Fin de vie en France: une réforme sur la (toute) pointe des pieds

François Mitterrand avait aboli la peine de mort, Valéry Giscard d’Estaing, dépénalisé l’IVG et François Hollande, autorisé le mariage pour tous. Face à l’histoire, Emmanuel Macron laissera-t-il la trace du président qui aura légalisé l’euthanasie ? Rien n’est moins sûr. A l’heure où une convention citoyenne sur la fin de vie entame ce vendredi ses travaux, l’Elysée marche sur la (toute) pointe des pieds. [scald=29690341:sdl_editor_representation] Ni le président ni sa Première ministre Elisabeth Borne ne seront présents pour l’ouverture des travaux. L’objectif est de « dépolitiser » le sujet. Les cent cinquante citoyens tirés au sort devront examiner le débat sous le prisme le plus neutre possible. « Le cadre d’accompagnement de fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » : telle est la question, on ne peut plus timorée, qui leur est posée. Et malgré le temps qu’ils vont consacrer à cette épineuse question (neuf week-ends en tout jusqu’au printemps), l’Elysée se garde bien cette fois de leur promettre que leurs recommandations seront adoptées « sans filtre » comme cela avait été le cas lors de la convention citoyenne sur le climat, pendant le premier quinquennat, provoquant d’amères déceptions chez les participants qui y avaient cru. Oscillations permanentes La prudence est spectaculaire. Au gré des mois, Emmanuel Macron n’a cessé d’osciller. En campagne électorale, il s’était dit touché par un homme qu’il avait rencontré en Charente et qui lui avait dit son désarroi de devoir partir en Belgique pour son dernier voyage. « Je n’oublierai ni sa mémoire ni son combat, vous pouvez compter sur moi », avait ensuite écrit le président au compagnon du défunt. En septembre, en remettant la Légion d’honneur à l’actrice Line Renaud, fervente militante de l’euthanasie, il avait encore glissé : « On le fera ». Mais au retour d’un voyage au Vatican en octobre, il confiait : « Le pape sait que je ne ferai pas n’importe quoi. La mort, c’est un moment de vie, pas un acte technique ». Le fond de sa pensée ? Le chantre du « en même temps » ne le dira pas, convaincu que sa position, si elle était connue, crisperait le débat. Aussi, hors de question d’utiliser les mots « conquête », « combat » ni même « progressisme ». D’où l’ouverture, aussi, de plusieurs canaux de discussion. La convention citoyenne ne sera que l’un des trois éclaireurs de sa décision finale, attendue en mars. Deux ministres, Olivier Véran (chargé du Renouveau démocratique) et Agnès Firmin-Le Bodo (qui veille sur les professions de santé) sont aussi chargés d’une mission de concertation. Et ce n’est pas tout : à l’Assemblée nationale, le député Modem Olivier Falorni va piloter une mission parlementaire. Sans compter le rôle dévolu à l’Académicien Eric Orsenna : établir un lexique des mots de la fin de vie pour éclairer au mieux ce dont on parle. Actuellement, la loi française est très loin de la législation belge sur l’euthanasie. La loi Claeys-Leonetti, votée en 2016, autorise seulement « une sédation profonde jusqu’au décès pour des malades incurables dont le pronostic vital est engagé à court terme et dont les souffrances sont inapaisables ». Pas d’aide directe au décès donc, ce qui empêche les proches de connaître avec précision l’instant ultime. Pour la première fois, le Conseil consultatif d’éthique (une instance pluridisciplinaire) a évoqué en septembre l’idée d’une aide active à mourir mais sous de strictes conditions. [scald=29690342:sdl_editor_representation] Réticences religieuses Cette éventualité a déjà raidi tous les responsables religieux. Dans un récent entretien au Journal du dimanche, les quatre représentants des principaux cultes (catholique, protestant, musulman et israélite) ont dit leur préoccupation. « Nous ne sommes pas le tribunal des religieux qui jugerait la société », a fait valoir Eric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France. Mais sans démentir le grand rabbin Haïm Korsia quand il affirme : « Je ne peux comprendre cette schizophrénie d’une société qui, d’un côté, dépense des millions pour des campagnes contre le suicide et, de l’autre, en encouragerait une forme déguisée ». De sondages en sondages, l’opinion se montre pourtant ultra-favorable à une évolution de la législation. Selon l’Ifop, 94 % des Français approuvent le recours à l’euthanasie et 89 % sont favorables au suicide assisté. A en croire le même institut, 82 % des Français voudraient que la question soit tranchée par référendum. « La société est prête, bien plus que nos politiques », défend Jonathan Denis, le président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Mais certains contestent ces chiffres, en mettant en avant les « biais » qui seraient introduits dans la simple question « souhaiteriez-vous pouvoir mourir dans la dignité ». Dans la perspective du débat qui va s’ouvrir, les partisans et les adversaires du choix ultime de la mort se livrent déjà à une bataille d’arguments acharnée à coups de tribunes dans la presse. S’il cherche à tout prix le consensus, Emmanuel Macron risque bien de ne jamais le trouver.

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