Christian Grataloup: «Face au carbone fossile, soyons des pessimistes actifs»

L’Atlas historique de la Terre dirigé par Christian Grataloup permet de mieux comprendre l’évolution de la planète. Il propose une foule de données et de cartes sur un mode pédagogique. Si le vaste processus d’altération entrepris consciemment ou non par l’homme s’est accéléré depuis deux siècles, il a des racines bien plus lointaines que cet ouvrage explore tout en donnant des pistes pour le futur. Lorsque nous pensons à la Terre, au climat et à la biodiversité, nous pensons le présent et l’avenir. Que peut nous apprendre un atlas historique en cette matière ? La finalité d’un tel travail est de montrer que tous les problèmes que l’on situe dans le présent ont une histoire longue, ou plutôt des histoires qui s’emboîtent, certaines s’étalant sur des millions d’années, d’autres sur quelques siècles seulement. Elles concernent à la fois des zones intertropicales, tempérées, etc. et des usages qui peuvent différer. Le tout aboutit à la construction d’un monde qui a ses particularités, notamment entre le Nord et le Sud. Cet atlas permet notamment de voir qu’il y a des temps longs opposés à des périodes d’inertie dans les domaines climatiques et géologiques. Et aussi, parfois, des phénomènes très rapides dans le domaine biologique. Selon l’Israélien Yuval Harari, le malheur du monde trouverait son origine dans l’agriculture et l’élevage qui marquent l’entrée dans le néolithique autour de 10.000 ans avant Jésus-Christ. Les données que vous avez rassemblées corroborent-elles ce « péché originel » ? Parler en termes de faute, de péché ou d’âge d’or, n’a pas grand sens car les faits sont là. Le processus de révolution agricole a eu lieu, la croissance démographique a été accentuée. Si ce phénomène s’est produit en plusieurs parties du monde simultanément, c’est bien parce qu’au paléolithique supérieur (de -40000 à -9500), la population humaine avait déjà fortement augmenté. Le processus est donc ancien. Il est à peu près sûr que, pendant la dernière période glaciaire qui va jusqu’au néolithique, la croissance démographique s’est faite lentement, mais régulièrement. Elle a abouti à former des groupes humains à la fois plus stables et plus sédentaires. Plus nombreux, ils ont eu besoin de l’agriculture de façon probablement inévitable. De là à parler de faute… La faute à qui ? Faut-il dresser un bilan comptable en termes de bien et de mal ? En tout cas, je ne suis pas convaincu que le mode de vie paléolithique serait aujourd’hui le plus adapté à la plupart des humains, même si on était beaucoup moins nombreux. La température augmente. Les émissions de gaz à effet de serre sont pointées comme à l’origine d’un phénomène qui menace toute la planète. Le point de bascule de cette mutation, ce fut la révolution industrielle ? Le grand coupable généralement pointé, c’est effectivement la révolution industrielle. Mais faut-il remonter en 1784 avec la machine à vapeur ? Ou se référer au développement des énergies fossiles ? Aux manipulations génétiques, comme disent certains ? Une variante est le « plantationocène » qui consiste à pointer la création d’un monde Nord-Sud dès le XVe siècle, moment où les Européens ont profité des plantations dans les régions tropicales pour se procurer ce qu’ils ne pouvaient obtenir chez nous. Mais effectivement, la révolution industrielle avec le recours au carbone a engendré des effets immédiats sur la dégradation de notre environnement. Mais elle s’inscrit, comme le néolithique, dans un processus beaucoup plus large. Cela dit, aucune des neuf strates chronologiques n’est actuellement terminée. On peut espérer que l’on verra rapidement la fin de celle du carbone fossile. Donnons-nous les moyens. Ne soyons pas pessimistes. Ou, à tout le moins, soyons des pessimistes actifs. La Terre accueille depuis le 15 novembre huit milliards d’êtres humains. Nous serons 11 milliards en 2100, selon certaines projections. Y a-t-il de la place pour tout le monde ? Il est facile aujourd’hui de dire que nous sommes 8 milliards. Mais combien serons-nous à la fin du siècle ? En France, il y a tout un débat sur la baisse considérable de la fertilité masculine, qui devient presque préoccupante sur le plan médical. C’est un paramètre important. Le ralentissement démographique continue à augmenter et se traduit par un vieillissement de la population. C’est un problème qui va s’imposer à court terme. La Chine constitue un laboratoire presque parfait en la matière. Mais cette réalité est valable aussi en Europe : autrefois, l’Italie était considérée comme un pays prolifique. Aujourd’hui, la natalité y est très faible et la population vieillit très très vite, beaucoup plus qu’en France ou en Belgique. En Chine, l’effet de bascule s’annonce bien plus considérable. Elle sera vieille avant d’être suffisamment riche pour pouvoir nourrir tous ses vieux. Le vieillissement global de la population mondiale va constituer très certainement un phénomène d’évolution considérable. Il ne faut pas oublier que les innovations, y compris les révolutions politiques, sont toujours faites quand un pays est très jeune. Nous serons dans une humanité vieille – à l’exception notable de l’Afrique subsaharienne – qu’il faudra nourrir. Cet aspect qualitatif m’inquiète bien plus que le fait de savoir si on sera 9, 10 ou 11 milliards en 2100. La Coupe du monde de football au Qatar démontre que l’homme peut s’installer n’importe où, qu’importe le coût environnemental. N’est-il pas temps d’arrêter l’artificialisation des terres, de dire non au béton, et cela à l’échelon global ? Se passer du béton est souvent vu comme le luxe des Européens de l’Ouest, des Nord-Américains et des Australiens qui ont mis en place leur « sauvagerie », leur « wilderness » (des endroits où la nature est préservée, NDLR). En Afrique, la notion de parcs naturels destinés à préserver des espèces en voie d’extinction est considérée comme un acte typiquement colonialiste ou néocolonial qui, à travers des organismes dirigés par les Occidentaux, empêche les populations locales de vivre suivant leur mode de vie traditionnel. Il reste que l’artificialisation à tous crins est stupide. Mais envoyer des missiles pour détruire d’autres bâtiments est encore plus stupide. Les guerres ont elles aussi des coûts environnementaux. Faut-il s’attendre à voir l’homme empiéter sur l’océan faute d’avoir de la place ? L’océan est notre dernière frontière. On voit que les frontières, au sens le plus géopolitique du terme, ont tendance à progresser dans l’océan. Que les zones économiques exclusives s’étendent, s’approfondissent. Tout n’est pas mauvais, comme le montre l’extension de zones protégées, d’interdiction de pêche, etc. Le problème est qu’on connaît beaucoup mieux aujourd’hui la face de la lune que le fond de l’océan. Il faut donc apprendre à gérer, réguler et pourquoi pas utiliser les mers. Le dernier acte paléolithique du chasseur-cueilleur est celui de la pêche en haute mer. Depuis que Sapiens est apparu il y a 300.000 ans en Afrique, qu’a-t-il le plus abîmé ? Qu’a-t-il réussi à préserver ? J’aurais tendance à dire que ce que l’homme a le plus abîmé, ce sont ses propres relations avec les autres humains. En créant des frontières, en instaurant de la rugosité dans les rapports entre groupes humains. C’est fondamental. Après, tout le reste devient technique et social. C’est vrai pour les migrations comme pour les problèmes alimentaires. Plus d’international est nécessaire. Ce n’est pas dans son petit coin qu’on pourra régler les choses. Ce qu’on a peut-être préservé, ou plutôt développé, c’est le fait de comprendre mieux le monde. Je ne suis pas un postmoderne, je suis vraiment un optimiste sur le plan scientifique. Bien sûr qu’on peut faire des tas de bêtises, comme les OGM par exemple. Mais on peut aussi mener des projets plus efficaces, qui permettent de répondre tant aux problèmes sanitaires qu’alimentaires. Donc oui, le fait que l’on ne cesse d’approfondir des connaissances me rend optimiste sur la maîtrise scientifique qui, peut-être, nous permettra de vivre mieux en accord avec la Terre. [scald=29661489:sdl_editor_representation]

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