Andrea Arnold: «Cow invite chacun à avoir sa propre interprétation»

Les films d’Andrea Arnold ont quelque chose de fascinant, d’intense, de vrai. Sont faits de peu de dialogues et de beaucoup de sensations. Comme pour mieux capter la réalité. Découverte à la fin des années 1990 avec Milk, un court-métrage qui fera sensation à la Semaine de la critique à Cannes, elle remportera l’Oscar du meilleur court-métrage en prises de vues réelles en 2004 pour Wasp. Puis décrochera trois fois le prix du Jury du Festival de Cannes pour Red Road (2006), Fish Tank (2009) et American Honey (2016). C’est à Cannes aussi qu’elle présenta Cow l’an dernier, avant une première belge au festival de Gand. Un film relatant la vie quotidienne de Luma, une vache laitière. Mais pas exactement un documentaire classique. « Je vois plutôt ce film comme une étude du réel. Une exploration », confie ainsi la réalisatrice britannique avec un élan d’enthousiasme. « Mais qu’est-ce qu’un documentaire en fin de compte ? Ça me semble peut-être être une étiquette un peu artificielle. J’ai documenté une vache, donc j’imagine que c’est un documentaire (sourire). C’est une sorte de muse. » [scald=29664564:sdl_editor_representation] D’une certaine manière, observer la nature n’est pas tellement différent d’observer la société. Est-ce que « Cow » découle finalement de la même démarche que celle qui a toujours été la vôtre ? C’est intéressant parce que les réactions aux projections du film ont été très fortes. Certaines personnes ont été malades. Une autre s’est évanouie. Un ami a fait une crise d’angoisse. Et plusieurs personnes que je connais étaient en sanglots. Lorsqu’on invite quelqu’un à regarder quelque chose, à en débattre, vous devez être préparée aux réactions. Ça a été les réactions les plus intenses que j’ai jamais eues face à un de mes films. Des choses différentes se passaient pour chacune des personnes qui m’en parlaient. Ça leur a fait penser à un tas de choses : la vache évidemment, mais aussi parfois leur mère. Une Américaine m’a dit que ça lui évoquait les femmes qui sont dépossédées de leur corps dans son pays parce qu’elles ne peuvent pas se faire avorter… Je pense qu’il y a de l’espace dans le film pour que chacun puisse avoir sa propre interprétation ou fasse sa propre expérience. Et j’ai réalisé que ça allait faire partie du trajet du film. « Cow » est aussi un film qui repose sur des sensations. Est-ce que ce sont les vôtres, que vous avez retranscrites à l’écran ? Qu’est-ce qui était différent par rapport à vos précédents projets ? J’ai vraiment essayé de refléter les choses que j’ai vues. J’ai beaucoup réfléchi à ça après les premières projections publiques parce que les réactions étaient tellement fortes que j’avais visiblement touché quelque chose de sensible. Je pense que la raison pour laquelle j’étais attirée vers cette histoire est liée à un tas de choses. Et ce n’est pas forcément similaire aux choses qui m’intéressent en général. Mais si vous regardez tous mes films, je pense qu’ils ont quelque chose en commun. Plusieurs de mes amis disent que Cow est le film qui me ressemble le plus. Parce qu’il n’y a aucun moyen de se cacher. Il y a simplement une vache. [scald=29664568:sdl_editor_representation] Et peut-être la projection d’un être humain sur cette vache… J’ai essayé de ne pas entrer dans son esprit. Parce que ce n’est pas possible. J’ai simplement essayé de l’observer. Parce que nous pouvons seulement décider ce que nous pensons qu’elle ressent en nous basant sur son comportement et sur ses réactions aux choses qui se passent dans sa vie. J’ai donc essayé d’observer ses réactions. Après un certain temps, vous commencez à voir un tas de choses à travers son regard. Vous commencez à comprendre si elle est à l’aise… Que nous ayons raison ou pas. Avez-vous le sentiment d’un changement de mentalité par rapport au traitement des animaux ? Le moment est complexe. Nous dépendons des animaux pour beaucoup de choses. Peut-être qu’il est bon pour nous d’en être conscients, de le savoir, de nous engager et de nous reconnecter avec lui. J’ai eu une relation avec les animaux depuis mon enfance. Je vivais dans une maison dans le Kent, entourée par des terres sauvages. Je vagabondais beaucoup parce que mes parents étaient très jeunes et ne me surveillaient pas beaucoup. Donc j’étais souvent dehors. D’une certaine manière, c’était fantastique. J’ai développé un certain confort avec le fait d’être dehors, dans la nature, comme si ma maison devenait oppressante, ce qui était un peu le cas puisqu’il s’y passait beaucoup de choses. L’endroit où je vivais n’était pas particulièrement pittoresque mais il était sauvage. Nous avions beaucoup d’animaux, toutes sortes. Des chiens, un mouton que j’avais demandé à mon père de ramener du marché… La nature est quelque chose qui vous a toujours importé. Êtes-vous d’accord avec vos amis qui disent que « Cow » est votre film le plus personnel ? Je trouve intéressant qu’ils disent ça. Ça vient en effet de quelque chose de très profond, donc c’est peut-être le cas. Parce que lorsque vous faites un drame, vous écrivez une histoire, puis vous avez des acteurs. Donc vous vous mettez en quelque sorte derrière une façade et vous retirez de vous. Mais d’une autre manière, il y a quelque chose de semblable avec vos autres films de par votre manière de vous immerger dans l’histoire, d’utiliser la musique… La musique que l’on entend dans la salle de traite est celle qui passe effectivement à la radio, que les agriculteurs ont l’habitude d’utiliser. Et c’est super parce qu’ils ont de très longues journées qui commencent très tôt le matin. Ils écoutaient donc la radio, souvent des stations qui passaient des chansons pop, j’imagine parce que c’est gai et joyeux. J’ai trouvé ça très intéressant. Parce que lorsqu’on y réfléchit, la plupart des chansons pop parlent d’amour. Je te veux mais tu ne me veux pas, tu me manques, tu es la meilleure chose qui me soit arrivée. C’était donc d’une certaine manière adapté à cette situation. L’amour, la perte, la nostalgie, le désir. Et je pense qu’il y a en fait beaucoup de désir dans cette étable. J’ai donc gardé cet aspect. Certaines chansons étaient celles que nous entendions effectivement lorsque nous étions là. D’autres ont été ajoutées ou un peu embellies ensuite. Après avoir fait un film comme celui-ci, buvez-vous toujours du lait ? Je me suis dit que je ne devais pas parler depuis ma propre perspective. Parce que le film est vraiment une invitation à ce que les gens se fassent leur propre opinion et je veux qu’il le reste. Je laisse chacun juge de cela sans savoir ce que moi je fais ou ne fais pas. Je pense que c’est la meilleure chose à faire.

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