«La mission de Musiques nouvelles: rendre compte de l’état varié de la création»

En 1962, et plus précisément le 6 décembre avec un premier concert dans le studio 1 de l’INR, Musiques nouvelles voyait le jour sous l’impulsion de Pierre Bartholomée et Henri Pousseur notamment. Soixante ans plus tard, Jean-Paul de Dessy a repris la barre de cet esquif aventureux, œuvrant notamment, depuis sa prise de poste en 1997, à l’ouverture d’une salle à Mons (Arsonic). Alors qu’un coffret vient de paraître et que plusieurs concerts sont prévus, le directeur artistique de l’ensemble aujourd’hui basé à Mons fait le point sur son action et ouvre les perspectives d’avenir. Animé par un souci : servir les compositeurs d’aujourd’hui et de demain. Vous célébrez les 60 ans de Musiques nouvelles notamment à travers un coffret. Les 45 compositeurs et compositrices présents sur cet album sont actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles. La plupart sont jeunes, issus de la génération Y. C’est la mission de Musiques nouvelles, c’est-à-dire de rendre compte de l’état, varié à mon sens, de la création dans tous ses états. La majorité est née après 1980 et ce coffret complète le précédent. Ce sont aussi les archives du futur : cette proposition complète notre précédent coffret et représente la musique classique d’aujourd’hui, en tout 70 compositrices et compositeurs. Joués, interprétés et filmés par Musiques nouvelles. Destinés à une écoute très large qui dépasse celle des concerts (notamment grâce à une chaîne YouTube qui prolonge les concerts et qui vient de dépasser les 85.000 vues pour une centaine de vidéos, NDLR). Comment découvrez-vous ces compositeurs ? Chaque année, je vais écouter les classes de composition dans les conservatoires en tant que membre de jurys. Donc je découvre tous les talents qui sont en germe. Ensuite on donne à ces élèves fraîchement diplômés l’occasion d’être joués par un ensemble professionnel. D’autres compositeurs émergent de concerts donnés par d’autres interprètes que nous. Il y a évidemment des enregistrements. On essaie d’être attentifs à la réalité de la production, de la création, de la genèse de la musique de création. Ce coffret ne se prétend pas exhaustif mais il est proche d’un reflet révélateur de ce qui se donne à entendre et à composer chez nous depuis une dizaine d’années. Quand je vois ce coffret, je me dis qu’il y a une variété extraordinaire de territoires sonores. Chaque pièce est une entité assez irréductible parce que ce sont des personnes qui s’expriment en liberté. Et c’est en ça que la musique de création est extraordinaire. Il y a aussi pas mal de compositeurs instrumentistes. Dont des instrumentistes de Musiques Nouvelles : Adrien Lambinet, Hughes Kolp, Laurent Houque, Pierre Quiriny, André Ristic. Cette musique renoue avec quelque chose qui me semblait très important dans l’histoire de la musique : les musiciens interprètes peuvent aussi être des compositeurs, ce qui était un peu la loi jusqu’au XXe siècle. L’écoute continue révèle clairement une tendance globale qui marque un retour à la consonance souvent onirique. Beaucoup de ces musiques ont une dimension méditative : les compositeurs s’interrogent sur eux-mêmes, sur la vie et le monde qui les entoure, et cela peut créer une impression de convergence rêveuse. Mais une écoute attentive dévoile qu’ils servent ce propos au travers d’univers singuliers où chacun crée des climats variés, des combinaisons instrumentales inédites mais aussi des références à d’autres mondes sonores : les musiques de spectacle, de film, de jazz ou de pop. Ce qui me frappe, c’est que les jeunes compositeurs sont de nouveau à l’écoute du monde, ce qui a toujours été le cas dans l’histoire de la musique, sauf au cours de la seconde partie du XXe siècle parfois écrasée par un rigorisme intellectuel. Comment restez-vous en prise avec la réalité en tant qu’interprètes de la musique « contemporaine classique » ? Comment la rendez-vous intelligible ? Un élément primordial pour moi est de rendre au concert sa dimension de moment exceptionnel. Inviter les auditeurs à entrer dans une écoute qui sort de l’écoute habituelle. Les musiciens de Musiques nouvelles sont les premiers garants de ça par leur présence, leur virtuosité, leur maîtrise et leur générosité. C’est capital qu’il y ait une présence exceptionnelle de bout en bout du concert sur scène par le son et par quelque chose qui le dépasse. Apporter un supplément, créer un lien particulier par le son et par son instrument. Dès lors que l’on est face à ça, je pense que, si l’on n’est pas muré dans des a priori, le travail de communion par le son opère. Est-ce que c’est difficile pour vous de trouver une place dans les salles de concert ? Bien entendu. Dans les lieux culturels, dans quelque ville que ce soit, la musique classique en général est très peu représentée. C’est