Une veine abstraite toujours porteuse

Deux d’entre elles, la galerie Laurentin au Sablon et un nouvel espace à Wavre, s’en font l’écho, optant pour des artistes majeurs sans rapports entre eux si ce n’est cette appartenance à la grande famille abstraite qu’ils débordent par la singularité de leurs procédures et d’incessantes recherches. Antoine Mortier (1908-1999) Né à lui-même dans les années 40 et 50, Mortier continue de jouir, du moins en Belgique, d’une notoriété sans faille. Sa dynamique picturale et graphique, sa façon de convertir le sujet en termes conjoints de spatialité et d’humanité témoigne d’une modernité toujours « dérangeante » à la différence de tant d’Abstraits à l’œuvre datée, aux formes éteintes. Est-ce son ancrage dans le concret qui, quelle que soit la radicalité de la métamorphose plastique, la diversité des supports et des techniques, garantit ce sentiment d’un corpus loin de tout formalisme ? Il y a aussi cette manière d’embrasser le sujet apparemment en deux temps trois mouvements, cette vision radicale, parfois ironique, gagnée sur une vie sans concessions C’est sur ces paramètres que la galerie Laurentin a fait de Mortier l’une de ses têtes de pont à Bruxelles, relayant le travail de fond du galeriste Pierre Hallet disparu en 2020. Elle accueille aujourd’hui une moisson d’œuvres sur papier très diversifiée qui va des années 40 aux années 80, diversité qui atteste du fait que, jamais au grand jamais, l’artiste ne campe sur ses positions et qu’un même thème plastique se prête à des interprétations multiples. Ainsi l’œuvre à dominante rose assez magistrale intitulée Variation nº1 donne le ton, figure âpre, angulaire, archétypale, sorte de synthèse entre les arts plastique et architectural, l’âme de la couleur et la puissance de certaines figures ethniques. Du Mortier par excellence. [scald=29664118:sdl_editor_representation] Alentour, de moyens et de petits formats, au pastel sec, à l’encre, au crayon… attestent de cette même force de synthèse qui, paradoxalement, n’abandonne rien en route. Témoins les éléments de ce « couple » des années 50 qui fusionnent et se reconstruisent en une figure stricte, concise mais polyvalente. Souvent le thème plastique se dissocie et laisse entrevoir le champ des possibles, amorçant une nouvelle figure comme dans ce Compotier de la même époque. Le langage de Mortier vire tantôt vers l’art construit, tantôt vers un art plus expressionniste très actuel où visage et corps ne font qu’un. Quant aux jambages majuscules et énigmatiques tracés d’une main qui charge de sens tout ce qu’elle touche, c’est du Mortier pur jus également. Ailleurs, son art semble se délier, se faire plus fluide, plus fantasque notamment sur le thème du nu, ou plus spectral avec La veuve. Il y a des surprises aussi, comme cette encre noire de noire où s’engouffre un petit carré de lumière éblouissante… Félix Hannaert (1944) Tout nouvel espace placé sous l’égide de l’école des Beaux-Arts, il accueille les œuvres les plus récentes de Félix Hannaert qui, à sa manière, revisite la peinture minimaliste en évacuant les formes au profit d’un système linéaire lui-même au service de la couleur et de la matière qui la porte. Tableaux divisés géométriquement en zones parallèles ou croisées, ils ont pour objet de sertir les tons, de les contenir, de les faire cohabiter pour en exprimer toute la luminosité, les vibrations, les qualités intrinsèques. Il y a vraiment dans ce lieu ainsi investi une sonorité de la couleur qui retentit d’autant mieux qu’il est vaste, blanc et lumineux, parfois un peu trop d’ailleurs, car l’éclairage artificiel tend à écraser des valeurs à peine perceptibles. Rouge et bordeaux virant au brun, bleus, noirs, gris, verts foncés ou clairs opposés au blanc… les combinaisons sont infinies ancrées dans la matière elle-même de sorte que ces agencements d’une précision et d’une netteté extrêmes, où chaque couleur se modifie insensiblement, ne sont jamais froids ni décoratifs, exhalent au contraire une poétique subtile du rayonnement et de la vibration. L’alkyde, cette technique particulière, et la superposition des couches contribuent à cette intensité. L’œuvre d’aujourd’hui constitue l’aboutissement de tout un parcours dédié à un petit rectangle de lumière salvatrice entrevu jadis dans l’obscurité, qui n’a pas cessé de gagner du terrain. Un mur entièrement dédié à de petits formats très clairs, parfois tout blancs, donne la mesure du chemin parcouru, servant parfaitement cette cause paradoxale de l’enfermement et du cadre pour dire l’infini de la peinture. Lecteur assidu, philosophe à se heures, Hannaert est requis par la phénoménologie de la peinture dont il tente de percer le secret en se concentrant sur les rapports entre la ligne et la couleur, la chimie et la poésie. Il cite avec à-propos Quatremère de Quincy, un érudit du 18e/19e siècle, qui appréciait de pouvoir parcourir les profondeurs de l’infini sur la surface plate, étroite et finie du tableau… Antoine Mortier. www.galerie-laurentin.com, jusqu’au 4 février Félix Hannaert. www.beauxartsdeWavre.com, jusqu’au 23 décembre

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