«Enquête approfondie» sur la fusion Vivendi-Hachette

Par voie de communiqué, la Commission européenne a confirmé ce mercredi après-midi l’ouverture d’une enquête approfondie sur le rachat de Lagardère SA par Vivendi SE et la concentration dans un même groupe des deux principaux acteurs de l’édition généraliste en France, Hachette et Editis. « La Commission craint que l’acquisition proposée ne réduise la concurrence sur un certain nombre de marchés dans l’ensemble de la chaîne de valeur du livre dans les pays francophones de l’Espace économique européen (EEE) et dans un segment de l’édition de magazines en France. » Après une enquête qui s’annonce sans concession pour Vivendi, le régulateur de la concurrence en Europe a jusqu’au 19 avril 2023 pour se prononcer. Bolloré vient à Lagardère… Pour mémoire, Vivendi SE est entré de manière significative dans le capital de Lagardère SA en avril 2020, lorsque l’héritier de l’empire créé par Jean-Claude Lagardère, Arnaud, s’est retrouvé en difficulté face à son actionnaire principal, le fonds activiste britannique Amber. Il n’a eu d’autre choix que de faire appel à son « ami » Vincent Bolloré et, en quelque sorte, Arnaud a fait entrer le loup dans la bergerie : en mai 2020, Vivendi annonçait être devenu le deuxième actionnaire de Lagardère SA avec 13,36 % des parts. Et bientôt, beaucoup, beaucoup plus. Non seulement Vivendi a finalement racheté les parts du fonds Amber, porté sa participation à 26,7 % du capital de Lagardère, mais il a ensuite annoncé, le 15 septembre 2001, vouloir s’emparer de la totalité de Lagardère par voie d’offre publique d’achat. Par voie de conséquence, Vivendi prenait ainsi le contrôle du numéro 1 français et numéro 3 mondial de l’édition, Hachette Livre (Armand Colin, Calmann-Lévy, Grasset, JC Lattès, Hatier, Marabout, Livre de Poche, Little, Brown & Co, Fayard, Harrap’s, 1001 Nuits, Stock, Pauvert…). Il en possède aujourd’hui 57 % ! Problème : Vivendi contrôle déjà le numéro 2 français de l’édition, Editis SAS (10/18, First, Fleuve, Bordas, Gründ, Julliard, La Découverte, Le Cherche-midi, Le Robert, Nathan, Nil, Plon, Pocket, Presses de la Cité, Robert Laffont, Sonatine, XO…). Cette fusion de deux géants induit une distorsion de la concurrence, non seulement au niveau du marché français mais aussi au niveau européen. De fait, dès janvier 2004, dans une décision communautaire (Lagarère/Natexis/VUP) qui concernait déjà les deux mêmes acteurs de l’édition, il était apparu que les plafonds de chiffre d’affaires à partir desquels s’impose l’arbitrage de la Commission européenne avaient tous été dépassés : « Les entreprises concernées réalisent un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 5 milliards d’euros en 2001 (…) Chacune d’entre elles réalise un chiffre d’affaires dans la Communauté de plus de 250 millions en 2001 (…) et Lagardère ne réalise pas plus des deux tiers de son chiffre d’affaires dans un seul et même Etat membre. » Lorsqu’en 2022 une nouvelle version de rapprochement entre Vivendi et Lagardère s’est matérialisée, il n’y a donc jamais eu de doute quant à la compétence de la DG Concurrence de veiller au respect du règlement européen sur les concentrations. Lagardère revient à Bolloré Le 24 octobre, Vivendi SE a donc notifié de manière complète à la Commission européenne la concentration qu’elle projetait et annoncé le lendemain, par voie de communiqué, le « remède » qu’elle proposait pour résoudre le problème évident de concentration : puisqu’un même acteur ne peut posséder en même temps les deux géants de l’édition française, Vivendi a fait son choix fin juillet et se propose de céder son propre joyau, Editis. Le groupe a confirmé cette orientation fin octobre lors de sa notification à la Commission européenne : « Vivendi poursuit l’étude du projet de cession d’Editis dans son intégralité, cession qui interviendrait principalement au travers d’une distribution des actions Editis à ses actionnaires et leur admission concomitante sur le marché d’Euronext à Paris. Le Groupe Bolloré, actionnaire de référence de Vivendi, devrait céder l’ensemble des actions Editis ainsi reçues de manière à doter Editis d’un noyau actionnarial de référence et stable. » En clair ? L’actionnariat d’Editis est redistribué à tous ses actionnaires et coté en bourse. Le groupe Bolloré, détenteur de 29,5 % de Vivendi, récupère donc 29,5 % des actions d’Editis. Jusque-là, le problème de concurrence ne s’est donc que déplacé. Pour régler réellement le problème de concentration, Bolloré doit céder sa position d’actionnaire de référence dans Editis. Mais vendre à qui ? « Ni à un concurrent français » (qui ferait de l’ombre à Hachette) « ni à un fonds d’investissement » (qui mettrait en danger l’un des joyaux de l’édition française), a garanti Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi. Depuis, les hypothèses ont abondé quant aux noms de possibles candidats à la reprise. Vivendi, semble-t-il, clôturerait les candidatures ce vendredi et n’annoncerait rien avant le 15 décembre. 9.700 employés de l’édition, tant chez Hachette que chez Editis, sont suspendus à cette annonce… Phase I : fumée noire. Voici la Phase II… Alors que ce suspense-là se poursuit, la DG Concurrence disposait de 25 jours ouvrables depuis la notification par Vivendi, ce 24 octobre, pour mener une enquête formelle dite de « Phase I » sur cette fusion. L’enquête venait à terme ce mercredi 30 novembre. En général, c’est durant cette première phase que sont réglés 90 % des dossiers de concurrence, car la Commission est toujours informée bien avant la notification officielle et instruit son dossier des mois à l’avance. [scald=29668264:sdl_editor_representation] La Phase I n’a pas permis de régler le dossier. S’ouvre dès lors une « Phase II », celle de « l’analyse en profondeur des effets de la fusion sur la concurrence », pour laquelle la Commission européenne dispose à présent de 90 jours ouvrables pour étudier tout document d’entreprise et témoignage qu’elle souhaiterait – une véritable mise à nu. Cette enquête peut même être prolongée de 15, puis de 20 jours supplémentaires dans certains cas, et si les parties refusent de coopérer, le processus peut même être gelé. L’autorité européenne de la concurrence ne tranchera donc pas avant la seconde moitié d’avril 2023. Bref, on en fera encore ses gorges chaudes durant la Foire du livre de Bruxelles… [scald=29668264:sdl_editor_representation]

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