Big Bazar: «J’y ai tout appris. C’était mes universités»

Avec le Big Bazar, vous êtes devenu un chef de troupe musicale… Je ne voulais pas être chef, non. Je voulais faire du spectacle autrement. Ne pas passer sous les fourches caudines du show-business tel qu’il était. Les grandes salles ne viennent qu’après. C’est pour ça que nous, on est partis avec un chapiteau. Une troupe comme le Big Bazar, ça n’existait pas en France. Hair a contribué à nous faire entrevoir une certaine liberté d’action et avoir un jugement différent sur l’ordre établi. C’était ça, le but du Big ! Au départ, personne n’y croit. C’est parce que t’es libre que tu vas gagner. Pas l’inverse. Comment veux-tu sortir du lot si tu fais la même chose que les autres ? Le succès du Big Bazar est immédiat… Grâce à la Une belle histoire ! Sans ça, il n’y a pas de Big Bazar. Jacques Marouani, mon impresario, me dit : « Il faut qu’on règle le problème de mon pourcentage ». Je lui réponds qu’il fait partie de l’équipe et qu’il va toucher le même salaire que tout le monde. Il n’y avait pas de raison qu’il touche plus. Comment ça se passait, cette idée d’égalité salariale ? Si on ne met pas tout à l’horizontal, ça n’existe pas. On devait tout louer : le chapiteau, l’éclairage, le son… Si je me faisais payer à mon niveau, on grevait les budgets. On était cent mecs, dans ce cirque. On jouait huit mois par an. C’était une petite entreprise qui fonctionnait hyper bien et qui ne se prenait pas pour le trou du cul du monde. Quand on venait à Bruxelles, on restait une semaine… Ce n’était pas l’hôtel. Quiconque avait un pote à Bruxelles logeait chez lui. Ce n’était pas l’armée, ni Holiday On Ice. J’affirme que tout ce que j’ai appris, je l’ai appris dans le Big Bazar. C’était mes universités. J’ai appris à parler aux gens, à les intéresser. Il faut que les gens ne s’emmerdent pas en voyant un spectacle. Je ne suis obsédé que par ça quand je monte un spectacle. J’ai répété mille fois le mot « saltimbanque ». Tu l’es dans ta tête ou pas. Saltimbanque, c’est ce que je suis sur la scène, comme les mecs du théâtre italien, où on est plus du côté de la cour des miracles… N’y avait-il pas aussi l’idée hippie, post-mai 68, de vie en communauté ? Non, arrêtez avec ça ! Moi je roulais en Porsche avec des manteaux de loup. J’étais le vrai connard, sans aucun rêve d’utopie… Juste saltimbanque ! Les textes des chansons parlaient pourtant du vivre ensemble, de l’amour, de la fraternité, de la fête… Tout ça, c’est Pierre Delanoë, Maurice Vidalin, Claude Lemesle, mes auteurs… On n’a jamais parlé de ce que je voulais chanter. Par contre, ils m’ont entendu parler. Ils me décryptaient. Les grands auteurs savent pour qui ils écrivent. Ils font du sur-mesure. Ils voyaient des jeunes gens qui faisaient du bon spectacle, ce qui les ressourçait. Pierre Delanoë, c’est lui qui nous a donné un petit côté boy-scout dans les textes. Parce qu’il a dû être fils de bourges dans sa jeunesse. Il s’est retrouvé jeune. Adieu Monsieur le monde, qu’il vous écrit, est devenu un hymne pour la planète… C’était surtout une chanson écrite par un mec de près de 60 ans qui était conscient de ces problèmes écologiques. Après cinq ans de succès, vous ressentez une lassitude et vous quittez le Big Bazar… On reste une semaine à Bordeaux et là, arrive un mec, Max Serveau, responsable culturel du Havre qui me parle autour d’une table d’un truc qui s’appelle « Juin dans la rue, mois de la jeunesse ». J’écoute et lui dis que j’arrête le Big Bazar. Je lui dis qu’il faut faire un spectacle avec les gens. Je dessine toutes mes idées sur la nappe. Il dit OK, il prend la nappe et il s’en va. Il m’appelle quelque temps plus tard en me disant : « J’ai montré la nappe et ils sont d’accord. » Je rencontre tout le conseil