Rosalía, diva d’un genre nouveau

Le flamenco, c’est le blues des gitans. Art séculaire complet, il est le cri de souffrance d’un peuple persécuté par la Reconquista espagnole qui a mis fin au miracle d’Al-Andalus, cette péninsule ibérique dirigée par les Arabes, chaudron de tolérance culturelle dans lequel se mélangeaient arabes, juifs, chrétiens, berbères, slaves et gitans. Pour survivre à l’inquisition des rois catholiques, les gens du voyage se sont cachés dans les montagnes d’Andalousie. [scald=29693752:sdl_editor_representation] C’est dans les grottes et pendant plusieurs centaines d’années que le flamenco s’est développé. Avant de sortir au grand jour dans les cafés cantantes de Séville, Cadix ou Jerez au XVIIIe siècle, lorsque les lois sur le nomadisme se sont assouplies. Au XXe siècle, le flamenco devient un art noble établi et codifié autour de trois piliers (le chant, la danse, la guitare). En clair, le flamenco vient de loin. Il est aujourd’hui une tradition bien ancrée dans la culture hispanique. Gare à celui ou celle qui osera la bousculer… C’est pourtant la tâche que s’est donnée Rosalía. « Le flamenco est une musique très codifiée, c’est une culture ancienne qui possède une structure bien définie », disait-elle à La Repubblica il y a deux ans. « Mais j’aime l’idée de pouvoir le réinterpréter, je ne veux pas rester attachée au passé, et je veux que ma musique soit pleinement ancrée dans le présent. La tradition peut être renouvelée sans être trahie ». Et tant pis si elle est taxée par les puristes de récupération culturelle ou, plus sobrement, de « ne pas être faite pour le flamenco » (selon les mots d’Alberto Garcia Reyes d’ABC). [scald=29693753:sdl_editor_representation] Bousculer la tradition Rosalía Vila Tobela est née il y a trente ans à Sant Esteve Sesrovires, une petite ville au nord de Barcelone. Elle n’est pas encore adolescente quand elle est terrassée par la voix de Camarón de la Isla. Cette figure du nuevo flamenco des années 60 s’était déjà donné pour but de bousculer la tradition. Le chanteur et guitariste est mort l’année de naissance de Rosalía, comme un passage de flambeau. La jeune catalane plonge dans l’histoire et l’art flamenco dès l’adolescence à l’Ecole supérieure de musique de Catalogne. Parallèlement, elle chante dans les bars et les mariages, collabore avec des artistes locaux et tente sa chance dans un télécrochet où elle est vite renvoyée. Mais petit à petit, elle se fait un nom dans la scène flamenca de Barcelone. C’est en duo avec le guitariste Raul Refree qu’elle signe son premier contrat d’enregistrement. Elle est toujours aux études quand sort son premier album. [scald=29693754:sdl_editor_representation] Disque sur la mort assez traditionnel dans sa forme et composé principalement de reprises de cantes , Los Angeles n’impressionne pas les spécialistes du flamenco – c’est le moins que l’on puisse écrire. Sur la longueur, il devient pourtant un énorme succès en Espagne. De quoi lancer la jeune chanteuse et lui donner la confiance dont elle a besoin pour larguer les amarres et envoyer valser les étiquettes : « Je ne me préoccupe pas des genres et des styles, j’écoute de tout », dira-t-elle en 2020. « Je ne pense pas que ma musique ait besoin d’une étiquette, la musique n’en a pas besoin en général ». Le mauvais amour Le grand départ se nomme El Mal Querer (« Le Mauvais Amour »). Ce disque est un travail de fin d’étude qu’elle finance elle-même. Album-concept, sa trame se base sur un poème occitan du XIIIe siècle. Chaque chanson est le chapitre d’une histoire d’amour toxique. Voilà pour la tradition. Mais le flamenco y est bousculé comme jamais, trempé dans la pop urbaine, le hip-hop, le R’n’B et une production (par El Guincho) hyper-moderne. L’essence lyrique et charnelle du genre est pourtant là, omniprésente et inviolée. [scald=29693755:sdl_editor_representation] Le succès est international, tiré par le tube Malamente . La langue espagnole n’est plus une barrière. Certes, la pop US subit alors une fièvre latine, mais Rosalía ne s’inscrit pas (encore) dans ce tsunami reggaeton. Elle apparaît comme une artiste unique, imprévisible, mariant l’ancien et le nouveau, l’avant-garde et le mainstream , « un phénomène comme il n’y en a un que tous les quarts de siècle », dira sa manageuse. [scald=29693756:sdl_editor_representation] Après le succès d’ El Mal Querer , pourtant, tout laissait penser que Rosalía rentrait dans le rang. Installée aux Etats-Unis, elle prit alors part à la fiesta latina , sortant des singles de reggaeton, collaborant avec Travis Scott, Bad Bunny et autres usual suspects tout en s’affichant dans des soirées mondaines. Quant à son nouvel album, attendu pendant plus de trois ans, il tardait à sortir. [scald=29693757:sdl_editor_representation] Femme à moto La surprise n’en fut que plus belle quand débarqua en mars dernier sous sa pochette improbable, Motomami (qu’on pourrait traduire par « Femme à moto »). Un disque libre, excentrique et enjoué, à l’image de son autrice. Un disque qui fait aussi référence à sa mère : « L’un de mes premiers souvenirs, c’est de voir ma mère conduire une moto. Pour moi ça signifiait : fais ce que tu veux, ma fille. Fais le meilleur avec ce que tu as ! » [scald=29693758:sdl_editor_representation] Certes, le flamenco s’éloigne de plus en plus – il apparaît çà et là, avec parcimonie. Motomami est avant tout un disque de pop urbaine. Mais là est son coup de génie : avec ce troisième album, Rosalía parvient à faire passer le reggaeton pour une musique avant-gardiste. Les expérimentations sont foison : jazz sur Saoko , une ode à la fluidité des genres, bachata (musique de Saint-Domingue) avec le tube La Fama , mambo sur Despecha… On a l’impression que tout est neuf. La chanteuse continue de se renouveler et, à l’instar d’une Beyoncé, dicte les codes de demain. A son retour en Espagne au début de sa tournée, Rosalía a été accueillie comme une diva. Un trésor national. La tournée mondiale a débuté, comme il se doit, en Andalousie. Car c’est de là que tout est parti, de ces collines entourant Alméria, Séville ou Cadix : « Le flamenco n’est pas un genre, mais tout un univers », dit-elle encore à La Repubblica. « Il se suffit à lui-même, il a un esprit, une force et un langage uniques. Ma musique doit tout au flamenco ». [scald=29693759:sdl_editor_representation] En concert ce lundi 12 décembre à Forest National (Bruxelles). C’est complet. L’album « Motomami » est ressorti dans une version allongée de huit titres inédits.

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