sûr que c’est un regret mais je me dois d’œuvrer malgré ça. La grande chance – même si ce n’est pas tout à fait une chance parce que j’ai travaillé dix ans de ma vie pour ça –, c’est qu’il y a une salle à Mons dans laquelle nous pouvons faire entendre la plupart de nos propositions. Nous avons un public ultra-supporter. Il y a un club des amis d’Arsonic. Ils sont 300 et il y a 300 places dans la salle. En vingt-cinq ans là-bas, nous avons établi une fidélité. Pas à un programme en particulier mais aux propositions de Musiques nouvelles. Ce n’est pas un public de niche. Monter une partition nouvelle exige un travail considérable. N’est-ce pas un gâchis de ne la donner qu’une fois ? On est entrés dans l’aire de la coproduction : il n’y a plus aucun endroit où on peut aller en réclamant un cachet qui correspond au coût artistique, c’est-à-dire au salaire des musiciens, quelque chose de très important. Nous dépendons donc des lieux qui nous accueillent. Les coproducteurs se résument aux doigts de la main de Django Reinhardt… Ars Musica est un partenaire très important. Nous avons longtemps eu une collaboration avec Bozar et j’espère que nous allons pouvoir continuer. Nous avions aussi une collaboration très inventive avec le Botanique pendant les années de Paul-Henri Wauters. Ponctuellement, nous sommes invités par quelques centres culturels. Notamment pour des projets hybrides, comme celui que nous avons mené avec le rappeur belgo-congolais Pitcho. Parce que c’est indispensable aussi de proposer de plus petits projets et c’est quelque chose que nous allons développer. Cette année, nous allons par exemple jouer ans plusieurs concerts de midi à Liège et à Charleroi. Nous allons aussi prendre contact avec des opérateurs qui ne sont pas forcément institutionnels et qui sont peut-être éloignés des grandes villes. Nous l’avons fait il y a quelques jours dans une église de la commune d’Estinnes. Nous avons eu 150 personnes, dont la plupart ne sont pas habitués aux concerts, et c’était extraordinaire. C’est donc aussi une modalité possible. Nous avons des partenaires institutionnels à remercier et à chérir. Mais s’ouvrir est indispensable. Est-ce que le concert réunissant 60 compositeurs en 60 minutes a justement été pensé dans ce sens ? Pour célébrer les 60 ans de Musiques nouvelles, avec les festivals de Wallonie, j’ai voulu imaginer un projet particulier. Cet anniversaire, ce sont aussi 60 années où la pop, la musique de film, le jazz, le rock, la musique du monde, la chanson sont devenus des territoires qui ont créé de nouveaux rapports à la musique. Pour tous les citoyens et aussi pour les compositeurs. Fêter les 60 ans de Musiques nouvelles, c’est fêter 60 ans de musique. J’ai donc demandé à huit producteurs de la RTBF emblématiques dans leur genre (Philippe Baron, Marc Ysaye…) de choisir trois coups de foudre, puis huit compositeurs ont choisi un de ces moments clés pour en faire leur propre mixture. Les réactions du public ont été très enthousiastes parce que la mémoire collective sonore, quand elle est réactivée, est un plaisir fou. De tout temps, les échanges de bons procédés entre la musique populaire et la musique savante ont fait avancer la musique populaire mais aussi la musique savante. En Europe, ce sont deux territoires qui se sont éloignés l’un de l’autre dans les années 1950. Or c’est la matrice même de l’évolution de la musique savante. Et inversement : Michael Jackson n’aurait pas été le même sans Quincy Jones. Quincy Jones qui avait lui-même été élève de Nadia Boulanger. Quel est le bilan de cette décennie ? En dix ans, nous avons sorti 25 disques, avec des pièces internationales mais majoritairement des compositeurs de chez nous. Parce que c’est une mission qui nous est donnée en contrepartie de subsides et c’est bien normal. C’est le premier degré de la défense de la musique de création sur notre territoire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 346 œuvres jouées en dix ans de 196 compositeurs différents dont 75 vivant en Belgique francophone et relevant de 37 nationalités différentes. Avec 158 créations mondiales et de nombreuses créations belges. Comment envisagez-vous le futur ? Mon vœu le plus cher est que nous soyons en mesure de persévérer, car il y a beaucoup d’incertitudes sur ce champ musical qui est le nôtre, sur l’évolution générale de la politique culturelle en Europe. L’enjeu principal est de continuer à éveiller, dès l’enfance, le goût pour des saveurs qui sortent de la standardisation outrancière qui est celle de la musique industrielle. Sur le reste, l’investissement des musiciens, la volonté des compositeurs, je n’ai pas de doute. « Musiques Nouvelles : 60 Years 60 minutes 60 composers », concert anniversaire ce lundi 5 décembre au Studio 4 de Flagey. Infos et réservations : www.flagey.be

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