n’excluent pas du bonheur d’être épaule contre épaule dans le monde réel. Je pense que la VR et le métavers sont exactement dans la même situation que le cinéma à ses débuts. Le cinéma est devenu l’art majeur qu’on connaît et il n’a pas remplacé le théâtre. C’est la même chose pour la VR, c’est quelque chose qui va s’ajouter au spectacle vivant et qui va même le renforcer ». Il ajoute : « On oublie qu’il y a une dimension sociale forte dans la réalité virtuelle. Pour les gens qui sont isolés géographiquement, c’est une opportunité de pouvoir se connecter et partager une émotion avec un autre public. Et ça, c’est indissociable d’un concert dans la vie réelle ». 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