L’encombrant débat des restes humains

Il m’est inconcevable que le commerce des restes humains soit légal aujourd’hui en Belgique. Les dépouilles, également celles des personnes tuées pendant la période coloniale, ont droit au respect absolu. On ne vend pas des cadavres. Ça doit changer. » Le communiqué d’Ecolo et de sa coprésidente Rajae Maouane est clair : il faut rendre le commerce de restes humains illégal. Deux jours que ça flambait du côté des associations, des militants décoloniaux et de la diaspora congolaise en Belgique. Deux jours depuis la découverte d’un lot surprenant mis aux enchères dans une prochaine vente de la maison Vanderkindere à Bruxelles. Parmi les divers objets d’art d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie, fétiches, bois sculpté, masques, boucliers, le numéro 405, estimé entre 750 et 1.000 euros : trois crânes humains issus d’une collection coloniale privée. Un crâne de Bangala anthropophage aux incisives taillées en pointes, un crâne du chef arabe Munie Mohara tué par le sergent Cassart à Augoï le 9 janvier 1893 et décoré d’un bijou frontal, et un fragment de crâne collecté au Figuier de la mort dans le village de Bombia dans la province de la Mongala par le docteur Louis Laurent le 5 mai 1894. Trois crânes humains anciens comme il s’en vend tous les jours sur les plateformes d’enchères internationales, sauf que ceux-ci datent de la sombre période de l’Etat indépendant du Congo (1885-1908). Un douloureux impair – la salle de ventes a immédiatement retiré les objets du catalogue en s’excusant et expliquant « ne cautionner aucunement les souffrances et les humiliations subies par les peuples victimes de ces actes coloniaux » – alors que l’époque est à la restitution. Plus activement encore depuis la mise en place par le gouvernement fédéral, en 2019, du projet Hope – Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation – destiné, avec l’aide de sept partenaires scientifiques dont des universités et des musées comme celui de l’Afrique centrale à Tervuren ou l’Institut royal des Sciences naturelles, à dresser un inventaire aussi complet que possible de tous les restes humains non-belges encore présents au cœur de nos institutions. Et ce, dans le but d’un futur rapatriement. « C’est une situation compliquée », confie Serge Hutry, commissaire-priseur chez Vanderkindere, « parce qu’il n’y a pas de législation à cet égard. Rien. A priori, tout peut se vendre. Même les restes humains que l’on trouvait autrefois dans les collections de vanités (lire ci-contre). En 28 ans que je tiens le marteau dans la maison, avec quinze ventes par an, de 500 lots chacune, soit 7.500 lots par an, j’en vois passer, des objets. De tous types. Mais ce qui vient de se passer soulève des questions, de vraies questions éthiques. Le mois dernier, j’ai vendu – cher –, une armure de samouraï complète avec le katana. Quand on sait ce qu’étaient les samouraïs, des gens qui coupaient les autres en morceaux, il y a lieu de se demander où commence et où s’arrête l’humanité ? » Les objets sont morts, les ancêtres pas Alors que le débat sur notre passé colonial fait rage à la Chambre, la question du commerce des restes humains, en général, est des plus épineuses. « Nous n’avons que très peu de levier sur les collections privées », note le député Ecolo Guillaume Defossé. « C’est très délicat. Où installer le curseur ? », demande l’archéologue Fernand Collin, directeur du Préhistomuseum de Ramioul, centre névralgique de la préhistoire en Wallonie qui en expose par centaines, des crânes, des squelettes, des fémurs et des tibias : certains de plus de 7.000 ans que plus personne ne réclamera, d’autres un rien plus proches de nous, romains ou médiévaux. « La question est sensible », poursuit le préhistorien. « L’archéologie européenne a l’habitude de conserver des restes humains pour étudier les civilisations disparues. Cela ne relève pas du commerce évidemment, mais du domaine scientifique, de la recherche, de l’anthropologie, de l’étude et de la compréhension. Or, en Amérique ou en Afrique, des musées sont aujourd’hui confrontés à la demande de restes humains par la population qui considère qu’ils font partie de leur patrimoine. Au Préhistomuseum, nous sommes dans une fenêtre de temps très éloignée et je doute que des Paléolithiques viennent frapper à nos portes pour récupérer les restes de leur famille – je rêverais de voir ça ! – mais si je conservais, comme dans de nombreux musées africains et américains, des vestiges plus récents, comment réagir ? » Il donne cet exemple vécu il y a peu avec le vice-chef de la Nation algonquine au Québec, « lancé dans une action pour récupérer auprès du musée de la Civilisation à Ottawa les restes des gens de sa tribu, datant d’il y a 100-150 ans. Les restes humains. Je lui demande s’il a aussi demandé les restes archéologiques. Il me répond que non, que ça ne l’intéresse pas. Parce que les objets sont morts à ses yeux, alors que ses ancêtres, eux, sont toujours bien vivants. Voilà, il faut faire attention avec notre vision occidentale. Même chez nous aujourd’hui, de plus en plus de musées et universités hésitent à exposer des squelettes, de peur d’offusquer ». De la même façon, ajoute-t-il, il ne lui viendrait plus à l’idée d’acheter une sépulture. « Pour éviter de participer à un système qui n’est pas contributif à la connaissance. » Un soutien aux collectionneurs Une manifestation a eu lieu mercredi soir à la chaussée d’Alsemberg, devant chez Vanderkindere, où un communiqué a été épinglé sur la porte, précisant que les trois crânes ont été retirés de la vente. « J’ai contacté le propriétaire », explique le directeur Stéphane Nicais. « Je dois dire qu’il est un peu dépassé donc je pense que nous allons lui acheter le lot à son estimation basse, soit 750 euros, et le restituer à la République démocratique du Congo mais… comment ? A qui ? Ce n’est pas si simple. » Cinq acheteurs, dont des musées, se sont déjà manifestés auprès de lui. Les trois crânes, s’il n’y avait eu cette levée de bouclier, auraient sûrement rejoint une nouvelle collection les 13 ou 14 décembre prochains, jours de la double vente. Chez les amateurs d’objets d’art africain, ça se questionne pas mal depuis mardi. Dans le cadre de la Commission passé colonial, Ecolo a proposé d’offrir un soutien aux collectionneurs privés qui souhaitent s’inscrire dans une démarche de restitution. Une proposition qui se retrouve désormais parmi les recommandations faites par le président de la Commission, Wouter De Vriendt, qu’il reste à approuver. « La donation », conseille Fernand Collin, « c’est la meilleure attitude à avoir. Se dire qu’on ne peut pas garder pour soi un patrimoine commun qui dépasse l’intérêt particulier. »

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