«Lettre de la City»: Guerre de succession chez les Murdoch

Le rideau se lève sur une jolie bâtisse de St John’s Wood, un quartier résidentiel du nord londonien. Les rumeurs de la City, la vie des banquiers d’affaires experts des coups en bourse et le bruit des injures lancées par les traders paraissent bien éloignées de cette oasis de verdure dans laquelle prévaut la volupté d’être riche. C’est là que se joue la succession du magnat américain des médias, Rupert Murdoch. Le dernier épisode de cette saga familiale et financière sera encore plus sanglant que les précédents déjà riches en ruptures et réconciliations rocambolesques. Du Dallas grandeur nature… Paddy Manning a pris la célèbre série télévisée américaine Succession pour modèle pour écrire une biographie non autorisée de Lachlan Murdoch, le prince héritier de l’empire des médias fondé par le célèbre papivore sur trois continents. Dans The Successor (Le successeur), le journaliste australien dévoile les tenants et aboutissants de la conspiration qui se trame dans la capitale britannique pour préparer l’après « Rupert-le-magnifique ». Aux dernières nouvelles, Rupert Murdoch, 91 ans, qui vient de divorcer de sa quatrième épouse, Jerry Hall, l’ex-épouse de Mick Jagger, met les bouchées doubles à son grand dessein de fusionner News Corp et Fox, les deux structures d’un groupe « pesant » plus de 20 milliards de dollars (19,2 milliards d’euros) et fort de 36.000 salariés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Si le patriarche continue de faire la pluie et le beau temps, son fils aîné Lachlan, 51 ans, gère dorénavant cette entité multiforme regroupant presse écrite, édition et audiovisuel. A ce stade, un petit rappel s’impose. De son premier mariage, Rupert Murdoch a eu une fille Prudence, femme au foyer mariée à un cadre du Times, l’un des joyaux du groupe. D’une deuxième union sont nés trois enfants, Elizabeth, Lachlan et James. Enfin, de sa troisième épouse, Wendi Deng, le fringant Rupert a eu deux filles sur le tard, Grace et Chloé. Comme dans une tragédie shakespearienne, Elizabeth, Lachlan et James n’ont eu cesse de s’affronter pour gagner la première place du podium après la disparition du président fondateur. Mais la première, qui a dirigé les programmes de la filiale britannique de télévision par satellite BSkyB a été évincée par son misogyne de père en 2001. Longtemps considéré comme le dauphin, James, le benjamin de la fratrie, a démissionné avec fracas en 2020 en protestation contre le déni paternel du réchauffement climatique, sa promotion des énergies fossiles et sa complicité outrancière avec Donald Trump. Sympathique et bavard, le progressiste de la famille soutient les démocrates et les travaillistes. Enfin, les deux dernières filles du milliardaire à la vie sentimentale agitée ne jouent aucun rôle dans les affaires de cette entreprise cotée mais contrôlée par la tribu Murdoch. Complots et déchirements S’il a claqué la porte du groupe en 2005, Lachlan l’a réintégré par la suite pour prendre la tête de la Fox en 2014 puis de l’ensemble des opérations. L’auteur de ces lignes l’a souvent rencontré lors de la présentation des résultats de BskyB. Le visage est serein, la douceur du regard ne reflète en rien la ciguë des complots du business, ni les tourments des déchirements familiaux. Comme l’écrit Manning, « En privé, Lachlan est l’Australien typique, relax, sportif, bonhomme et plus, de par son éducation stricte, poli et attentif ». Il a fait un mariage glamour avec un mannequin australien pour la marque de soutiens-gorge Wonderbra. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences. Effaçons le short, les sandales et la planche de surf et revêtons le costume trois-pièces et c’est un autre homme qui paraît. Au travail, c’est un général cinq étoiles menant ses troupes au combat contre le politiquement correct et la bien-pensance », insiste l’auteur. A l’écouter, le directeur général est animé par l’inflexible détermination de veiller à ce rien n’échappe à son contrôle et surtout par l’insensibilité au doute. « Monsieur Fils » est plus à droite que son père (c’est peu dire), voire carrément réactionnaire. Et c’est là que le bât blesse aux yeux d’Elizabeth, la propriétaire du manoir de St John Wood’s, de James et de Prudence. Les rebelles prêchent un capitalisme philanthrope à la Bill Gates, à des années-lumière de ce que Murdoch Senior avait toujours espéré voir en eux. Tous contre Lachlan L’objectif des conjurés des bords de la Tamise est clair : empêcher coûte que coûte Lachlan de prendre les commandes du conglomérat tentaculaire au décès de Rupert. Pour ce faire, le trio bénéficie d’un atout de taille : c’est trois contre un. En effet, l’héritage du trust familial est partagé entre quatre parts égales. Dès la mort du père, le trio entend obtenir le limogeage de Lachlan lors d’une assemblée générale extraordinaire. La tâche est olympienne. En vrai féodal, l’empereur Rupert a cloisonné son empire dont il est le seul à connaître les clés, les secrets et les imbroglios financiers. Lachlan Murdoch n’a que faire des complots réels comme imaginaires. Il tient le pouvoir, il ne le lâchera pas. L’intéressé est toujours resté fidèle à cette réflexion qui lui échappa lors d’une interview qu’il m’avait accordée en 1997 à Sydney : « Le premier commandement de cette société familiale est la loyauté à mon père qui doit transcender nos convenances personnelles et notre ego ».

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