municipal du Havre. Je sentais que ça leur faisait mal au cul, en même temps, car ça forçait des associations qui ne pouvaient pas se supporter à travailler ensemble. Dans la première ville communiste de France, quand même. J’ai travaillé six mois là-dessus, la scène était gigantesque. J’ai pris tout ce qui ne dansait pas dans le Big Bazar. On a partagé la ville en huit quartiers. C’était le 18 juin 1977. C’est à cette occasion qu’est écrite la chanson Le chiffon rouge, devenue l’hymne des manifestations d’aujourd’hui… C’est ma Légion d’honneur, cette chanson, écrite par Maurice Vidalin. J’y suis pour quelque chose, non pas dans le titre et le texte, mais parce qu’il me connaît bien. Chaque quartier avait sa couleur et le chiffon s’est appelé rouge car c’était le quartier rouge. Cette époque, celle du Big Bazar et des années qui suivent, c’est celle où vous fondez une famille, et devenez père de trois enfants : Marie en 1973, Laurette en 1979 et Alexis en 1993… Mes enfants, qu’on le veuille ou non, ce sont des enfants de la balle. Marie a passé toute sa petite enfance endormie sur les fly cases. Ma famille et celle du Big Bazar étaient mélangées. On avait une image forte. Et après le spectacle, on se retrouvait tous, Italiens et CRS à manger les pâtes. On était cent cinquante au final. Vous vivez aujourd’hui en Corse. C’est le lieu de votre renaissance ? C’est capital. A un moment, tu ne peux plus vivre en ville. Je me suis séparé de mon ex-femme car ça n’allait plus, la maison était devenue un mausolée, après la mort de Laurette, mon bijou enfui, et j’ai rencontré Sanda, la plus importante affectivement… Elle m’a sauvé la vie, oui. Parce que je suis mort avec ma fille. C’était très dur. J’ai coulé. Quand je l’ai rencontrée, deux mois après l’incinération de Laurette, j’étais un mort-vivant. Avec aucune envie. Sanda est un soleil. Je l’ai longtemps appelée ma sirène, car j’ai coulé, j’étais au fond et une main m’a attrapé et tiré vers la surface. J’ai rencontré Sanda en Corse, elle faisait du piano-bar. Elle chante, elle fait d’ailleurs partie de Bandapart. Elle est sur scène avec moi… L’âme du saltimbanque est toujours là ? Ça ne part jamais, ça. Je suis une opération réussie d’un mec qui n’était pas fait pour ça. Et puis qui finalement ne se retrouve que dans ça. Je suis un saltimbanque et j’aime ça. On fait des choses ensemble, on agglomère nos énergies. Celles de quinze personnes qui, sur scène, envoient. Ce n’est pas un combat. C’est une adaptation aux temps modernes, avec des traits de caractère qui sont immuables. Et que je n’ai aucune envie de changer.

Votre compte

Big Bazar: «J’y ai tout appris. C’était mes universités»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Culture

Damso annonce la fin… avant la suite

Entretien Guillaume Canet, réalisateur du nouvel Astérix et Astérix lui-même: «On a essayé de respecter l’ADN de la BD»

The Killers et Florence and the Machine rejoignent l’affiche du Pukkelpop

Le cinéaste iranien Jafar Panahi libéré de prison

Le couturier Paco Rabanne est décédé à l’âge de 88 ans

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Décès de Sourour Abouda: le parquet évoque une «auto-strangulation», pas un «suicide»

Vers une prolongation d’autres réacteurs nucléaires? Engie attend encore la demande du gouvernement

Les Etats-Unis survolés par un ballon espion: Blinken reprogramme sa visite en Chine

Mortalité infantile: le cas préoccupant des «mères invisibles»

Charles Michel au sommet à Kiev: «L’Ukraine c’est l’UE, l’UE c’est l’Ukraine»

Le couturier Paco Rabanne est décédé à l’âge de 88 ans

30 années au service d’une passion : le métier d’infirmière

Des soins intensifs polyvalents et à la pointe des technologies

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel